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rice pour s'y mettre à couvert d'un orage. Mes petites façons lui plûrent; il crût voir en moi quelque chofe qui n'étoit pas de Païfanne : il s'informa qui j'étois, aprit mon Avanture, puis fe tournant avec un foûris vers un Gentil-homme qui l'accompagnoit : Voilà, lui dit-il, une grande cruauté d'abandonner ainfi un enfant, cependant cette petite fille feroit un jour parfaitement belle, je veux prendre foin de la faire élever, pour voir fi je me ferai trompé. Et en effet depuis ce moment-là, jusqu'à fa mort, il ne me laiffa manquer d'aucune chose néceffaire à mon éducation : même il en fit tant, qué quand on le fçût, cela fit dire à plufieurs que je lui devois la vie, & quelques-uns l'entendoient malicieufement. Toutefois on m'a bien affuré qu'il n'étoit pas mon pere, & que fa chaffe l'avoit amené par hafard dans ce petit hameau, où l'orage lui avoit

fait choifir la maison de ma Nour rice entre toutes les autres, quoiqu'elle ne fût point la plus proche du côté par où il arrivoit: Je m'en raporte à ce qu'il en eft, & ne ferai point parente à Meffieurs fes héritiers, s'ils ne le veulent : C'est affez parler de cela.

Le premier foin de ce genereux Duc fut de m'ôter à la Païfanne pour me donner à quelqu'un qui pût m'élever avec plus de foin. Il y avoit à Pezenas un Financier dont la femme étoit de fes amies, & cet homme lui avoit obligation de toute fa fortune: On nourriffoit à ces gens-là, en une de leurs métairies, une petite fille de mon âge qui étoit abandonnée des Medecins, & on attendoit tous les jours l'heure qu'elle mourut Il n'étoit pas mal-aifé de me mettre en fa place dès qu'elle feroit morte, & de faire acroire, en la changeant de main auparavant, qu'on l'auroit depuis guerie

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à force de bons remedes. (Voyez un peu, Madame, par quel chemin la fortune me guidoit aux avantures? ) Cet échange fe fit affez adroitement. Le Financier en usa le mieux du monde : Je deviens par ce moïen la cadette d'un fils qu'il avoit, & le denier confidérable que le Duc lui donna en même-tems, lui infpira toute la tendreffe qu'il faloit pour bien contrefaire une amitié paternelle.

Je ne fatiguerois peut-être point Votre Alteffe, en commençant mon hiftoire par ce qui a pû rendre mon enfance auffi furprenante que le refte de ma vie. J'avois un petit air galant qui accufoit quafi ce Seigneur d'être mon pere; de l'efprit, de la vanité, du courage, & une telle difpofition à bien prendre l'accent de toutes les langues, que comme le fils de mon Financier avoit des gens auprès de lui, pour les lui monj'en apris en peu de tems

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jufqu'à l'Allemand même, avec une merveilleufe facilité. J'avois auffi une grande paffion pour la chaffe, & enfin jufques-là on n'avoit gueres vû de fille méprifer, comme moi, dès l'âge de dix ans tous les divertiffemens du fexe pour monter à cheval, tirer un piftolet, ou faire quelqu'autre femblable exercice. Et il ne feroit pas impoffible que des inclinations fi extraordinaires euffent fait naître quelques petites Avantures affez jolies, fi je voulois m'en reffouvenir: mais mon deffein eft de ne parler ici que de ce qu'a vû le grand monde, & je n'avois alors que des témoins de peu d'importance.

Je dirai feulement que je ne connoiffois point d'autre pere & mere que les gens à qui l'on m'avoit donnée; & que je n'en fus détrompée que bien tard par une Avanture affez nouvelle.

La femme de mon Financier étoit

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bien faite, & avoit beaucoup d'efprit. Un Marquis de Birague, homme de naiffance, & tout plein de belles qualitez, tel enfin que (fi je n'ai pas eu en ce tems-là affez de confidération pour lui, parce qu'il étoit marié) je ferois fort aife d'être fervie par un femblable Cavalier, maintenant, qu'il eft veuf. Ce galant homme, dis-je, voyoit fouvent la belle Dame de Moliere c'eft ainfi que s'apelloit cette femme. Le mari les trouva tous deux endormis l'un près de l'autre, dans un petit bois de l'une de ses maifons, à l'heure qu'ils le croyoient loin de-là fort occupé à fon emploi. Je ne fçai pas bien comment la Dame fe démêla de cette furprise; mais enfin quelques jours après, je reconnus que ce mari ayoit deffein de s'en venger, & que dans fon ame, il avoit médité de me faire partager le foin de cette vengeance. Le détail de la maniere dont

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