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tes leurs entreprises : je veux dire l'a-
mour & le zêle pour la liberté. C'é-
toit là leur qualité dominante, & le
grand mobile du gouvernement. On
les voit, dès le commencement de la
guerre des Perfes, tout facrifier à la
liberté de la Gréce. Ils abandonnent,
fans héfiter, leurs terres, leurs biens,
leur ville, leurs maifons, pour fe re-
tirer fur des vaiffeaux, afin de com-
battre l'ennemi commun qui vouloit
les affervir. Quel beau jour pour Athé
nes que celui où, tous les Alliés trem-
blant à la vue des offres avantageufes
que lui faifoit le Roi de Perfe, elle ré-
pondit aux Ambaffadeurs de ce Roi
par la bouche d'Ariftide
, que tour
l'or & l'argent du monde n'étoit pas
capable de la tenter, ou de la porter
à vendre fa liberté, ni celle de la
Gréce! C'eft par de fi généreux fen-
timens que les Athéniens, non feule-
ment devinrent le rempart de la
Grèce, mais qu'ils préfervérent le
refte de l'Europe & tout l'Occident
de l'invafion des Perfes

Ces grandes qualités étoient mélées de grands défauts, & fouvent tout contraires, tels qu'on peut fe les iinaginer dans un peuple volage, léger,

Plut. in A

riftid. p. 324

inconftant, capricieux, comme étoit le peuple d'Athénes.

§. VI.

Caractère commun des Lacédémoniens & des Athéniens.

JE NE PUIS m'empêcher de copier ici ce que dit Monfieur Boffuet fur le caractére des Athéniens & des Lacedémoniens. L'endroit eft long, mais ne le paroitra pas ; & il achevera de faire connoitre à fond le génie de ces deux peuples.

Parmi toutes les républiques dont la Grèce étoit compofée, Athénes & Lacédémone étoient fans comparaifon les principales. On ne peut avoir plus d'efprit qu'on en avoit à Athénes, ni plus de force qu'on en avoit à Lacédémone.Athénes vouloit le plaifir: la vie de Lacédémone étoit dure & laborieufe. L'une & l'autre aimoit la gloire & la liberté : mais à Athénes la liberté tendoit naturellement à la licence; & contrainte par des loix févéres à Lacédémone, plus elle étoit réprimée au-dedans, plus elle cherchoit à s'étendre en dominant au-dehors. Athénes vouloit auffi dominer,

mais par un autre principe. L'intérêt fe méloit à la gloire. Ses citoiens excelloient dans l'art de naviger, & la mer où elle régnoit l'avoit enrichie. Pour demeurer feule maitreffe de tout le commerce, il n'y avoit rien qu'elle ne voulût affujettir, & fes richeffes qui lui infpiroient ce defir, lui fourniffoient le moien de le fatisfaire. Au contraire à Lacédémone l'argent étoit méprife. Comme toutes les loix tendoient à faire une république guerriére, la gloire des armes étoit le feule charme dont les efprits de fes citoiens fuffent poffédés. Dès-là naturellement elle vouloit dominer ; & plus elle étoit au-deffus de l'intérêt, plus elle s'abandonnoit à l'ambition.

Lacédémone fa vie réglée,

, par

étoit ferme dans fes maximes & dans fes deffeins. Athénes étoit plus vive, & le peuple y étoit trop maître. La philofophie & les loix faifoient à la vérité de beaux effets dans des naturels fi exquis: mais la raison toute feule n'étoit pas capable de les retenir. Un fage Athénien, & qui con- Plat. lib.3. noiffoit admirablement le naturel de de leg. fon pays, nous apprend que la crainte étoit néceffaire à ces efprits trop

vifs & trop libres ; & qu'il n'y eut plus moien de les gouverner, quand victoire de Salamine les eut raffurés contre les Perfes.

Alors deux chofes les perdirent, la gloire de leurs belles actions, & la fûreté où ils croioient être. Les Magiftrats n'étoient plus écoutés ; & comme la Perfe étoit affligée par une exceffive fujettion, Athénes dit Platon, reffentit les maux d'une exceffive liberté.

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Ces deux grandes Républiques, fi contraires dans leurs mœurs & dans leur conduite, s'embarraffoient l'une F'autre dans le deffein qu'elles avoient d'affujettir toute la Gréce; de forte qu'elles étoient toujours ennemies, plus encore par la contrariété de leurs intérêts, que par l'incompatibilité de leurs humeurs.

Les villes grecques ne vouloient la domination ni de l'une ni de l'autre : car, outre que chacune fouhaitoit pouvoir conferver fa liberté, elles trouvoient l'empire de ces deux Républiques trop facheux. Celui de Lacédémone étoit dur. On remarquoit dans fon peuple je ne fai quoi de faArift. Polit. rouche.Un gouvernement trop rigide

fib. 8. pag. 4.

& une vie trop laborieufe laborieufe y rendoit les efprits trop fiers, trop auftéres, & trop impérieux joint qu'il faloit fe Id. 7. p. 14 réfoudre à n'être jamais en paix fous l'empire d'une ville, qui étant formée pour la guerre, ne pouvoit fe conferver qu'en la continuant fans relâche.

Ainfi les Lacédémoniens vouloient Xenoph. de commander, & tout le monde, crai rep. Lacon. gnoit qu'ils ne commandaffent.

Les Athéniens étoient naturelle Plat. de rep. ment plus doux & plus agréables. Il lib. 8. n'y avoit rien de plus délicieux à voir que leur ville, où les feftins & les jeux étoient perpétuels; où l'efprit, où la liberté & les paffions don noient tous les jours de nouveaux fpectacles. Mais leur conduite iné. gale déplaifoit à leurs alliés & etoit encore plus infupportable à leurs fujets. Il faloit effuier les bizarreries d'un peuple flaté, c'eft-àdire, felon Platon, quelque chofe de plus dangereux que celles d'un Prince gâté par la flaterie.

Ces deux villes ne permettoient point à la Grèce de demeurer en repos. On On a vû la guerre du Péloponnéfe, & les autres, toujours caufées ou entretenues par les jaloufies de

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