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sur des béquilles, qui fait trembler tout son corps et semble marcher avec tant de peine, qu'à chaque pas vous diriez qu'il va tomber sur le nez, quoiqu'il ait une longue barbe blanche et un air décrépit, est un jeune homme si alerte et si léger, qu'il passerait un daim à la course. L'autre, qui fait le teigneux, est un bel adolescent, dont la tête est couverte d'une peau qui cache une chevelure de page de cour. Et l'autre, qui paraît en cul-de-jatte, est un drôle qui a l'art de tirer de sa poitrine des sons si lamentables, qu'à ses tristes accens il n'y a point de vieille qui ne descende d'un quatrième étage pour lui apporter un maravédis.

Tandis que ces fainéans vont, sous le masque de la pauvreté, attraper l'argent du public, je remarque bien des artisans laborieux, quoiqu'Espagnols, qui s'apprêtent à gagner leur vie à la sueur de leur corps. J'aperçois de toutes parts des hommes qui se lèvent et s'habillent pour aller remplir leurs différens emplois. Combien de projets formés cette nuit vont s'exécuter ou s'évanouir en ce jour! Que de démarches. l'in

térêt, l'amour et l'ambition vont faire faire !

Que vois-je dans la rue? interrompit don Cléophas qui est cette femme chargée de médailles, que conduit un laquais, et qui marche avec précipitation? Elle a sans doute quelque affaire fort pressante. Oui, certainement, répondit le Diable : c'est une vénérable matrone qui court à une maison où l'on a besoin de son ministère. Elle y va trouver une comédienne qui pousse des cris, et auprès d'elle deux cavaliers bien embarrassés. L'un est le mari, et l'autre, un homme de condition qui s'intéresse à ce qui se va passer: car les couches des femmes de théâtre ressemblent à celles d'Alcmène, il y a toujours un Jupiter et un Amphitryon qui sont auteurs du parti.

Ne dirait-on pas, à voir ce cavalier à cheval avec sa carabine, que c'est un chasseur qui va faire la guerre aux lièvres et aux perdreaux des environs de Madrid? Cependant il n'a aucune envie de prendre le divertissement de la chasse : il est occupé d'un autre dessein. Il va gagner un village où il se déguisera en paysan pour s'intro

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duire, sous cet habit, dans une ferme où est sa maîtresse, sous la conduite d'une mère sévère et vigilante.

Ce jeune bachelier qui passe et marche à pas précipités a coutume d'aller tous les matins faire sa cour à un vieux chanoine qui est son oncle, et dont il couche en joue la prébende. Regardez dans cette maison, vis-àvis de nous, un homme qui prend son manteau et se dispose à sortir. C'est un honnête et riche bourgeois qu'une affaire assez sérieuse inquiète. Il a une fille unique à marier: il ne sait s'il doit la donner à un jeune procureur qui la recherche, ou bien à un fier hidalgo qui la demande. Il va consulter ses amis là-dessus; et, dans le fond, rien n'est plus embarrassant. Il craint, en choisissant le gentilhomme, d'avoir un gendre qui le méprise; et il a peur, s'il s'en tient au procureur, de mettre dans sa maison un ver qui en ronge tous les meubles.

Considérez un voisin de ce père embarrassé, et démêlez dans ce corps de logis, où il y a de superbes ameublemens, un homme en robe de chambre de brocart rouge à fleurs d'or. C'est un bel esprit qui

fait le seigneur en dépit de sa basse origine. Il y a dix ans qu'il n'avait pas vingt maravédis, et il jouit à présent de dix mille ducats de rente. Il a un équipage très-joli; mais il en rabat l'entretien sur sa table, dont la frugalité est telle, qu'il mange ordinairement le petit poulet en son particulier. Il ne laisse pas pourtant de régaler quelquefois, par ostentation, des personnes de qualité. Il donne aujourd'hui à dîner à des conseillers d'état; et pour cet effet il vient d'envoyer chercher un pâtissier et un rôtisseur. Il va marchander avec eux sou à sou; après quoi il écrira sur des cartes les services dont ils seront convenus. Vous me parlez là d'un grand crasseux, dit Zambullo. Eh! mais, répondit Asmodée, tous les gueux que la fortune enrichit brusquement deviennent avares ou prodigues : c'est la règle.

Apprenez-moi, dit l'écolier, qui est une belle dame que je vois à sa toilette, et qui s'entretient avec un cavalier fort bien fait. Ah! vraiment, s'écria le boiteux, ce que vous remarquez là mérite bien votre attention. Cette femme est une veuve allemande,

qui vit à Madrid de son douaire, et voit très-bonne compagnie, et le jeune homme qui est avec elle est un seigneur nommé don Antoine de Monsalve.

Quoique ce cavalier soit d'une des premières maisons d'Espagne, il a promis à la veuve de l'épouser : il lui a même fait un dédit de trois mille pistoles; mais il est traversé dans ses amours par ses parens, qui menacent de le faire enfermer, s'il ne rompt tout commerce avec l'Allemande, qu'ils regardent comme une aventurière. Le galant, mortifié de les voir tous révoltés contre son penchant, vint hier au soir chez sa maîtresse, qui, s'apercevant qu'il avait quelque chagrin, lui en demanda la cause. Il la lui apprit, en l'assurant que toutes les contradictions qu'il aurait à essuyer de la part de sa famille ne pourraient jamais ébranler sa constance. La veuve parut charmée de sa fermeté, et ils se séparèrent tous deux à minuit, très-contens l'un de l'autre.

Monsalve est revenu ce matin : il a trouvé la dame à sa toilette, et il s'est mis sur nouveaux frais à l'entretenir de son amour. Pendant la conversation, l'Allemande a ôté

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