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toute la rigueur du fort qui vous perfecute la tendre amitié qui a toujours été entre nous, & un amour malheureux, me rendent bien fenfible à vos peines. Je vous plains; mais puis-je vous le dire? Le Comte de Dammartin n'eft point coupable envers vous : vous êtes tous deux trompez, & tous deux, le jouet de la paffion deMadame de Rofoi, Dammartin vous affaffine fans le fçavoir. Je vois que vous goûtez peu la fagcffe & l'équité de mon raisonnement poursuivit le Grand Sénéchal; je vois que je ne puis vous faire connoître l'injuftice du projet,que l'ardeur de vous vanger vous fait concevoir: Hé bien! je vais vous forcer à y renoncer. Je viens ici de la part de votre Roi, de ce Roi qui vous a tant donné de marques d'amitié, de ce Roi à qui vous ne fçauriez défobéir

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fans être ingrat; je viens, disje, de la part vous défendre fous peine d'encourir fa difgrace, de fortir de Paris fans fa permiffion. Songez, mon cher Roger, au refpect que vous devez à de pareilles défenfes. Je promis au Grand Sénéchal d'obeïr: je fis plus; je lui parus, ainfi qu'à mon pere, dans cette résolution : car je ne doutai point que ce dernier n'eût prié le Vicomte de Melun, d'inftruire Philippe des deffeins que je formois.

Ćes défenfes & refpectables d'un Roi pour qui je donnerois ma vie, ne purent rien fur moi. Ma paffion, ou plûtôt ma fureur, me fit de même oublier le chagrin que j'allois donner à mon pere. Vous fçavez que mon fidéle Clouville eft Breton; je lui confiai mon deffein: il me promit de me mener à Nantes par

des chemins fi détournez, qu'on ne pourroit m'y fuivre. Je m'échappai la nuit fuivante avec lui: nous étions tous deux déguisez ; nous arrivâmes enfin à Nantes. Dès l'inftant même, j'envoïai par Clouville, un Billet, ou plûtôt un Cartel au Comte de Dammartin. Sa fituation n'étoit pas heureufe. La douleur de Mademoiselle de Rofoi, fans nul ménagement pour lui, & les nouvelles qu'il avoit reçûës de fon frere, ne l'avoient que trop inftruit de notre tendreffe réciproque & de mon défespoir. Mon arrivée ne l'étonna point: il promit de bonne grace de fe rendre le lendemain, à la pointe du jour, dans un Bois qui eft entre Nantes & Angers. Je m'y rendis; mais quelle fut ma furprise, lorsqu'au lieu d'y trouver le Comte de Dammartin, je me vis entouré

d'un

d'un nombre de Gendarmes,dont l'Officier me dit, qu'il avoit ordre de s'affurer de ma perfonne, pour me remettre fur les Frontieres de France ! Je crus d'abord que mon Ennemi, pour éviter let combat, m'avoit trahi, ou plûtôt qu'il s'étoit trahi lui-même. J'en reffentis une indignation que je ne pus m'empêcher de témoigner à l'Officier qui me conduifoit; mais il m'apprit que Renaud & mon pere avoient donné avis au Duc de Bretagne, de ma défobéiffance aux ordres du Roi; que le Duc inftruit, prefdans le moment, de mon que arrivée à Nantes, avoit fait arrêter le Comte de Dammartin fur qui l'on avoit trouvé mon Cartel de défi. Il m'apprit auffi qu'il ne feroit en liberté, qu'au moment qu'il deviendroit poffeffeur de Mademoiselle de Rofoi. Tome I.

N

Malgré ma fureur contre Dammartin, je bannis fans regret le foupçon injurieux à fon honneur, que j'avois formé trop legerement.

Mon escorte me quitta fur la Frontiere. Je continuai ma route accablé de trifteffe, de honte & de dépit. J'étois à vingt lieuës de Paris, quand je rencontrai le Vicomte de Melun: il me dit naturellement qu'il alloit à Nantes. Ah! Vicomte, m'écriai-je, vous allez à Nantes! Jufte Ciel! vous y allez pour y figner ma mort, l'efclavage de la malheureuse Alix, & le bonheur d'un perfide, que le Duc de Bretagne vient de fouftraire à ma vangeance.

Vous connoiffez, mon cher Raoul, l'efprit fouple, infinuant & adroit du Vicomte de Melun & vous fçavez quelle eft fon éloquence naturelle; elle fçait le

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