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fans leur participation, que de ce qui venoit de fe paffer à AN. 1494. Pife, ils s'abandonnèrent entièrement à la vengeance; & oubliant dans un moment les fervices fignalés que la maifon de Medicis avoit rendus à la république, ils fe foulevèrent contre Pierre, allèrent en grand nombre à fon palais, enfoncèrent les portes, & l'auroient investi, s'ils n'euffent appris que Pierre, pour éviter leur fureur, s'étoit fauvé avec trois de fes frères. Il étoit allé en effet du côté de Boulogne, où n'ayant pas été affez bien reçu de Jean Bentivoglio,'qui le regarda comme un homme malheureux par fa mauvaise conduite, il fe retira à Venife. On lui en refufa d'abord l'entrée, parce que les Vénitiens étoient informés de fes intrigues avec le pape & le roi de Naples. Mais l'ambaffadeur de Charles VIII leur ayant repréfenté, que ce qui s'étoit paffé à Florence ne venoit que d'une révolution populaire, à laquelle la France n'avoit point contribué, ils lui accordèrent l'afile & la fubfiftance, fans avoir égard au mal que leur avoit fait Cofme de Medicis fon bifaïeul. Les Florentins ne voulurent point d'autre preuve du criSes amis tra- me des Medicis, que leur fuite. Ils les traitèrent d'ennemis vaillent à l'y faire rentrer. publics, mirent leurs têtes à prix, confifquèrent leurs biens, pillèrent leur palais qui étoit le plus magnifique de l'Europe, diffipèrent le prodigieux amas de ftatues, de tableaux, de livres, de médailles dont il étoit rempli, & brisèrent partout leurs armoiries. Tous ces mauvais traitemens ne firent point changer les amis que Pierre avoit dans Florence: ils s'appliquèrent à le rétablir; & pour lui en faciliter les moyens, ils gagnèrent Philippe comte de Breffe, oncle paternel du duc de Savoie, qui étoit fort avant dans la faveur de Charles VIII. Le comte repréfenta au roi que Pierre de Medicis, malgré fon infortune, avoit un grand crédit & de bons effets dans toutes les villes de commerce. Il ajouta que, pourvu qu'on le rétablît, il trouveroit feul autant d'argent comptant que l'on pourroit en exiger des Florentins; que d'ailleurs on auroit beaucoup de peine à tirer de ceux-ci plus de cent mille ducats, fans les porter à quelque fédition.

CIX:

CX.

Le roi lui

L'affaire ayant été propofée au confeil, elle y paffa; & mande de le Charles VIII écrivit à Pierre de Medicis de venir le joinvenir joindre, avec promeffe de le rétablir. La lettre du roi fut enMém. de Co- voyée au cardinal de Medicis qui étoit à Boulogne, où l'on mines ut fucroyoit que Pierre étoit encore. Ce cardinal la lui fit te

dre.

prà, p. 42.

ir à Venise; & la lettre ayant été communiquée aux Vénitiens, ceux-ci prévoyant que rien n'empêcheroit les AN. 1494 François de conquérir Naples, que le défaut d'argent, & que Pierre étoit le feul capable de leur en procurer, ils lui repréfentèrent, conformément à leurs intérêts, qu'il n'y avoit pour lui aucune fureté à Florence, où il ne pourroit éviter l'affaffinat ou la prifon; que les François, à qui il ne pouvoit plus être utile, ne diffimuleroient plus leur reffentiment, & le puniroient d'une manière exemplaire, quand ce ne feroit que pour retenir dans leur devoir Ludovic & les autres princes d'Italie. Pierre de Medicis fe rendit à ces raisons, & demeura toujours à Venise, après avoir prié Charles VIII de trouver bon qu'il ne s'exposât pas fitôt à la fureur des Florentins.

Cependant fa majesté arriva au pont du Signe, qui est

CXI. Entrée du

La Vigne fourn. du vo

9.

1.

à fix milles de Florence; & comme les Florentins ne vou- roi dans Flolurent pas lui donner entrée dans leur ville, il y refta rence. pendant cinq ou fix jours, attendant que d'Aubigni le vînt joindre avec les troupes. On délibéra cependant, fi on yage deChar affiégéroit cette ville en forme ; & l'armée ne demandoit les VIII. pas mieux, pour profiter du pillage. Mais on aima mieux Mém. de Coavoir recours aux négociations, & après quelques confé- mines. 1. 7. c. rences, il fut arrêté que le roi y feroit fon entrée comme il Guicchardin. le jugeroit à propos. Il y entra en conquérant le dix- hift. Ital. l. feptième de Novembre, fa lance fur la cuiffe, à la tête Spond. ad de fa cavalerie, la plus belle qu'on pût voir; on vint lui ann. 1494.n préfenter les clefs, & on lui fit le ferment de fidélité. Les 7Florentins, moitié de gré, moitié de force, firent avec lui un traité de confédération, qui fut publié dans toutes les villes d'Italie, avec un manifefte, portant que le roi n'éroit venu que pour chaffer les tyrans, & de-là porter fes armes contre les Turcs, ennemis déclarés de la religion chrétienne. Mais comme la foumiffion des Florentins n'étoit pas tout-à-fait volontaire, il s'éleva bientôt des contestations entre eux & les François, à l'occafion de l'argent que l'on vouloit qu'ils prêtaffent au roi.

