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tre Alteffe en puiffe rire, dans le même tems qu'elle me plaindra d'autre chofe; & il me femble que quand elle ne m'en auroit pas donné la permission, je ne devrois pas laiffer de le faire; car fans cela Madame, vaudrois-je les momens que vous employeriez à la lecture d'une fi ennuyeufe Hiftoire que celle de ma vie?

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Je m'y crois encore d'autant plus engagée, qu'affurément on n'a incité Votre Alteffe à m'honorer do

fes Lettres, , que dans l'efperance d'une réponse qui feroit de ce caractere ; & c'est pourquoi je la suplie de prendre tout en bonne part.

Pour commencer : Je n'ai jamais bien fçû qui j'étois ; je fçai seulement que je ne fuis pas une perfonne qui ait de communes deftinées ; que ma naissance, mon édu cation & mes mariages ont été l'effet d'autant d'avantures extraor、 dinaires ; & que fi je voulois em

prunter l'éclat de quelque Heroïne fabuleufe, il fe trouveroit des gens au monde, comme peut-être il s'en est déja trouvé, qui travailleroient à apuyer la fable de ma genealogie, pour en rendre l'hiftoire plus obfcure.

Je fus nommée Henriette - Sylvie, par l'ordre de ma mere même, à ce que l'on m'a dit. Henriette fans doute, pour quelque raifon qui n'étoit connuë que d'elle feule, & Sylvie, aparemment parce que j'étois venuë au monde à l'entrée d'un bois apellé le bois de Sylves; je reçûs le nom de Moliere, qui m'eft demeuré par habitude, de ceux qui fe donnerent le foin de m'élever, & qui le portoient euxmêmes.

Au refte je fuis grande & de bonne mine; j'ai les yeux noirs & brillans, bien ouverts, bien coupez, & qui marquent affez d'efprit, on jugera fi j'en ai, Ma bouche eft.

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grande quand je ris fort petite quand je ne ris point; mais par malheur pour elle, je ris toujours. J'ai les dents belles, le nez bien fait, la gorge comme le teint, c'eft-à-dire admirable, & quand on devroit m'accufer de présomption, j'ajouterai, Madame, qu'on en voit bien peu de pareilles. Mais je ferois trop long-tems à faire mon portrait en détail. On peut s'imaginer que je fuis quafi une beauté achevée, depuis la tête jufqu'aux pieds. Ceux qui ont vû ce que j'en laiffe voir, témoigneront que je ne me farde pas. Ceux qui ne m'ont pás vûë, croiront, s'ils le veulent, que je me plains ainfi à plaifir; ils aimeront toujours mieux l'idée d'une belle perfonne, que celle d'une laide, ou ils feront gens de mauvais goût je dis toutefois la vérité à Votre Alteffe.

Je me crois difpenfée de nommer la famille dont je fuis defcen

duë, après ce que j'ai dit. Peutêtre que mes parens m'ayant trouvée digne d'eux, après avoir lû l'hiftoire de ma vie, encheriront fur le bien que de charitables perfonnes m'ont déja fait, & déveloperont un jour le fecret entier de ma naiffance › pour l'ajouter à mes autres fortunes ; & fi cela arrive, je promets quelque chofe d'illuftre; car je me fens bien, & je ne puis croire qu'un mal- honnête homme foit le pere d'une fille de ma forte.

Quoiqu'il en foit, on m'a affuré que je vis le jour dans un hameau fitué à l'entrée d'un bois, à deux ou trois lieuës de Montpelier, fur le bord de la mer. Quatre hommes & deux femmes y amenerent celle qui m'a mise au monde, au mois de Juillet de l'année mil fix cens quarante-fept. Ils aborderent dans une chaloupe qu'on brûla fur le rivage après avoir pris terre. raifon? Je ne la fçai pas. On choi

La

fit la premiere maison qui fe trou va ; c'étoit celle d'une pauvre femme qui nourriffoit fon enfant. Ma mere, qui qu'elle foit, n'y fut pas une heure, qu'elle accoucha. On fit nourrir l'enfant de la Païfanne par une autre, & on me mit entre fes mains avec une fomme d'argent, puis la nuit venue, on difparut. La Païfanne qu'on avoit logée ailleurs pour cette nuit, trouva le lendemain qu'on avoit emporté ma mere à la faveur des tenebres. Si on me demande où ? Je le fçai encore moins que le reste, je voudrois le fçavoir, plus pour ma fatisfaction que pour celle des autres; je devois pourtant nommer celle de Votre Alteffe toute la premiere.

Je fus élevée jufqu'à cinq ans dans ce hameau, fans être reclamée de perfonne, & environ ce tems-là Monfieur le Duc de Candale s'avifa de venir chaffer fur cette côte : il entra dans la cabane de ma Nour

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