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les raisons que vous y opposerez, & ne les combattrai point en pere qui veut être obéï. Je ne veux, mon fils, vous contraindre sur rien; je ne fuis occupé que de votre bonheur: fi votre cœur est prévenu en faveur de quelque personne de la Cour, faites-m'en, fans feinte, la confidence. Je ne dois pas me faire un mérite auprès de vous, répondis-je, de la docilité que vous me trouverez à faire tout ce que vous pourrez defirer. L'ardeur de plaire au Roi, l'ambition de mériter fon eftime, & le defir d'acquérir de la gloire, en profitant des leçons & des exemples de mon Oncle, ont jusqu'à ce moment rempli mon cœur ; l'amour ne s'en eft point encore rendu le maître; j'ignore l'effet de ces impreffions vives, qui, en troublant la raison, s'effacent fi difficile

ment. Il peut m'avoir favorise de quelques-uns de ses plaisirs; mais il a bien voulu m'épargner la peine de porter des chaînes trop pesantes: heureux! s'il me traite toujours de même. Je fuis charmé, me répliqua mon pere, de vous trouver libre de tout engagement: depuis long-tems je ménage pour vous un grand mariage dans cette Province. Il ajouta, qu'étant unique héritier de fes biens & de son nom, je ne pouvois trop tôt lui donner la douce fatisfaction de se voir renaître dans mes enfans. J'entrai dans toutes ses raisons, & je l'affurai qu'il étoit le maître de ma destinée.

A quelques jours de-là, mon pere me dit qu'il convenoit que je visitasse les personnes diftinguées de la Province. Vous n'aurez pas de peine, poursuivit-il,

à deviner, dans toutes ces Familles, la Beauté que je vous destine: votre cœur vous en avertira, & votre surprise m'instruira de vos sentimens. Quoique la proposition de mon pere ne fût pas fort de mon goût, je parus y déferer fans répugnance.

Nous voilà en chemin : je vous épargnerai, mon cher Raoul, le détail de ces visites. Je vis de vieux Seigneurs, hérissez de leur nobleffe, de leur probité, & de leurs Forteresses, où ils se croïoient de petits Souverains: je vis des meres fieres de la beauté de leurs filles, fans être humiliées de la perte de la leur: je vis des filles belles fans agrémens, dont les figures & l'esprit manquoient de graces. Mon pere, à qui je disois librement ce que je pensois, m'écoutoit, rioit, & alloit toujours en avant. Nous arrivâmes enfin

chez le Seigneur de Rosoi : j'y trouvai l'opposé de tout ce que j'avois vû. Je vis un vieux Seigneur, qui laissoit aux autres le soin de se souvenir de ce qu'il étoit; qui avoit cette politeffe & cette fine galanterie, dont la Cour est l'unique école ; qui avoit l'efprit vif & moderé. Je vis une mere qui, fans être humiliée de la beauté surprenante de fa fille, étoit fiere de la fienne. Madame de Rosoi n'avoit pas encore trente-deux ans, & elle n'en paroifsoit pas vingt-cinq: fa beauté & les graces qui accompagnoient toute sa personne, ne laissoient rien à defirer en elle. Si sa fille alors dans sa seiziéme année n'eût pas été à ses côtez, au mo-ment que je la saluai, elle m'eût paru ce que j'avois jamais vû de plus beau. Mes regards étonnez, se partagerent d'abord entre la

mere & la fille, & fe fixerent fur Alix de Rofoi: l'admiration fut le premier hommage que je lui rendis. Mon pere m'examinoit, & jugeoit mieux que moi, de ce qui se passoit dans mon cœur. Mes yeux attachez sur Mademoifelle de Rofoi; mon embarras à chercher les termes les plus propres & les plus respectueux, pour lui marquer que l'admiration n'étoit pas le seul sentiment qui s'emparoit de mon ame, ne lui laifferent aucun doute. Il vit, avec un plaisir extrême, les charmes de Mademoiselle de Rosoi, triompher de ma liberté. Pour moi, un peu revenu de ma premiere surprise, je ne pouvois comprendre qu'une fille élevée dans une Province, quelque foin qu'on eût pris de son éducation, fût si parfaite. J'étois étonné de la trouver si semblable à ce pe

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