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xxxIII.

Comment il

rer

moyen dont doit vfer la frachise de parler d'vn ami pour cula maladie ia auenue, mais pour le preuenir, tout au confaus deffour- traire:car quand nous le voudrons deftourner de commettre ner nos amis vne faute, dont il fera tout preft, on nous oppofer à quelque dun mal que impetuofité de volonté defordonnce qu'il aura, ou le pouffer nous prenoy- & efchaufer,la ou nous le fentirons trop froid & trop mol, il ons, & les faudra trasferer le fait aux plus enormes & plus vilaines caufes que nous pourrons, comme fait Vlyffes pour aiguilloner Achilles en vne Tragedie de Sophocles:car il dit, Ce n'eft pas pour le fouper, Achilles, que tu te courrouces,

pouer à leur denoir.

Mais tu as peur comme defia voyant

Les murs de Troye.

Et comme de rechef Achilles fe courrouçaft encore de plus en plus pour ces paroles-la, & dit que par defpit il ne s'embarqueroit point,& ne feroit point le voyage, Vlyfles luy ref pond,

Le fay que c'est que tu fuis,ce n'eft mie
Que tu ayes peur d'encourir infamie,
Mais c'eft qu'Hector n'eft gueres loing dicy:
Du courroucé fait-il bon faire ainfi.

Par ce moyen celuy qui eft vaillant & hardy, en luy mettant au deuant la crainte d'eftre tenu pour lafche & couard:celuy qui eft honefte,& chafte,d'eftre reputé paillard & diffolu:celuy qui eft liberal & magnifique, d'eftre eftimé auaritieux & mechanique:on les incite à bien faire, & les diuertit-on de mal faire,auffi faut-il eftre moderez quad ce font chofes faites, où il n'y a point de remede, tellement que la remonftráce monftre que le reprenant ait plus de defplaifir & de compaffion de la faute de fon amy,que non pas d'aigreur à le reprendre:mais où il eft queftio de les garder qu'ils ne faillent, & de combatre contre leurs violentes paffions, il faut là eftre vehemens affidus,& inexorables, fans leur rien pardonner:car c'eft là proprement le poinct de l'occafion,où fe doit monftrer l'amitié non feinte,& la franchife de remonftrer veritable: car de blafmer les chofes faites & paffees, nous voyos que les enRemede pour nemis mefmes en vfent les vns contre les autres. Auquel progarder vnhopos Diogenes fouloit dire, que pour garder vn home d'eftre mefchant, il faut qu'il ait ou de bons amis,ou de vehemés & afpres ennemis:car les vns l'enfeignet à bie faire, les autres le fyndiquet,s'ils le voyét mal faire.Or vaut-il beaucoup mieux s'abftenir de mal faire en croyat au bon cofeil de fes amis,que fe repentir d'auoir mal fait pour s'en voir acufe & blafmé par

me d'eftre merchant.

fes ennemis. Parquoi ne fuft-ce que pour cela, il faut vfer de grande prudence & de grande circonfpection à faire remonitrances & parler librement à fes amis, d'autant que c'eft la plus grande & la plus forte medecine dont puis vfer l'amitié & qui a plus de befoin d'eftre donnee en temps & lieu,& plus fagement teperee d'vne mefure & mediocrité.Et pour autant, XXXIIII. comme nous auons ia dit plufieurs fois, que toute remon- Conclufion, ftrance & reprehenfio eft douloureufe à celuy qui la reçoit,il fur le propos faut imiter en cela les bons medecins & chirurgiens:car qual du devoir de ils ont incifé quelque membre ils ne laiffent pas la partie do- vraye amitié, lente en fa douleur & en fon tourment, ains vfent de quel- c'est que toute ques fomentations ou infufions lenitiues:auffi celuy qui aura remonstrance fait la remonstrance dextrement, apres auoir donné coup de doit eft rem la pointure ou morfure, ne s'en fuira pas incontinent,ains en perée de changeant d'autres entretenemés & d'autres propos gracieux, deftie. adoucira & refiouyra celuy qu'il aura contrifté: ne plus ne moins que les tailleurs d'images & fculpteurs, quand ils ont rompu ou frapé trop auant quelque partie d'vne statuë,ils la poliflent & la luftrent puis apres:mais celuy qui a efté ateint au vif & defchiré d'vne remonftrance,fi on le laiffe ainfi tout brufqué enflé & efmeu de colere,il eft puis apres dificile à remettre & à reconforter. Pourtant faut-il, que ceux qui veulent reprendre & admonefter leurs amis, obferuent diligemment ce point la fur tous autres,de ne les abandonner pas incontinent apres les auoir tanfez,ni ne terminer pas tout court leur propos & leurs deuis par l'aigreur de la pointure & picqueure qu'ils leur auront donnee.

