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D'un empire vainqueur des hommes et des temps.
Mais ce n'est point assez qu'annonçant ces miracles,
Des prophetes nombreux répètent leurs oracles.
Tout rempli du dessein qu'il doit exécuter,
Dieu par des coups d'essai semble le méditer :
A nos yeux à toute heure il en montre une image,
Et dans ses premiers traits crayonne son ouvrage.
Que les plus tendres mains conduisent au bûcher
Ce fils obéissant qui s'y laisse attacher;
Paisible sacrifice, où le prêtre, tranquille,
Va frapper, sans pâlir, sa victime immobile
Que l'enfant le plus cher, en esclave vendu,
Et du sein de l'opprobre à la gloire rendu.
Aimé, craint, adoré des villes étrangères
Soit enfin reconnu par ses perfides frères

Pour le sang d'un agneau, que, rempli de respect,
L'ange exterminateur s'écarte à son aspect:
Que de tant de maisons au glaive condamnées,
Celles que teint ce sang, soient seules épargnées :
Qu'en attachant ses yeux sur un signe élevé,
Par un heureux regard le mourant soit sauvé :
Que le jour de tristesse où le grand-prêtre expire,
A tant de malheureux que son trépas retire
Des asiles prescrits à leur captivité,
Devienne un jour de grâce et de félicité :
Que par les criminels proscrits pendant l'orage,
Le juste, en périssant, les sauve du naufrage:
Qu'il revive, et ne soit victime que trois jours
Du monstre qui parut l'engloutir pour toujours.
Tout m'annonce de loin ce que le ciel projète;
Et sans cesse conduit par un peuple prophète,

a In diebus autem regnorum illorum, suscitabit Deus cæli regnum quod in æternum non dissipabitur.... Dan. 2.

b Saint Augustin dit, en parlant des patriarches, que non seulement leur bouche étoit prophétique, mais que toute leur vie l'étoit aussi. Illorum non tantum lingua, sed et vita prophetica fuit. Tertullien a dit de mêmé: Ut verbis, ità et rebus prophetatum. De tant de figures, je ne rap porte que quelques-unes des plus éclatantes, comme Isaac, Joseph, l'agneau pascal, le serpent d'airain, les villes de refuge, d'où l'on ne pou

J'arrive pas à pas au terme désiré,

Où le Dieu tant de fois prédit et figuré

Doit de son règne saint établir la puissance,

Ce règne dont mes vers vont chanter la naissance.

voit sortir qu'à la mort du grand-prêtre, et enfin Jonas. Le célèbre évêque de Rochester, qui mourut à Paris il y a quelques années, méditoit un ouvrage sur la religion chrétienne, qu'il vouloit prouver par les types. En effet, un homme qui soutiendroit que la ressemblance qui se trouve dans les événemens arrivés à tant de personnes differentes, ne s'y trouve que par le hasard, et n'a aucun rapport à Jésus-Christ, seroit aussi peu sensé que celui qui, voyant plusieurs portraits du roi, fait par différens peintres, soutiendroit qu'aucun de ces peintres n'a eu dessein de représenter le roi, et que tous ces portraits ne lui ressemblent que par hasard. Les figures commencent avec le monde, Adam est le premier prophète et la première figure de Jésus-Christ. Comment entendre autrement son sommeil mystérieux et la formation de son epouse? Il est d'abord environné d'animaux, qui ne sont attachés qu'aux choses sensibles, et ne peuvent être sa société. Il tombe dans le sommeil, et, à son rẻveil, il trouve son image dans une épouse sortie de la plaie faite à son côté, formée de son cœur, ennoblie par son sang, digne d'être sa société, et il la rendra féconde. Jésus-Christ, avant sa mort, et parmi des hommes plongés dans leurs sens, et indignes d'être sa société. A son réveil, après sa résurrection, il trouve l'épouse, à laquelle l'ouverture faite à son côté a donné naissance; elle est formée dans son cœur, ennoblie par son sang ; et il la rendra féconde. Toutes les figures se prête nt mutuellement leur lumière. L'une achève ce que l'autre a commencé ; et toutes réunies ensemble annoncent l'humiliation et la mort de JésusChrist, sa résurrection, sa gloire et son Eglise.

FIN DU TROISIÈME CHANT.

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CHANT QUATRIÈME.

23

Les empires détruits, les trônes renversés, a
Les champs couverts de morts, les peuples dispersés,
Et tous ces grands revers, que notre erreur commune
Croft nommer justement les jeux de la fortune,
Sont les jeux de celui qui, maître de nos cœurs,
A ses desseins secrets fait servir nos fureurs,
Et, de nos passions réglant la folle ivresse,
De ses projets par elle accomplit la sagesse.
Les conquérans n'ont fait, par leur ambition,
Que hâter les progrès de la religion;

Nos haines, nos combats ont affermi sa gloire :
C'est le prouver assez que conter son histoire.

Je sais bien que, féconde en agrémens divers,
La riche fiction est le charme des vers.

Nous vivons du mensonge, et le fruit de nos veilles N'est que l'art d'amuser par de fausses merveilles ; Mais à des faits divins mon écrit consacré,

Par ces vains ornemens seroit déshonorė.

a Quand nous regardons, avec M. Bossuet, tous les événemens du monde dans ce point de vue, l'histoire universelle devient l'histoire de la religion. Tous les empires, dit-il, ont concouru aux biens de cette , religion et à la gloire de Dieu,qui s'en est servi pour châtier, ou pour exercer, ou pour étendre, ou pour protéger son peuple. Ne soyons point étonnés lorsque Cyrus, en détournant tout-à coup l'Euphrate, entre vainqueur dans Babylone par un passage si extraordinaire; ne soyons point surpris de l'heureuse témérité d'Alexandre, ni de la fortune de Cé sar. Tout cède à ces trois conquérans, parce que Dieu veut que tout leur cède, pour opérer par eux les grands changemens qu'il a résolu de faire sur la terre.

