fieffées. Il y avoit du péril, après toutes les avances qu'elle m'avoit faites, à ne pas répondre précisément & promptement à fes defirs, & fa Confidente avoit tâché, autant qu'elle avoit pu, de me le faire preffentir dans fon meffage. Je n'ofois auffi lui déclarer mon fexe; il n'y eût pas eu de prudence à cela, mon fecret eût pu paffer en de mauvaise mains, & le dépit que la Dame auroit pu avoir elle-même d'en voir un de l'importance du fien entre les miennes, ne l'auroit peut-être pas moins pouffée à me jouer un mauvais tour. Une autre circonftance m'allarmoit fort, c'est qu'elle avoit fçu, je ne fçai comment, que je n'étois pas le vrai Prince de Salmes, & qu'elle ne me découvroit point par-là la feule raifon de fon amour. A quoi m'étoisje enfin réfoluë? à feindre d'accepter le grand honneur qu'elle me faifoit, & d'avoir de l'impatience d'en jouir, puis à fortir au plus vîte du Royaume avant que les trois jours qu'elle m'avoit donnez à me préparer, je ne fçai pas pourquoi, fuffent expirez. J'en confultai Saint-Canal qui s'épouventant d'abord bien plus que moi que moi, me dit qu'il n'y faloit pas balancer, & j'étois prête à exécuter dès le lendemain cette réfolution, fi la rencontre inopinée du Comte d'Englefac, qui avoit enfin obtenu fa grace & étoit revenu la veille à Paris, ne m'eût donné occafion de changer toutes mes mefures. Il faut dire les incidens de cette renconauffi-bien que du refte. J'avois accoutumé de faire ma Cour tous les foirs chez Madame où l'on difoit que la belle Madame du Ludre m'attiroit ; d'autres croyoient que c'étoit la charmante Mademoiselle de Fiennes mais cela importe peu à ce que je veux tre... raconter. Comme j'y étois allée encore le foir même que j'avois reçu le meffage, de peur qu'on ne m'y trou vât à dire j'y rencontrai de prime-abord le jeune Comte d'Englefac, parmi le Chevalier de Lorraine, le Marquis de Villeroi, le Prince de Monaco, le galant Benferade que votre Alteffe aime tant, & parmi quelques autres; bien changé à la vérité de ce qu'il étoit à Bruxelles ; car il rioit, chantoit, n'avoit plus d'amour, ou s'il étoit encore amoureux, du moins ne fembloit-il plus que ce fût de moi.. Quoique rien ne l'obligeât à se tuer, plutôt de mélancolie en mon abfence que jufques-là je n'avois fait en la fienne, & que peut-être même il fe fût toujours tourmenté inutilement à me demeurer fidelle, je ne laiffai pas d'être fort furprise de le retrouver fi dégagé, & cet étonnement fut caufe que je n'abordai pas les Dames avec ma bonne grace ordinaire. Englefac qu'on n'avoit prefque amené encore tout poudreux, que pour lui faire voir l'homme qui étoit en fi grande réputation , ne parut pas moins furpris en jettant les yeux fur mon vifage, & penfa tout gâter en fe formant des imaginations ridicules; car il me confeffa depuis qu'il s'étoit figuré qu'on m'avoit déguisée exprès pour lui faire cette galanterie, fçachant l'amour qu'il avoit pour moi : voyez quelle aparence à cela, & dans le lieu où \.nous étions. Ce qui l'embaraffoit encore plus, il s'étoit vanté d'avoir connu particulierement le jeune Prince de Salmes en Allemagne, comme il étoit vrai ; & n'ayant confenti, pour ainfi dire, à venir-là dès ce foir, que pour lui faire compliment fur le bruit de fes proueffes, il ne voyoit plus à qui s'adreffer. L'avanture étoit délicate, il m'expo foit, s'il croyoit que c'étoit moi, en ne feignant pas de me reconnoître pour ce Prince de Salmes & je me trahiffois de mon côté, fi mon defordre continuoit à fa vûë. Nous en fortimes toutefois à notre bonheur, en faisant tous deux notre devoir. Je m'imagine encore entendre le compliment folâtre qu'il me vint faire, en m'embraffant comme si j'euffe été ce Prince ; qu'il entremêla de tant de tranfports, que pour empêcher le malheur qui alloit arriver, je fus contrainte de lui en avoüer plus que je ne voulois, & de lui faire comprendre en deux paroles de quelle importance il étoit qu'il feignît bien. Il monta au fortir de-là dans mon Caroffe, pour me reconduire jufques chez moi ; & votre Alteffe me difpenfera de lui raconter tout ce que la joye fit dtre à cet Amant tranfporté, qui n'étoit pas fi dé |