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ELOGE DE M. BERNOULLI.

JA

Acques Bernoulli nâquit à Bafle le 27 Decembre 1654. Il étoit fils de Nicolas Bernoulli encore vivant, qui a des charges confiderables dans fa Republique. Un des freres de celui dont nous parlons, eft encore plus élevé en dignité que fon Pere.

M. Bernoulli reçut l'éducation ordinaire de fon temps; on le destinoit à étre Miniftre, & on lui apprit du Latin, du Grec, de la Philofophie Scolastique, nulle Geometrie, mais dés qu'il eût veu par hafard des figures geometriques, il en fentit le charme, fi peu fenfible pour la plûpart des Efprits. A peine avoit-il quelque Livre de Mathematique, encore n'en pouvoit-il jouïr qu'à la dérobée, à plus forte raison il n'avoit pas de Maître, mais fon goût, joint à un grand talent, fut fon Précepteur. Il alla même jufqu'à l'Aftronomie, & comme il avoit toûjours à vaincre l'oppofition de fon Pere qui avoit d'autres veuës fur lui, il exprima fa fituation par une Devise où il representoit Phaeton conduifant le Char du Soleit, avec des mots Latins qui fignifioient, Je fuis parmi les Aftres malgré mon Pere.

Il n'avoit que 18 ans, & n'étoit prefque encore Mathematicien que par fa violente inclination pour les Mathematiques, lorfqu'il refolut ce Problême Chronologi que affés difficile, où les années du Cycle Solaire, du Nombre d'or, & de l'Indiction étant données, il s'agit de trouver l'année de la Periode Julienne.

A 22 ans il fe mit à voyager. Etant à Geneve, il apprit à écrire à une fille qui avoit perdu la veuë deux mois aprés fa naiffance, & il imagina pour cela un moyen nouveau, parce qu'il avoit reconnu & par raifonnement & par experience l'inutilité de celui Cardan a propose. A Bordeaux, il fit des Tables Gnomoniques uni

que

verfelles, qui font prefentement prêtes à imprimer. Aprés avoir veu la France, il revint chès lui en 1680. Là il commença à étudier la Philofophie de Descartes. Cette excellente lecture l'éclaira plus qu'elle ne le perfuada, & il tira de ce grand Auteur affés de force pour pouvoir enfuite le combattre lui-même.

Heureusement à la fin de 1680, il parut un Phenomene propre à exercer un Philofophe naiffant. C'étoit cette Comete, qui a fait naître des Ouvrages fameux, & entre autres, le premier que M. Bernoulli ait donné au Public. Il l'intitula, Conamen Novi Syftematis Cometarum, pro motu eorum fub calculum revocando, & apparitionibus prædicendis. Il fuppofe que les Cometes font des Satellites d'une même Planete, fi élevée au deffus de Saturne, quoique placée dans le Tourbillon du Soleil, qu'elle eft toûjours invifible à nos yeux, & que fes Satellites ne deviennent vifibles que quand ils font par rapport à nous dans la partie la plus baffe de leur cercle. De-là il conclut que les Cometes font des Corps éternels, & que leurs retours peuvent être prédits, ce qui eft auffi la penfée de M. Caffini. La Comete de 1680 doit, felon le Syftême & le calcul de M. Bernoulli, reparoître en 1719 le 17 Mai, dans le premier degré 12' de la Balance. Voilà une prédiction bien hardie par l'exactitude des circonstances.