Religion,

G

Je laisse à Sannazar son audace profane : a
Loin de moi ces attraits que mon sujet condamne
L'ame de mon récit est la simplicité.

lci tout est merveille, et tout est vérité.

Le Dieu, qui dans ses mains tient la paix et la guerre, Tranquille au haut des cieux, change à son gré la terre. Avant que le lien de la religion b

Soit le lien commun de toute nation,

Il veut que l'univers ne soit qu'un seul empire.
L'ambition de Rome à ce dessein conspire;
Mais un état si vaste, en proie aux factions
Est le règne du trouble et des divisions.

Il veut que sur la terre, aux mêmes lois soumise
Un paisible commerce en tous lieux favorise
De ses ordres nouveaux les ministres divins.
1ls pourront les porter par de libres chemins,
Si l'univers n'a plus pour maître qu'un seul homme.
a J'ai parlé dans ma préface, de l'abus que Sannazar avoit fait des
fictions, dans son poëme de partu Virginis.

Polybe et Plutarque reconnurent eux-mêmes que la fortune des Romains n'étoit pas l'effet d'une fortune aveugle, mais d'une providence divine. Ils ne pouvoient savoir quel étoit le dessein de cette providence. M. Bossuet nous le fait remarquer, et Origène avoit avant lui fait la même réflexion sur cet empire universel de Rome, au temps de Jésus Christ. Le commerce de tant de peuples autrefois étrangers les uns aux autres, et depuis réunis sous la domination des Romains, fut un des plus puissans moyens dont Dieu'se servit pour hâter le cours de l'Evangile.

c Ce projet d'être seul maître de l'univers, est conçu par César'; et quiconque examine les obstacles qu'il avoit à surmonter, trouvera son projet contraire à toute puissance bumaine, Il falloit que César fût alors entraîné comme dit Cicéron, par quelque esprit de folie, amentiâ quâdam raptus. Il revient des Gaules avec une armée très-petite, si on la compare à celle qu'on peut lui opposer dans l'Italie. Il a contre lui, à Rome, tous ceux qui sont les soutiens de la liberté; et quels hommes ! des Caton, des Brutus, des Cicéron, des Pompée. Cependant, lorsqu'au heu d'obéir à l'ordre qu'il reçoit de congédier son armée, il lève l'étendard de la guerre civile en passant le Rubicon, ce moment de témérité est celui de son bonheur, Les provinces qui peuvent l'arrêter à chaque pas sont saisies de frayeur. L'alarme est dans Rome; les chefs de la répu blique s'en retirent: Pompée, au lieu d'y attendre César, entraîne avec

C'est ce Dieu qui la veut ; la liberté de Rome,
Ranimant ses soldats par César abattus,

Du dernier coup frappée expire avec Brutus. a
Dans ses nombreux vaisseaux une reine ose encore
Rassembler follement les peuples de l'aurore.
Elle fait, l'insensée ! avec elle tout fuit,
Et son indigne amant honteusement la suit.
Jusqu'à Rome bieutôt par Auguste traînées,

lui hors de l'Italie toutes les forces du sénat ; et du jour qu'il sort de Rome, jusqu'à la déroute de Pharsale, la conduite de cet homme, autrefois si sage, et si grand homme de guerre n'est qu'une suite d'imprudences, comme on le voit par les lettres de Cicéron. César, devenu le maître, gouvernoit avec douceur, son ambition étant satisfaite : comme il n'avoit point d'enfans, il eût pu, à la mort, rendre aux Romains la liberté. Ceux qui l'assassinèrent, dans l'intention de rétablir la république, la perdirent pour jamais. Cette grande révolution étoit arrêtée dans les décrets du Ciel; et, quand le Ciel le veut, les hommes sont aveugles.

a La liberté romaine fut frappée d'un si grand coup, que ce peuple si fier, qui avoit traité jusque là les rois avec tant de mépris et de baine que les poètes appeloient Populum latè regem, devint le peuple de la terre le plus esclave: et sous quels maîtres? Auguste arrive par le sang et les proscriptions au pouvoir suprême; il le garde pendant quarante ans, fatigué des honneurs ridicules qu'on lui rend, accablé des éloges outrés que les poètes prodiguent à un prince qui les méritoit peu. Il laisse, en mourant, son pouvoir au fils de sa femme, dont il connoissoit tous les défauts. Son indigne successeur, ennuyé bientôt de la facilité qu'il trouve à établir la tyrannie, s'écrioit en regardant les Romains: O homines ad servitutem natos! Qui regarde ces étonnans changemens avec des yeux éclairés par la religion, voit la main qui les opère.

b Antoine, qui fut mis en fuite avec Cléopâtre dans la bataille d'Actium, avoit rassemblé les forces de l'Orient.

Victor ab aurora populis et littore rubro
Egyptum viresque Orientis, et ultima secum
Bactra vehit.

Eneid. VIII. 686.

c C'est ce magnifique triomphe chanté par Virgile :
Incedunt victæ longo ordine gentes,

Quàm variæ linguis, habitu tam vestis et armis.
Hic nomadum genus, et distinctos Mulciber Afros,
Hic Lelegas, Carasque, sagitti ferosque Gelonos
Pinzerat. Euphrates ibat jam mollior undis,
Extremique hominum Morini, Rhenusque bicornis
Indomitique Daha, et pontem indignatus Araxes.

Eneid. VIII. 722. et suiv.

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