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n'a pas encore paru, d'où nous viennent ces fleurs? Ils reprirent délicatement auffi les mets fuperflus de fa table, le trop grand foin qu'il prenoit de fa chevelure, la quantité de pierreries dont fes doigts eftoient plûtoft chargez que parez; fi bien qu'en fe moquant tantoft d'une chofe, & tantoft d'une autre, non pas toutefois fi haut, ni si aigrement qu'il s'en pust fâcher, ils firent fi bien qu'il retourna tout changé en fon païs. Il alleguoit un autre exemple pour montrer qu'on n'y avoit point de honte de la pauvreté, mais plûsoft qu'on en faifoit gloire, Qu'en des jeux publics, les Sergens ayant pris un Bourgeois vétu d'une étoffe teinte, contre l'Ordonnance qui défendoit de fe trouver aux Spectacles en cet habit; le peuple cria que l'on euft pitié de luy, & qu'il ne l'avoit pas fait par vanité, mais

qu'il n'en avoit point d'autre. 11 louoit encore la liberté & la tranquillité du païs, où l'on vivoit modeftemenr, & fans envie, & foûtenoir que cela eftoit conforme à la doctrine des Philofophes, & convenable à celuy qui vouloit con

fleurs? il y a au Grec; le Printemps eft déja venu, d'où nous vient ce Paon ? peut - eftre

qu'il eft de fa mere, ce qui feroit obfcur & ridicule.

ferver la pureté de fes mœurs, & fuivre les loix de la nature. Mais ceux qui me¬ furent leur felicité aux grandeurs & aux richeffes, & qui font nourris dans la flaterie & la fervitude, efclaves des voluptez; Ceux-là, dit-il, doivent demeu rer dans Rome, où regne le luxe & la débauche, dont l'efprit une fois imbu, fait banqueroute à l'honneur ; & lors que ce divin hofte en eft dehors, l'ame n'eft plus qu'un defert remply de bestes farouches. C'est-là, dit-il, qu'eft le fejour du menfonge & de l'impofture. C'eft-là qu'on n'oit que des chanfons lascives, & qu'on ne voit que des actions deshonneftes. C'eft-là que la volupté entre par toutes les portes, dont il fe fait comme un fleuve de delices, qui noye les vertus, & qui traifne avec luy l'orgueil, l'ambition, l'avarice, & cent autres vices femblables. Voilà quelle eft la vie de Rome; c'eft pourquoy lors que j'eus quitté la Gréce pour y venir, je me repentis bientoft de cette réfolution, & crûs avoir quitté la lumiere du Soleil, comme dit Homere, pour venir habiter parmy les tenebres. Pourquoy, difois-je en moymelme, renonçois-tu au repos & à la tranquillité de la Gréce pour vivre icy bas dans le tracas & le tumulte pour

ne voir que des flateurs, des empoifonneurs, des affaffins, des corrupteurs, & autres fcelerats? Que veux-tu faire en un lieu où tu ne peux vivre, comme on y vit Aprés avoir donc refvé quelque temps là-deffus, je déliberay de me retirer de la foule comme Jupiter enleva Hector de la bataille, & de m'entretenir en particulier avec Platon & la Philofophie, quoyque plufieurs tiennent cette vie lafche & oifive. De-là, comme de deffus un theatre, je contemple tout ce qui fe paffe dans Rome, dont une partie me fait rire, & l'autre me fait pitié; mais l'une & l'autre me fert d'inftruction.

Car s'il faut louer le mal par le profit qui nous en revient, je ne trouve nulle part tant de fujet d'exercer fa vertu, pour refifter à tous les plaifirs deshonnestes, à toutes les paffions déreglées, à tous les alléchemens de la volupté, non pas en fe faifant lier comme Ulyffe au maft du Navire, ny en fe bouchant les oreilles, comme luy au chant des Sirénes ; mais en marchant la tefte haute & le courage élevé. D'ailleurs, comme les chofes paroiffent dans l'oppofition de leurs contraires, le Vice donne luftre à la Vertu, & l'on méprife davantage les biens pétiffables, lors qu'on en reconnoift les de

fauts. Lors qu'on voit tour à coup comme dans une Comedie, le riche devenir pauvre, le mailtre efclave, & l'amitié des hommes fe changer avec la fortune. Mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est qu'encore qu'on voye l'inftabilité des chofes du monde, & que la Fortune fe jouë de tout ce qui eft icy, bas, on ne laiffe pas de l'adorer, & d'admirer de vaines grandeurs, & de trompeufes richeffes, au lieu de s'en rite comme on devroit. Car qui ne riroit de voir les Grands étaler leur folie & leur vanité

parmy leur pompe & leur magnificence? Les uns ne vous faluent que par la bouche d'autruy, & veulent qu'on fe contente de les voir fans leur parler, comme on affifte à des fpectacles. D'autres, encore plus glorieux, fouffrent que l'on les adore, non pas de loin, à la façon des Perfes, mais en leur baifant la main, & embraffant leurs genoux, le dos tout courbé, & les yeux baiffez contre terre; mais l'ame encore plus humiliée que le corps. Car ils mettent leur felicité en ces fadaifes, auffi-bien que le peuple qui les

Embraffant leurs genoux, il y a au Grec l'eftomac; mais ce n'eft pas une fi grande mar

que d'humilité, & l'un & l'autre eft une coûtume ancienne.

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regarde, quoyqu'il fçache bien que tout cela n'eft que piperie, & qu'on les maudit en les adorant. Cependant, Monfieur qui fe tient debout fouffre ces fauffes adorations, & fe trompant luy-mefme, il vous donne fa main à baifer, que j'aime encore mieux que fa bouche. Ceux, pourtant, me femblent plus ridicules qui leur font la cour, & qui fe levent dés minuit pour eftre de plus grand matin à fe morfondre à leur porte, & à fouffrir la mauvaise humeur de leurs valets, qui leur difent leurs veritez, & les appellent fouvent par leur nom. Mais quelle eft, aprés tout, la récompenfe de tant de peines & de veilles ? ce n'eft fouvent qu'un miferable repas où l'on endure mille affronts : & où l'on eft contraint de faire & de dire mille chofes contre fon fentiment: Enfin, d'où l'on fe retire toûjours ou mal-content, ou malade; de forte qu'il faut aller décharger fon cœur à un amy, ou rendre gorge en quelque coin, & donner de l'exercice aux Medecins. Ce que je trouve de plus plaifant, c'eft que quelques-uns n'ont pas feulement le foifir d'eftre malades, & font contraints de courir toute la Ville, lors qu'il fe faudroit mettre au lit. Mais je n'ay garde de les plaindre; car les fla

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