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Aux Platons, comme à moi, l'énigme inconcevable. à
Le nuage s'écarte, et mes yeux sont ouverts.
Je vois le coup fatal qui change l'univers;

J'y vois entrer le crime et son désordre extrême;
Enfin, je ne suis plus un mystère à moi-même.
Le noeud se développe, un rayon qui me luit,
De ce sombre chaos a dissipé la nuit.

Mais l'enfant innocent peut-il pour héritage...
Ce doute seul, hélas! ramène le nuage;

Et ce n'est plus encor qu'un chaos que je voi.
Dieu, l'homme et l'univers, tout y rentre pour moi.
Quand je la lumière aussitôt m'est rendue,
Bien, homme et l'univers, tout revient à ma vue.
L'ouvrage fut parfait ; il est défiguré. d

Apprenons à quel point l'homme s'est égaré.

a Pourquoi sur la terre tant de beautés et d'imperfections? pourquot dans l'homme tant de grandeur et de misère ? pourquoi dans Dieu tant de colère et d'amour ? La raison, qui ne peut expliquer cette énigme, aimoit mieux autrefois admettre deux principes, l'un bon, l'autre mauvais, que de n'en admettre qu'un si contraire à lui-même. La révélation nous apprend que les contrariétés ne sont point dans l'ouvrier, et ne sont dans l'ou vrage que par le changement que le péché y a cause. L'édifice est ren versé mais ses ruines font reconnoître sa grandeur,

b L'homme, dit M. Pascal, en parlant du péché originel, est plus in concevalle sans ce mystère, que ce mystère est inconcevable à l'homme. Sans la cón pissance de ce mystère, nous ne pouvons expliquer le désordre de l'univers et les malheurs de l'homme, au lieu que notre raison nous fait entrevoir quelque explication de ce mystère, tout obscur qu'il est, comme je le dirai dans le chant V sur le vers 331.

c Tout ceci suppose ce qui a été dit à la fin du second chant.

d Chose inconevable! des païens, dans les désordres du monde et les malheurs de l'homme, ont vu un Dieu irrité! et des chrétiens, instruits par la révélation des causes de cette colère, n'ont pas voulu la reconnor tre ! Les uns ont inventé le système de l'état de pure nature, les autres ont soutenu, avec Pope, que tout étoit bien.

M. Bossuet dit admirablement: L'homme est tombé en ruines, le comble s'est abattu sur les murailles, et les murailles sur le fondementi mais qu'on remue ces ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment i renversé, et les traces de la fondation, et l'idée du premier dessein, et ⚫ la marque de l'architecte,

Le père criminel d'une race proscrite Peupla d'infortunés une terre maudite.

Pour prolonger des jours destinés aux douleurs,
Naissent les premiers arts, enfans de nos malheurs. a
La branche en longs éclats cède au bras qui l'arrache;
Par le fer façonnée, elle allonge la hache;

L'homme avec son secours, non sans un long effort,
Ebranle et fait tomber l'arbre dont elle sort;
Et, tandis qu'au fuseau la laine obéissante
Suit une main légère, une main plus pesante
Frappe à coups redoublés l'enclume qui gémit;
La lime mord l'acier, et l'oreille en frémit.
Le voyageur, qu'arrête un obstacle liquide,
A l'écorce d'un bois confie un pied timide.
Retenu par la peur, par l'intérêt pressé,

Il avance en tremblant; le fleuve est traversé.
Bientôt ils oseront, les yeux vers les étoiles,
S'abandonner aux mers sur la foi de leurs voiles.
Avant que dans les pleurs ils pétrissent leur pain,
Avec de longs soupirs ils ont brisé le grain.
Un ruisseau par son cours, le vent par son haleine,
Peut à leurs foibles bras épargner tant de peine;
Mais ces heureux secours, si présens à leurs yeux,
Quand ils les connoîtront, le monde sera vieux.

a La Genèse en marque la naissance long-temps avant le déluge, Lu. crèce prouve que le monde n'a pas été éternel, par la naissance des arts. Pope, dans son Essai sur l'houime, prétend que les bêtes nous ont appris les arts, l'abeille à bâtir, la taupe à labourer, les vers à faire de la toile, etc. Démocrite avoit eu la même opinion. Mais qu'en peut-on sa. voir ? Nous avons assez de sujets véritables de nous humilier, sans en chercher d'incertains. Il est remarquable que la Genèse donne l'invention des instrumens de musique, et l'art de fondre les métaux, à la race des méchans, à celle de Caïn.

