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bon guide pour la trouver, de peur de s'égarer par le chemin. On ne manque pas de gens qui fe vantent de le fçavoir, & qui promettent d'y mener; mais ils tiennent des routes toutes contraires. Les uns vous conduifent par des lieux agreables, où vous trouvez du frais & de l'ombre; les autres par des Deferts & des Rochers, où vous eftes bruflé des ardeurs du Soleil, & à demy mort de foif & de laffitude. Chacun crie neanmoins, que fon chemin eft le meilleur, & qu'il mene droit à la felicité; quoyqu'ils aboutiffent à des lieux differens: Et quelque route que vous teniez, vous trouvez toûjours à l'entrée un homme de bonne mine qui vous tend les bras, & qui vous convie d'y entrer, difant, que c'eft le droit chemin, & que tous les autres vous égarent. C'eft ce qui donne de la peine, que cette multitude & cette diverfité de chemins; car on ne fçait lequel fuivre.

HERMOTIME. Je te veux tirer de doute, Lycinus ; car tu ne peux manquer de croire ceux qui y ont efté.

LYCINUS. Qui ? mon amy, & par quel endroit ? Les guides font auffi incertains que les voyes; car celuy qui fuit Platon, dit, que le fien eft le meilleur ;

les autres, & de faire une regle generale pour tous les hommes fans eftre jamais forty d'Ethiopie.

HER MOTIME. Mais pour avoir fuivy la doctrine des Stoïques, je n'ignore pas celle des autres Philofophes ; car la regle du bien apprend à connoistre le mal, & au mefme temps que mon Docteur me difoit fon opinion, il me refutoit celle de Platon & d'Epicure.

LYCINUS. Mais Platon & Epicure ne se tairont pas, & diront: Tu as un eftrange amy, Lycinus, qui croit à nos ennemis touchant les chofes qui nous concernent, fans confiderer que par erreur ou par malice ils peuvent déguiser la verité, & qu'il n'y a perfonne qui fçache mieux nos opinions que nousmefmes. Si quelqu'un voyoit un Athlete s'exercer tout feul avant le combat, &

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donner en l'air des coups de poing, le 'prononceroit-il pour cela victorieux, & ne luy diroit-il pas, que pour remporter la victoire, il faut avoir terraffé fon ennemy? Voilà ce que diront les Philofo phes; mais Platon, qui a efté en Sicile, y ajouftera peut-eftre l'exemple de Gélon de Syracufe, qui fut long-temps fans fçavoir qu'il avoit l'haleine mauvaise, jufqu'à ce qu'une Courtifane le luy apprit. Alors il alla trouver fa femme, tout en colere, & luy dit des injures de ce qu'elle luy avoit celé long-temps un défaut où il euft pû apporter quelque remede. Mais elle s'excufa fur ce qu'elle croyoit tous les hommes faits de la forte, n'ayant jamais pratiqué que fon mary. Ainfi, Hermotime, celuy qui n'a veu que les Stoïques, ignore avec raifon comme font faits tous les autres..

HERMOTIME. Laiffons - là, je te prie, l'Ethiopien & la femme de ce Tyran, & confidérons ensemble fi la chofe n'eft point comme je dis. N'eft-il pas vray que fi je difois, que deux fois deux font quatre, il ne feroit pas besoin d'assembler tous les Arithmeticiens du monde, pour fçavoir fi j'aurois raifon, puis qu'il ne fe pourroit faire autrement, quand tous les Mathematiciens diroient le contraire ?

l'Epicurien & le Peripateticien tout de mefme, tu en diras autant des Stoïques; chacun loue celuy qu'il a fuivy, mais je ne puis fçavoir qui a raifon. Je voy bien qu'ils font tous arrivez quelque part; mais fi c'est à la Ville que nous cherchons, c'est ce que je ne fçay point, & peut-eftre qu'au lieu d'aller à Corinthe ou à Athénes, ils me meneront en Babylone. D'ailleurs, comme il n'y peut avoir qu'un droit chemin, il ne faut pas peu d'efprit ou de bonheur, pour › pour bien adreffer; & il eft dangereux de laisser aller fes pas à l'avanture, & de mettre au hazard une chofe d'où dépend noftre felicité outre qu'il n'y a pas peu de danger d'abord à quitter le droit chemin; car depuis qu'on eft une fois embarqué dans un Vaiffeau, on eft contraint de fuivre fa route.

HERMO TIME. Quoy que tu puiffes faire, tu ne trouveras point de meilleurs. guides, ni de plus affurez que les Stoïques, & tu n'as qu'à fuivre la piste de Zenon & de Chryfipe, pour arriver à Corinthe.

LYCINUS. Celuy qui fait Platon ou Epicure m'en dira autant, Hermotime; fi bien qu'il faut ou les croire tous, ce qui feroit ridicule, ou n'en croire pas

an, ce qui eft plus feur, jufqu'à ce qu'on ait découvert la vérité. Car pofé qu'ignorant le meilleur chemin, je fuive le vostre, Platon & Pythagore n'auroient-ils pas fujet de me dire, que t'avons-nous fait, Lycinus pour nous condamner fans nous ouir, & pour embraffer à noftre préjudice le party d'un nouveau venu? Que leur répondray - je à ton avis? Sera - ce affez de dire, J'ay creu Hermotime qui eftoit mon amy? Ne diront-ils pas qu'ils ne connoiffent point cet Hermotime, & ne fçavent qui il eft; mais qu'il ne falloit

pas

Zenon.

ainsi ajouter foy à un homme qui ne connoiffoit qu'une Secte, encore peuteftre ne la fçavoit-il pas trop bien, ni coadamner toutes les autres, fans avoir examiné leur doctrine. Que les Legiflateurs veulent qu'on entende les deux parties, avant que de prononcer fur leur differend; & quand on ne le fait pas, la Sentence eft nulle, & il eft permis d'en appeller. Si quelque Ethiopien, ajouteront-ils, n'eftant jamais forty de fon païs, difoit que tous les hommes font noirs, ne luy diroit-on pas qu'il a tort, d'affurer ce qu'il ne fçait point? Prens donc garde qu'on ne te condamne, d'affirmer qu'il n'y a point de meilleure Secte que la tienne, fans avoir éprouvé

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