Dela Manfuetude, Comment il faut refrener
la colere,en forme de deuis.

Les perfonnages deuifans Sylla, Fundanus.

SOMMAIRE.

Apres auoir aprins à difcerner le flatteur d'auec l'amy, ce traité de la douceur & comme il faut refrener la colere semble estre ici mis en fon propre endroit. Car tout ainfi qu'il nous eft aifé de faillir lourdement au chois de ceux que nous fommes bien aifes de voir autour de nous, come en cela nous deuons eftre fur nos s gardes:außi nous n'awons pas moins d'ocafion de confiderer comme nous conuerfons auce

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nos prochains. Or entre tant de vices qui difament la vie humaine,& qui rendent noftre courfe fafcheufe & merueillenfemet penible à paffer, la colere tient l'vn des premiers rangs tellement qu'il ne fermrois de rien d'auoar de bons amis fi ceste furie nous maistrisoit: comme au contraire les flatteurs & autres telles peftes n ont pas aifee prinse sur nous,lors que nous smmes acompagnez d une douceur prudente.Dóques en ce difcours noftre auteur faisant comme vn expert medecin, safche de purger les efprits de tonte colere, & les veut duire à modeftie & humanité,autant que la Philofophie morale le peut faire. Pour paruenir à un tel bie:il monftre en premier lieu que nous deuɔns procurer que nos amis nous remarquent nos imperfections, que de longue main nous foyons acoustumez à retenir noftre ingement par le mords de la raifon Et apres quelques fimilitudes fur ce propos & defcription des maux de la colere,il prouue qu'on la peut aisement reprimer, en propofe diuers moyens fur lefque's il difcourt à fu facon acoustumee, c'est à fauoir auec les raisons & inductions enrichies de fiimlitudes exeples remarquables.Puis ayant parlé du temps & de la maniere de chaffier ceux qui font en noftre puissance,il met en auät les remedes pour guerir la colere & garder qu'on n'y retõbe plus. Cela fait il reprefente la colere comme en un tableau, afin que ceux qui se laiffent gagner à icelle,ayent honte de leur m lheur donne cinq auertiffemens notables pour l'auenir,qui font comme pr. feruatifs pour ne fe fentir plus ateint de celle maladie.

1. Comentant se difcours par une fimilitu de gentile, il monftre que pour bien bri

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من

YLLA.Il me femble, Seigneur Funda nus, que les peintres font fagement de contempler à plufieurs fois par interualles de temps,leurs ouurages, auant que le tenir pour acheuez, pource qu'en efloignant ainfi leurs yeux d'iceux,& puis les der la colere, ramenant fouuent pour en iuger comme nous deuons nouueaux iuges & plus afpres à toucher iufques aux moindres& plus particulieres fautes defquelles la nous laiffer continuation, &acouftumace de voir ordinairemet vne chofe voir inger nous couure & cache. Mais pourautat qu'il n'eft pas poffible par les vrais qu'vn home s'efloigne de foy mefine,& puis s'e raproche par amis qui nous interualles,ne qu'il interrompe la continuation de fon fentipeuuent def ment ains eft ce qui fait que chacun eft pire iuge de foycouurir nos mefme que des autres: le fecond remede qu'il auroit en cela, imperfectios feroit de reuoir fes amis par interualles & aufli se bailler femblablemet à visiter à eux no feulement pour regarder fi on eft

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toft enuieilli,ou fi le corps fe porte pis ou mieux que parauat, mais auffi pour confiderer les mœurs & les façons de faire,à fauoir fi le temps y auroit point aiqufté quelque chofe de bo, ou ofté quelque chofe de mauuais. Quant à moi donc y ayant ia deux ans que ie fuis arriué en cefte ville de Rome,& ceftui eftat le cinquiefme mois que ie demeure auec toy,ie ne trouue pas estrange, veu la gentillefle & dexterité de ta nature, qu'aux bonnes parties qui ia eftoyét en toy,il y ait vn acroiffement fi grand: mais voyant comme celle vehemenee & ardente impetuofité de colere,qui eftoit en toy, eft maintenant adoucie & rendue obeiflance à la raison,il me vient en pésee de dire ce qui eft en Homere,

O Dieux combien ton ire eft amollie?