6. On sait que les anciens ne connoissoient que les moulins à bras. Une ancienne épigramme grecque fait juger que les moulins à eau ont été connus du temps d'Auguste; cependant il ne paroît pas que les Romains en aient fait usage. D'abord on faisoit rôtir du blé, et on le broyoit avec une pierre ; ce qui a fait dire à Virgile: Et torrare parant flammis, et fran- * gere saxo. L'usage des meules vint ensuite. Les moulins à vent n'ont été counus que très-tard.

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Homme né pour souffrir, prodige d'ignorance,"
Où vas-tu donc chercher ta stupide arrogance!
Tandis que le besoin, l'industrie et le temps
Polissent par degrés tous les arts différens,
Enfantés par l'orgueil, tous les crimes en foule
Inondent l'univers; le fer luit, le sang coule.
Le premier que les champs burent avec horreur,
Fut le sang qui d'un frère assouvit la fureur.
Ces malheureux, tombant d'abîmes en abîmes
Fatiguèrent le Ciel par tant de nouveaux crimes,
Qu'enfin, lent à punir, mais las d'être outragė,
Par un coup éclatant, leur maître fut vengé.
De la terre aussitôt les eaux couvrent la face
Ils sont ensevelis: c'étoit fait de leur race;
Mais un juste épargné va rendre en peu de temps, a
A ce monde désert de nouveaux habitans..
La terre toutefois, jusque là vigoureuse,
Perdit de tous ses fruits la douceur savoureuse.
Des animaux alors on chercha le secours :
Leur chair suutint nos corps réduits à peu de jours.
Les poètes, dont l'art, par une audace étrange,
Sait du faux et du vrai faire un confus mélange,
De leurs récits menteurs prirent pour fondemens,

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a Bérose, historien profane, cité par Josèphe contre Appion, parle du déluge universel dans les termes de Moïse, Abydenus, autre historien cité par Eusèbe, rapporte l'histoire de l'arche qui sauva du déluge les hommes et les animaux. Plutarque parle de la colombe qui sortit de cette arche, et rapporta des marques du retour du beau temps. Ce passage de Plutarque est dans son Traité; Si les animaux terrestres ont plus de sagacité que les aquatiques. Lucien, dans son Traité de la déesse de Syrie, parle aussi de cette histoire de l'arche. Tant d'autorités tirées des païens doivent confondre ces beaux esprits qui tournent en risée des faits éclatans, dont ils n'ont point approfondi les preuves. Mais leurs railleries ne peuvent séduire que ceux qui ont, comme eux, l'ignorance en partage.

b Le vingt-neuvième verset du premier chapitre de la Genèse, a tou. jours fait croire qu'avant le déluge, Dieu n'avoit pas permis aux hommes de la chair des animaux, et que ceux qui furent fidèles à ces ordres s'en abstinrent. Ce qui se rapporte à ce que disent les poètes, que dans l'âge d'or on ne mangeoit que des fruits,

Les fidèles récits de tant d'événemens: a
Et, pour mieux amuser les oisives oreilles,

Cherchèrent dans ces faits leurs premières merveilles.
De là ces temps fameux qu'ils regrettent encor,
Doux empire de Rhée, âge pur, siècle d'or,
Où sans qu'il fût besoin de lois ni de supplice,
L'amour de la vertu fit régner la justice.

Siècle d'or (sous ce nom, puisqu'ils ont célébré
Ce siècle plus heureux, où l'or fut ignoré)!
Sobre dans ses désirs, l'homme, pour nourriture,
Se contentoit des fruits offerts par la nature.
La mort, tardive alors, n'approchoit qu'à pas lents.
Mais, las de dépouiller les chênes de leurs glands,
11 essaya le fer sur l'animal timide.

