Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il eut le fort que les perfonnes de MNEMON fon caractére éprouvent ordinairèment, & dont ils ne peuvent fe plaindre. Il n'aima jamais perfonne, raportant tout à lui feul; & il ne trouva point d'amis. Il fe fit un mérite & une gloire de jouer tout le monde; & perfonne auffi ne fe fia & ne s'attacha à lui. Il n'avoit cherché qu'à vivre avec éclat, & à fe rendre maître de tout; & il périt miférablement dans un abandon général, réduit, pour toute reffource, aux foibles fecours & au zêle impuiffant d'une femme qui feule prend foin de lui rendre les derniers devoirs.

C'eft environ dans ce tems-ci que mourut le philofophe Démocrite. Il en fera parlé ailleurs.

§. II.

Les Trente exercent d'affreuses cruautés à Athénes. Ils font mourir Théramene un de leurs Collégues. Socrate prend fa défenfe. Thrafibule attaque les Tyrans, fe rend maitre d'Athénes, & y rétablit la liberté.

LE CONSEIL des Trente, que fter. lib. 2. p. Lyfandre avoit établi à Athénes, y 462-479

X.E

Diod. lib. 14.

cap. 8-10.

ARTAXER- exerçoit d'horribles cruautés. Sous prétexte de contenir la multitude dans le devoir, & d'arréter les féditions P.235-238. ils s'étoient fait donner des gardes, Juftin. lib. 5. avoient armé trois mille d'entre les citoiens qui leur fervoient de fatellites, & en même tems avoient ôté les armes à tous les autres. Toute la ville étoit dans l'effroi & le tremblement. Quiconque s'oppofoit à leur injuftice & à leur violence, en devenoit la vi&time. Les richesses étoient un crime, & attiroient à leurs maîtres une condannation certaine, qui étoit toujours fuivie de la mort, & de la confifcation des biens, que les Trente Tyrans partageoient entre eux. Ils firent mourir, dit Xénophon, plus de gens en huit mois de paix, que les ennemis n'en avoient tué en trente ans de guerre.

Les deux plus confidérables d'entre les Trente étoient Critias & Théraméne, qui d'abord avoient été fort unis enfemble, & avoient toujours agi de concert. Ce dernier avoit de l'honneur, & aimoit fa patrie. Quand il vit les violences & les cruautés où fe portoient fes Collégues, il fe déclara ouvertement contre eux, & par là s'attira leur haine. Critias devint

fon plus mortel ennemi, & fe porta MNEMON, pour fon délateur devant le Sénat, l'accufant de troubler l'Etat, & de vouloir renverfer le Gouvernement préfent. Comme il s'aperçut qu'on écoutoit avec filence & approbation la défense de Théraméne, il craignit que fi on laiffoit la chofe à la difpofition du Sénat, il ne le renvoiât abfous. Aiant donc fait approcher des barreaux la jeuneffe qu'il avoit armée de poignards, il dit qu'il croioit que c'étoit le devoir d'un Souverain Ma

[ocr errors]

giftrat d'empêcher que la Juftice ne fût furprife, & qu'il le vouloit faire en cette rencontre. « Mais, conti- « nua-t-il, puifque la loi ne veut pas « qu'on faffe mourir ceux qui font du se nombre des Trois-mille autrement « que par l'avis du Sénat, j'efface Théramene de ce nombre, & le « condanne à mort en vertu de mon ce autorité & de celle de mes Collé- ce gues. « A ce mot Théraméne fautant fur l'autel, « Je demande, dit-il, Athéniens, que mon procès me foit « fait conformément à la loi, & l'on « ne peut me le refufer fans injuftice." Ce n'eft pas que je ne voie affez que « mon bon droit ne me fervira de «

cc

r

X E

[ocr errors]

دو

[ocr errors]

دو

ARTAXER-» rien, non plus que la franchise des » autels: mais je veux montrer au » moins que més ennemis ne refpe» &tent ni les dieux ni les hommes. Je m'étonne feulement que des gens fages comme vous ne voient point, qu'il n'eft pas plus difficile d'effacer » leur nom du rôle des citoiens, que » celui de Théraméne. » Alors Critias ordonna aux Officiers de la Juftice de l'arracher de l'autel. Tout étoit dans le filence & dans la crainte à la vûe des foldats armés qui environnoient le Sénat. De tous les Sénateurs, Socrate feul, dont Théraméne avoit reçu les leçons, prit fa défense, & fe mit en devoir de s'oppofer aux Offi ciers de la Juftice. Mais fes foibles efforts ne purent délivrer Théraméne, & malgré lui il fut conduit au lieu du fupplice à travers une foule de citoiens qui fondoient tous en larmes, & voioient dans le fort d'un homme également confidérable par fon zêle pour la liberté & par fes grands fervices, ce qu'ils devoient craindre pour eux-mêmes. Quand on lui eut préfenté la ciguë, c'eft-à-dire le poifon,

c'étoit la manière dont on faifoit mourir les citoiens à Athénes) il le

prit d'un air intrépide, & après l'avoir MNEMON. bû, il en jetta le refte fur la table de la façon qui s'obfervoit dans les repas de réjouiffance, en difant: Ceci eft pour le beau Critias. Xénophon raporte cette circonstance, peu confidérable en elle-même, pour faire voir, dit-il, quelle étoit la tranquillité de Théraméne dans ce dernier moment.

Les Tyrans, délivrés d'un Collégue, dont la préfence feule étoit pour eux un reproche continuel, ne gardérent plus de mefures. Ce ne fut dans toute la ville qu'emprisonnemens & que meurtres. Chacun craignoit pour foi-même ou pour les fiens. Nulle ref fource dans une défolation fi généra le, nulle efpérance de recouvrer la liberté. Où trouver autant * d'Harmodius, qu'il y avoit alors de Tyrans? Le découragement avoit faifi

a Poterat-ne civitas il- confolabatur, & defpela conquiefcere, in quarantes de Rep. exhortatot tyranni erant, quot batur...& imitari volenfatellites effent? Ne fpes tibus magnum circumquidem ulla recipiendæ ferebat exemplar, cùm libertatis animis poterat inter triginta dominos offerri, nec ulli remedio liber incederet. Senec. de locus apparebat contra tranquill. anım. cap. 3. tantam vim malorum. Unde enim miferæ civitari tot Harmodios? Socrates tamen in medio Serat, & lugentes patres

[ocr errors]

* Harmodius étoit celui qui avoit délivré Athénes de la tyrannie des Pififtratides.

« AnteriorContinuar »