CXII. Contefta tions entre

Le motif de cet emprunt étoit d'exempter la ville du pillage. Les François demandoient deux cents mille ducats, les François & les Florentins n'en vouloient donner que la moitié. & les Flo Guicchardin dit que la difpute s'échauffa de telle forte, parce Guicchardin. que le roi les menaçoit de garder leur ville à titre de con- 1.1.

rentins.

AN. 1494.

CXIII.

Florentins

quête, & d'y établir des officiers pour rendre la juftice en fon abfence; que les commiffaires du roi furent fur le point de faire battre les tambours & fonner les trompettes, comme un figne de faccagement; qu'un des plus riches de la ville, nommé Pierre Capponi, chef des députés des Florentins, qui avoit été ambaffadeur en France, & qui n'aimoit point Pierre de Medicis, arracha des mains du secrétaire le papier qui contenoit les demandes du roi, le déchira & dit fort en colère, que puifqu'on perfiftoità exiger des chofes fi injuftes & si honteufes à fa patrie, il feroit de fon côté fonner le tocfin, ne défefpérant pas que fes compatriotes ne fe défendiffent jufqu'à la dernière extrémité. Cette hardieffe de Capponi fut caufe qu'on fe relâcha fur les demandes qu'on faifoit ; & en effet on avoit tout lieu d'appréhender de la fureur d'un peuple irrité, & jaloux de fes priviléges jufqu'à l'excès.

On propofa donc des conditions plus raisonnables, & il Traité des fut conclu que les Florentins donneroient au roi fix-vingts avec Charles mille ducats, dont ils payeroient cinquante mille compVIII. tans, avec promeffe d'en fournir quarante mille dans trois Mém. de Co- mois, & le refte dans fix. Que la république feroit alliance prà p. 43. avec le roi, fous la protection duquel elle jouiroit de fon an

mines ut fu

cienne liberté. Qu'elle changeroit fes armes, qui étoient une fleur-de-lys rouge, en celles de France. Qu'elle lui laiffoit toutes les places dont on a déjà parlé, Pife, Livourne, & autres que Pierre de Medicis avoit déjà livrées, avec ferment juré fur l'autel de S. Jean, dit Comines, de rendre ces places quatre mois après que le roi feroit dans Naples, ou plutôt s'il retournoit en France. Que l'arrêt de confifcation publié contre Pierre de Medicis feroit caffé, avec cette claufe, que ni lui ni fes frères ne s'éloigneroient de Florence de cent milles d'Italie. Enfin que Charles VIII auroit dans ces villes deux agens, qui auroient entrée dans le confeil. Ce traité fut ratifié & juré de part & d'autre ; enfuite le Le roi part roi partit de Florence & vint à Sienne, où il arriva le de Florence 28e. de Novembre: & il y fut reçu avec des honneurs ex& va à Sien- traordinaires, & une joie univerfelle de la part des peuples, La Vigne qui l'appeloient hautement l'envoyé de Dieu, le libérateur journ. du vo- de l'églife Romaine, le propagateur de la foi. De Sienne ou il laiffa garnifon, il fe rendit à la Paillette le fixième de Décembre. Ses équipages & la groffe artillerie dont il avoit

ne.

CXIV.

yage de Charles VIII.

befoin, s'y étant trouvés, il prit enfuite la route de Viterbe.

AN. 1494.

CXV.

Cette place étoit forte, & le duc de Calabre, revenu dans l'état eccléfiaftique à la prière du pape, s'étoit chargé de la Les Colonnes empêgarder; & fans doute que la querelle pour le royaume de chent le duc Naples y auroit été décidée, fi les Colonnes renforcés par de Calabre des troupes Françoifes, fachant que le duc de Calabre s'étoit de camper éloigné de Rome pour aller à Viterbe, n'euffent enlevé à Of fous Viterbe. tie tous les convois que l'on menoit à ce duc, & ne l'euffent ainfi contraint de retourner fur fes pas jufqu'à Rome pour la couvrir. Ainfi la partie de l'état eccléfiaftique que l'on appelle le patrimoine de faint Pierre, fe voyant abandonnée, traita avec les François pour éviter le pillage. Les Urfins prirent le même parti, quoique Virginie leur chef fût attaché au roi de Naples par des liens affez forts pour ne pas quitter fi aifément fes intérêts, étant fon connétable héréditaire, & Jourdain des Urfins fon fils aîné ayant époufé l'aînée des filles naturelles de ce roi. Mais le bonheur fuivit par-tout le roi de France. Virginie des Urfins lui offrit fes places & fes fils pour ôtage de fa fidélité; & fa majefté très-chrétienne les accepta avec beaucoup de joie & de plaifir.