La flèche dans les airs chercha l'oiseau rapide,
L'ianocente brebis tomba sous sa fureur;
Et, ce sang au carnage accoutumant son cœur,
Le fer devint bientôt l'instrument de sa perte,
Et de crimes enfin la terre étoit couverte,
Lorsqu'un déluge affreux en fut le châtiment. d

a La création du monde, l'innocence des premiers hommes, et leur chute dans le crime, l'àge d'or, l'âge d'airain et de fer, un déluge d'ou un seul homme est sauvé avec sa femme, le partage de l'univers entre trois frères, une guerre des hommes contre le ciel : voilà de grands évé nemens dont la mémoire se trouve chez les différentes nations, ou pure ou altérée, parce qu'ils sont arrivés avant la division des langues, quand les hommes n'étoient qu'une famille. Après leur séparation, chaque par. tie divisée fit un peuple à part, qui a souvent ignoré ce qui s'est passé chez les autres.

b Aurea prima sata est ætas, quæ, vindice nullo, Sponte suâ, sine lege, fidem, rectumque colebat;

Pana metusque oberant.

OVID. Métam. Liv. I, 89.

c Plusieurs anciens historiens cités par Josèphe, attestent la longue durée de la vie des premiers hommes. L'Ecriture Sainte, histoire et les poètes, disent la même chose.

d Quelques impies, voulant nier le déluge universel, disent que les espèces des animaux sont en trop grand nombre pour avoir pu être renfermées dans l'arche. On peut répondre à cette objection, que les espè ses primitives ne sont sont pas en si grand nombre qu'on le croit commune

Tout nous rappelle encor ce grand événement.

ment. Toutes les espèces de chiens, par exemple, peuvent venir d'un premier chien, de même que toutes les espèces de poires viennent d'un premier poirier. Les mêmes pepins produisent des poires différentes • et la même graine d'une fleur produit différentes espèces de cette fleur. Les espèces primitives des animaux se sont multipliées en des espèces particulières , par des différences dans la forme extérieure seulement; quoique l'arrangement des parties principales du corps humain, et la disposition des parties intérieures, soient toujours les mêmes, la nature 9 par une différence qu'elle met entre les hommes pour la grandeur, la grosseur et la couleur, compose comme différentes tribus d'une même famille, sortant d'un même père. Le temps et plusieurs causes particu lières que nous ignorons, ont fait ces changemens extérieurs; cc sont des jeux de la nature, qui, par tant d'autres encore, semble se plaire à exer cer notre curiosité pour la confondre.

J'ai fait voir de quelle manière on pouvoit répondre à ceux qui veulent prouver l'impossibilité d'un déluge universel, par l'impossibilité d'un bâtiment assez vaste pour contenir toutes les espèces d'animaux. J'ai avancé que les espèces primitives n'étoient pas en si grand nombre, et que la variété dans la forme extérieure des corps organisés, étoit une suite des jeux de la nature. Ainsi, parmi les hommes, les uns sont grands, les autres petits; les uns sont blancs, les autres sont noirs; les uns sout basanés, et les autres sont o livâtres. Cependant, comme ees variétés accidentelles se perpétuent par la génération, les incrédules, à qui tout sert de prétexte pour douter, en veulent conclure qu'il y a des espèces differeutes d'hommes, et que par conséquent tous les peuples ne sortent pas d'une même tige. Quelques auteurs, qui avoient plus de piété que de phi: losophie, ont répondu à cette objection, que la couleur noire étoit atta chée à la postérité de Canaan, comme un signe de malédiction, dont Noé frappa l'un de ses fils. Il s'ensuivoit de là que tous les nègres seroient de la race de Canaan, ce qui n'est point, et qu'ils seroient honteux de leur couleur. Ils sont si éloignés de la croire un signe de malédiction, qu'ils la croient la couleur de la beauté, et se figurent le diable blanc. Toutes ces variétés extérieures sont sujettes au changement; ce qui prouve qu'elles sont les effets passagers des causes passageres. Nous ne ressemblons plus aux peuples qui habitoient autrefois notre pays. Que sont devenus ces anciens Gaulois, dont les historiens font une peinture hideuse ? Cette race a cessé par le mélange, Les Arabes, qui demeure. rent long-temps en Espagne, et qui étoient originairement noirâtres, se retirèrent les uns vers Maroc, les autres vers Tunis. Ceux qui se répandirent sur la côte occidentale de l'Afrique, y devinrent plus noirs qu'aut

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