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& avec cela je difpute de la felicité avec Jupiter. Mais je veux empefcher que tu ne te laiffes corrompre à ta fortune; & fi tu m'en crois, tu jetteras ton argent dans la riviere, comme une chofe fuperfluë, pour ne point dire pernicieuse; fi tu n'aimes mieux en faire part à ceux qui en ont befoin, & particulierement aux Philofophes, qui le méritent mieux que les autres. Mais, pour moy, je ne te demande rien; car cette beface me fuffit. Ce n'eft pas que fi tu y voulois mettre quelque chofe pour t'acquitter d'une partie de ce que tu dois à la Philofophie, ce ne fuft pour en aider quelque Amy incommode. Du refte, elle n'eft pas fort grande, & ne tient que deux boiffeaux de la grande mesure; car il faut qu'un Philofophe fe contente de peu. TIMON. C'eft bien dit: Mais approauparavant, que je te donne quelques coups de poing, pour exercer ta patience; & de furcroift un coup de bafton.

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THRASYCLE'S. Au fecours, mes Amis, fouffrez-vous qu'on m'affaffine dans un pays libre?

Tu jetteras ton ar- | particularitez un peu gent dans la riviere: trop groffieres à mon L'Auteur ajoute des avis.

- TIMON. Qu'as-tu à crier ? Eft-ce qu'on ne t'en donne pas affez? Tien, en voilà encore une douzaine par deffus le marché. Mais qu'eft - cecy toute la Ville accourt en foule : Grimpons fur cette montagne pour nous défendre plus facilement d'enhaut, à coups de pierre. PLUSIEURS. Tout beau, nous nous en allons.

TIMO N. Ce ne fera pas pour le moins fans coup-ferir,

L'ALCYON, OU LA METAMORPHOSE, DIALOGUE.

CHEREPHON, ET SOCRATE..

Il prend fujet de parler de la puissance divine, fur la fable des Alcyons; mais c'est plutoft, à mon avis, felon l'opinion de Socrate, que felon la fienne : ce qui fait douter à quelques-uns, fi ce Dialogue eft de luy.

CHEREPHON.

Q

UEL fon a frappé mon oreille ? Qu'il

eft agreable ! Il vient du cofté du rivage, & de la pointe de ce rocher qui s'avance dans la mer. Mais de quel animal

peut-ce

eftre Car les poiffons font muets, & les oifeaux qui hantent les mers, n'ont point proprement de chant.

SOCRATE. C'est l'Alcyon tant vanté, dont on conte cette fable: Que la fille d'Eole ayant perdu le beau Ceïx fon mary, fils de l'Eftoile du jour, fe confumoit en des regrets fuperflus, lorfque. les Dieux touchez de compaffion, la changerent en oifeau, qui cherche encore fur les eaux, celuy qu'elle n'a pû rencontrer fur la terre.

CHER EPHON. Quoy! c'eft l'Alcyon?: Je ne l'avois jamais ouï; mais fa voix a veritablement quelque chofe de lugubre.. Comment eft-il fait ? car je n'en ay jamais veu, quoyque j'en aye fouvent ouï parler.

SOCRATE. Il eft fort petit; mais fa gloire n'eft pas petite : Car pour récompenfe de fon amour, lors qu'il fait fon nid, & qu'il couve fes petits, les vents retiennent leur haleine, & la mer eft tranquile dans la plus grande rigueur de l'Hiver. C'eft aujourd'huy un de fes beaux jours, qu'on nomme de fon nom Alcioniens. Voy comme le Ciel eft ferein, & la face de la Mer unie comme la glace

d'un miroir.

CHEREPHON. Je le remarquay dés

hier. Mais, dy-moy, Socrate, que vouloient dire les Anciens, de nous débiter ces Fables, qui ne font pas feulement impoffibles, mais ridicules?"

SOCRATE. ll eft bien difficile, Che-rephon, de juger de la poffibilité, & de Fimpoffibilité des chofes, & de mefurer l'étendue de la puiffance divine à noftre foibleffe, puifque l'homme le plus âgé n'eft qu'un enfant à l'égard de Dieu, & fa vie un point à comparaifon de l'éter-nité. Tu fçais quelle tempefte il faifoit il y a trois jours, telle qu'il fembloit que le monde deuft abyfmer. Crois-tu qu'il foit plus facile de produire le calme aprés un fi grand orage, que de changer une femme en oifeau? Combien d'une petite boule de cire, les enfans font-ils de figures differentes ? Et tu t'eftonnes que Dieu de cette maffe terreftre, faffe des chofes qui nous foient inconnuës? Ne fçais-tu pas qu'il eft plus haut au deffus de nous, que le Ciel ne l'est au deffus de la terre? Combien un homme furpaffe-t-il un enfant, tant en force qu'en adreffe, jufques-là qu'un feul en battroit des millions? Si nous avons donc tant d'avantage fur nos femblables, quel fera celuy du Createur fur fa creature? Ceux qui n'ont pas appris à écrire, ny à jouer.

des inftrumens, ne fçauroient faire ny F'un ny l'autre fans miracle ; & il n'y a rien de fi facile à ceux qui le fçavent. On peut dire icy la mefme chofe. La Nature d'une matiere informe produit une abeille, d'une adreffe & d'un fçavoir admirable; & d'un œuf, qui n'eft point different d'un autre, en fait deux oifeaux tout differens. Il y a cent autres merveilles qui nous obligent à eftre fort retenus lorfque nous parlons de la puiffance divine. Je laifferay donc cette hiftoire ou cette fable à mes enfans, comme je l'ay receuë de mes peres, & conteray à mes deux femmes Xantipe & Myrto, l'amour que tu as eue pour ton mary, divine Alcyone, & la récompenfe que tu en as receuë du Ciel. Ne veux-tu pas faire le femblable, Cherephon?

CHEREPHON. Ouy, certes, à l'exemple de Socrate, puifque cela fert auffi à entretenir l'amitié conjugale.

Entretenir l'amitié pour ne rien mettre sonjugale: Je finis-là, d'inutile.

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