envoie des

Cette conduite de Virginie des Urfins, & l'approche de CXVI. l'armée Françoife, confternèrent fort le pape Alexandre VI, Inquiétudes qui ne favoit quel parti prendre. Tantôt il étoit réfolu de fai- du pape, qui re entrer le duc de Calabre dans Rome & de s'y défendre; ambafiadeurs mais outre que les Colonnes & les Urfins avoient trop d'a- au roi. Surita t. 5.1. mis, il craignoit que les vivres n'y vinffent à manquer, par- 1. c. 34. & ce que la campagne n'en fournissoit pas, & que la garnifon 36. d'Oftie empêcheroit qu'on y en portât par mer. Tantôt il avoit envie d'aller au-devant des François pour tâcher de les arrêter; mais il fentoit bien qu'il n'avoit pas affez de vertu pour leur imprimer du respect. Dans ces incertitudes, le parti qu'il prit fut d'envoyer au roi les évêques de Concorde & de Terni avec Gratien fon confeffeur, pour traiter de quelque accommodement avec ce prince, & lui offrir que le royaume de Naples releveroit de fa majefté de même que du faint fiége, & qu'elle en donneroit une feconde inveftiture. Le roi répon- Guicchardin dit aux envoyés du pape,que fifa fainteté ne vouloit que traiter hift. Ite!. lib. pour elle, elle auroit lieu d'être fatisfaite, & qu'il lui enver- 1. roit pour cela des ambaffadeurs. Il lui envoya en effet le fei- Mém. de Cogneur de la Trimouille, le président de Gannay & le général 10. p. 47.

mines 1. 7. c.

Bidaut, comme l'appelle Comines. Mais à peine furent-ils en AN. 1494. trés dans Rome, que le pape y introduifit pendant la nuit le duc de Calabre, & fit arrêter, felon Guicchardin, les ambaffadeurs François, au lieu que Comines ne parle que de quelques perfonnes de leur fuite, qu'on enferma par fon ordre dans le château Saint-Ange, avec Profper Colonne & le cardinal Afcagne Sforce, qui étoient alors dans Rome fur la paBurchard 1.3. role de fa fainteté. Il eft vrai qu'ils n'y furent pas long-temps, P. 246. & que l'emportement qui avoit fait violer au faint père la foi publique, ayant fait place à des réflexions plus juftes & plus défintéreffées, il les fit mettre en liberté peu de jours après, & excufa leur détention fur un avis qu'il prétendoit lui avoir été donné, que ceux qu'il avoit fait arrêter n'étoient venus dans Rome que pour exciter une fédition.

CXVII.

ce le pape

Charles VIII ne laiffa pas d'envoyer le tiers de fon armée Le roi mena- du côté de Rome, fans que le pape parût s'émouvoir. Ce qui d'un concile. obligea S. M. de lui renvoyer les cardinaux de S. Pierre-auxliens, Sforce, Colonne & Savelli, pour lui déclarer qu'en qualité de roi très-chrétien, il alloit affembler un concile où l'on examineroit par quelles voies il avoit été élevé au fouverain pontificat. Ces menaces le firent consentir à laisser entrer le roi dans Rome, comme il étoit entré dans Florence; & pour fauver fa dignité, il renvoya à fon grand regret le duc de Calabre, fans ofer lui donner des troupes pour l'efcorter. Sur ces difpofitions du pape, fa majefté lui envoya lemaréchal de Gié, le fénéchal de Beaucaire, & le premier préfident du parlement de Paris, pour le raffurer contre les menaces qu'on lui avoit faites, & lui remontrer que, quoique le roi eût un très-juste sujet de se plaindre de lui, qu'il eût ainsi manqué de foi, & qu'il eût employé fon autorité & fes armes pour l'arrêter au-delà des Alpes, après avoir été le premier à lui confeiller la conquête de Naples; néanmoins fa majestéen remettoit de bon cœur la vengeance à Dieu, fans vouloir fe mêler des affaires eccléfiaftiques: qu'elle ne penfoit qu'à voir Rome; que quoiqu'il fût aifé d'y entrer de force, elle aimoit mieux que ce fût du confentement du chef de l'églife; qu'elle ne vouloit pas céder à la piété de fes ancêtres, ni manquer de rendre fes refpects au vicaire de J. C. Ce qui rendit le pape un peu plus tranquille.

CXVIII.

Le roi va å Viterbe &

Le roi continua donc fon chemin, & arriva à Viterbe où il dela à Nepi. fit quelque féjour, &mit garnifon dans le château. De-là il fe

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