Mais ceft amoliffement & adouciffement-la ne procede pas ni d'vne parelle, ni d'vne refolution de la vigueur du corps, ains comme vne terre bien labouree prend du labourage vne egalité:& profonde iauge qui profite à la fertilité: auffi à ta nature vne prudence egale& profonde,vtile à manier afaires, au lieu de l'impetuofité & foudaineté qu'elle auoit au parauant:dont il apert que ce n'eft point par vn declinement de la vigueur corporelle qui fe pafle,à caufe de l'aage, ni fortuitement,que ta colere fe foit paffee & fence, ains par aucunes bonnes remontrances & raifons qu'elle ait efté guarie:combien que, pour te dire la verité,ie ne pouuois pas du commecement croire à Eros noftre familier ami,qui m'en faifoit le rapport,ayant doute & foupçon, qu'il ne preftaft ce tefmoignage à l'amitié qu'il te porte, de m'affeurer que les bonnes parties, & qui doyuent eftre en toutes gens de bien & d'honeur,fuflent en toi,qui n'y eftoyent pas, encore que tu faches affez,qu'il n'eft pas homme qui en faueur de perfonne, pour luy complaire, foit pour dire autrement qu'il en penfe. Or maintenant le tien-ie pour totalement abfous du crime de faux telmoignage & pource que le cheminer t'en donne le loifir,ie te fuplie de nous racōter la maniere de la medecine dont tu as vfé à rédre ta colere ainfi fouple, ains douce,fuiete & obeiflante entierement à la raifon.

FVNDAN VS. Mais ne regardes-tu pas toy mefme,cher ami Sylla, qu'à l'ocafion de l'amitié & bien vueillance que tu me portes, tu ne cuides voir en moy vne chofe pour l'autre:car quant à Eros, qui luy mefme n'a pas toufiours fon

Iliad. li. 22

mer la colere

que la raifon foit acoustumee de loque main à contregarder & conferuer le ingement.

courage&fa colere atestee au chable de l'achre que dit Home re.ains qlquefois s'efcarmouche affez afpremet, pour la haine qu'il a contre les mefchas,il eft vrai-femblable qu'il me trouue plus doux,ainfi comme és muances de la game,en la mu11. Fl faut, fique,telle note qui eft la plus baffe, en vne octaue,cft la plus haute au regard d'vne autre.SILI. Ce n'eft ni l'vn ni l'autre: pour repr mais fai ce que ie te requiert pour l'amour de moi. FVN D AN. Puis qu'ainfi eft,Sylla,I'vn des meilleurs auertiffemés du fage Mufonius,dótil me fouuiene,eft,qu'il fouloit dire qu'il fautq ceux qui fe veulet fauuer ne facet autre chofe toute leur vie, que fe curer & nettoyer:no pas qu'il faille ieter hors la raifon auec la maladie, apres qu'elle a acheué la cure & guarifon,cóme l'helebore, ains faut que demeurant en l'ame elle contregarde,& conferue le iugement:pource que la raifon ne refséble pas aux drogues medecinales, mais pluftoft aux viades falubres engendrans és ames de ceux à qui elle eft familiere vne bonne complexion & habitude auec la fanté:là où les auertillemes & remonftrances qu'on fait aux paffions, lors qu'elles font en la force de leur enfleure & inflammation, pro duifent bien quelque efect,mais lentement & à grand peine, reflemblans proprement aux odeurs, lefquelles font bien reuenir fur l'heure ceux qui font tõbez du haut mal, mais elles ne guariffent pas pour cela la maladie : encore toutes les autres paffios de l'ame fur le poinct mefme qu'elles font en leur plus grande fureur cedent aucunement, & plient a la raison venant de dehors au fecours, mais la colere ne fait pas feulement comme dit Melanthius,

Maux infinis,en mettant la raison,

Pour un temps,hors de fa propre maison:

Belles fimilitudes mofträs Mais elle la defloge du tout,& la ferme dehors, & comme le mal de la font ceux qui fe bruilent eux-mefmes dedans leur maifon colere, quand elle remplit tout le dedans de trouble, de fumee,de bruit, de. la raifon n'a maniere qu'elle n'oit,ni ne void rien de ce qui luy peut profiprins de bone ter.Et pourtant vne nauire eftant en fortune & tourmente en heure poffef haute mer abandonnee,receuroit pluftoft vn pilote de dehors fion de l'ente- que ne receuroit l'homme,qui eft agité de courroux& de colere, la raifon & remonftrance d'vn autre,fi de longue main il n'a fait prouifion chez luy du fecours de la raifon:ains comme ceux qui s'atendent d'auoir le fiege de as vne ville amaffent & ferrent tout ce qui leur y peut feruir, ne s'atendans point au fecours de dehors: auffi faut-il aporter les remedes qu'on a de long temps auparauant amaflez de la Philofophie

dement.

den

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