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roit dépétrer. Mais tout en riant, nous voicy arrivez prés du Mont Hymette. Defcendons, & me prens par le manteau, de peur que tu ne t'égares.

PLUTUS. Tu as raifon ; car comme je fuis étourdy, j'irois peut-eftre me jetter entre les bras de quelque for, ou bien de quelque méchant. Mais quel bruit eft-ce que j'entends comme du fer qui frappe contre une pierre?

MERCURE. C'eft Timon qui cultive un champ pierreux. Dieux! comme il est fait, au prix de ce qu'il eftoit autrefois! Le voilà tout craffeux, & tout couvert de haillons! Mais quelles gens voy-je autour de luy ? la Force, la Santé, la Sageffe, la Vertu, conduites par la Pauvreté, & par le Travail. Voilà bien d'autres gens que tes Satellites.

PLUTUS. Fuyons, il ne nous voudra pas recevoir en leur prefence.

MERCURE. Ne crains rien, fous la conduite de Mercure, & les aufpices de Jupiter.

LA PAUVRETE'. Où ménes-tu celuy-cy, Mercure ?

MERCURE. Vers Timon, de la part

des Dieux.

Mais tout en riant:

Trefor, pour la raison

J'omets ce qui eft dit du touchée plus haut.

LA PAUVRETE'. Quoy! il me méprife fi fort, luy qui me devroit maintenir, qu'il me veut ravit celuy que je poffedois, pour me livrer à mon ennemy, afin qu'aprés l'avoir corrompu par les délices, il me le rende enfuite pour le guerir? Eft-ce là la récompenfe des fervices que j'ay rendus à Timon, en luy oftant fes vices, & en l'inftruisant à la Vertu ?

MERCURE. Jupiter le veut ainsi, & fes ordres font inviolables.

LA PAUVRETE'. Suivez-moy, mes compagnes, Timon verra bien- toft ce

qu'il perd en nous perdant. Qu'il fe fouvienne que je ne luy ay rien appris que de bon, & que mon rival n'en fera pas de mefme. Tien, Mercure, je te le rends fain de corps & d'efprit, fage, laborieux, vigilant, méprifant le luxe & la vanité, comme des chofes pernicieufes ou inutiles.

MERCURE. Les voilà partis; avan

çons.

TIMON. Qui eftes-vous qui venez ainfi troubler ma folitude, & me détourner de mon ouvrage ? Retirez-vous, que je ne vous en faffe repentir.

MERCURE. Tout beau, je fuis Mercure qui t'amene le Dieu des Richeffes,

de Jupiter. Reçois-le comme tu dois, & comme il mérite.

de la part

TIMON. Je ne me foucie, ny des Dieux, ny des hommes, trompé par les uns & abandonné des autres ; & je vais de ce pas rompre la tefte à cet aveugle, s'il ne fe retire.

PLUTUS. Fuyons de bonne heure, que ce fou ne nous caufe quelque malen

contre.

MERCURE. Arrefte-toy, fans te dépiter contre les Dieux qui te veulent rétablir dans ta gloire, & combler de honte

tes ennemis.

TIMON. Ne me rompez point la tefte de ces foles promeffes, & de ces vaines efperances. Il ne me faut pour vivre que ce hoyau, & je feray affez heureux, pourveu que je ne vous voye point.

MERCURE. Cela feroit bon, fi nous eftions des hommes, mais nous fommes des Dieux qui venons pour te foulager. Reçoy la bonne fortune que le Ciel t'envoye.

TIMON. J'ay beaucoup d'obligation à Jupiter, de l'honneur qu'il me fait de fe fouvenir de moy ; mais je ne veux point recevoir celuy-cy, qui eft la caufe de tous mes maux. Car c'eft luy qui inʼa E iiij.

les

livré aux flateurs; qui m'a fait dreffer des embûches ; qui m'a rendu odieux & expofé à l'envie ; qui m'a rompu par délices ; & lorfque je ne me pouvois plus paffer de luy, il m'a abandonné comme un traiftre: Au lieu que la Pauvreté m'a receu à bras ouverts, & m'exerçant dans le travail & la peine, m'a fourny les chofes neceffaires, & m'a appris à méprifer les fuperflues. C'eft elle qui m'a rendu maiftre de moy-mefme, qui m'a affranchy du pouvoir de la Fortune, qui m'a enfeigné quelles eftoient les veritables richeffes, qui m'a mis en un estat tranquile, où je ne crains ny une populace émuë, ny un Orateur corrompu, ny un Courtifan flateur, ny un Tyran irrité; & où je cultive ce champ en paix, fans voir les maux des grandes Citez. Retourne-t-en donc comme tu és venu, Mercure, & ramène cet aveugle à Jupiter; je feray affez fatisfait, quand il aura rendu les autres auffi malheureux que moy.

MERCURE. Tu te trompes, mon amy. Tout le monde ne fçait pas fupporter la pauvreté comme tu fais, ny crier fi à propos pour en eftre délivré. Ne t'opiniâtre point contre Jupiter, & reçoy les biens qu'il t'envoye; il ne faut

pas refufer les prefens des Dieux. Affez de gens ont fait des prieres qui n'ont pas efté fi bien exaucées que tes injures.

PLUTUS. Veux-tu me permettre de ine défendre, fans te mettre en colere ?

TIMON. Ouy pourveu que ce foit en peu de mots, & fans préambule ; car je fuis ennemy des longs difcours.

PLUTUS. Mais j'en aurois befoin pour répondre à tous les chefs de ton accufation. Dy-moy, je te prie, en quoy puisje t'avoir offenfé : Eft-ce en te comblant d'honneur & de biens, & en te donnant à fouhait tout ce les autres que defirent Si tes flateurs t'ont fait quelque déplaifir, je n'en fuis pas caufe, & leur mépris n'eft venu que de mon abfence. J'aurois bien plus de fujet de me plaindre, de ce que tu m'as livré entre leurs mains, & abandonné à ceux qui me dreffoient continuellement des piéges. D'alleurs, ce n'eft pas moy proprement qui t'ay quitté ; mais tu m'as chaffe de chez toy: ce qui m'a mis en une telle colere, que je ne voulois pas revenir, quelque ordre que j'en euffe de Jupiter, comme Mercure te le dira.

MERCURE. Ne crains point qu'il y retourne jamais, & demeure icy puifque

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