Ici, je ne puis m'empêcher de rapporter une objection qui lui fut propofée trés-ferieusement, & à laquelle il daigne répondre de même, c'eft que fi les Cometes font des Aftres reglés, ce ne font donc plus des fignes extraordinaires de la colere du Ciel. Il effaye plufieurs réponses differentes, & enfin il en vient jufqu'à dire que la Tête de la Comete qui eft éternelle n'eft pas un figne, mais que la Queue en peut être un, parce que, felon lui, elle n'est qu'accidentelle, tant il faloit encore avoir de menagements pour cette opinion populaire, il y a 25 ans. Maintenant on eft difpenfé de cet égard, c'est-à-dire que le gros du monde eft gueri fur le fait des Cometes, & que les fruits de la faine Philofophie fe font répandus de pro

che en proche. Il feroit affés bon de marquer, quand on le pourroit, l'Epoque de la fin des erreurs qu'elle a dé

truites.

En 1682 M. Bernoulli publia fa Differtation De gravi tate Etheris. Il n'y traite pas seulement de la pefanteur de l'Air, fi inconteftable & fi fenfible par le Barometre, mais principalement de celle de l'Ether, ou d'une matiere beaucoup plus fubtile que l'Air que nous refpirons. C'est à la pefanteur & à la preffion de cette matiere qu'il rapporte la Dureté des Corps. Il proteste dans fa Préface qu'en imaginant ce Siftême, il ne fe fouvenoit point de l'avoir lû dans le célebre Ouvrage de la Recherche de la Verité, & il s'applaudit d'être tombé dans la même penfée que le P. Mallebranche, &, ce qui eft encore plus remarquable, d'y être arrivé par le même chemin.

Comme l'alliance de la Geometrie & de la Phifique fait la plus grande utilité de la Geometrie, & toute la folidité de la Phifique, il forma des Affemblées & une efpece d'Academie, où il faifoit des Experiences qui étoient ou le fondement, ou la preuve des calculs geometriques, & il fut le premier qui établit dans la Ville de Bafle cette maniere de philofopher, la feule raisonnable, & qui cependant a tant tardé à paroître.

Il penetroit déja dans la Geometrie la plus abftrufe, & la perfectionnoit par fes découvertes, à mesure qu'il l'étudioit, lorfqu'en 1684 la face de la Geometrie chan gea prefque tout à coup. L'Illuftre M. Leibnits donna dans les Actes le Leipfic quelques effais de fon nouveau Calcul differentiel, ou des Infiniment petits, dont il cachoit l'art & la methode. Auffitôt Ms. Bernoulli, car M. Bernoulli l'un de fes freres, & fon cadet, fameux Geometre, a la même part à cette gloire, fentirent par peu qu'ils voyoient de ce calcul quelle en devoit être l'étendue & la beauté, ils s'appliquerent opiniatrément à en chercher le secret,& à l'enlever à l'inventeur, ils y reüffirent, & perfectionnerent cette Methode au point que M. Leibnits par une fincerité digne d'un grand hom

le

me a déclaré qu'elle leur appartenoit autant qu'à lui. C'eft ainfi que le moindre rayon de verité qui s'échape au travers de la nuë eclaire fuffifamment les grands Efprits, tandis que la verité entierement dévoilée ne frape pas les

autres.

La Patrie de M. Bernoulli rendit justice à un Citoyen qui l'honoroit tant, & en 1687 il fut élu par un confentement unanime Professeur en Mathematique dans l'Université de Bafle. Alors il fit paroître un nouveau talent, c'est celui d'inftruire. Tel eft capable d'arriver aux plus hautes connoiffances qui n'eft pas capable d'y conduire les autres & il en coûte quelquefois plus à l'Efprit pour redefcendre, que pour continuer à s'élever. M. Bernoulli par l'extrême netteté de fes Leçons, & par les grands progrés qu'il faifoit faire en peu de temps, attira à Bafle un grand nombre d'Auditeurs Etrangers.

Les exercices que demandoit la place de Profeffeur produisirent entre autres fruits tout ce qu'il a donné fur les Series ou Suites infinies de Nombres. Il s'agit de trouver ce que vaut la fomme d'une infinité de Nombres reglés felon quelque ordre ou quelque loi, & fans doute la Geometrie ne montre jamais plus d'audace que quand elle prétend se rendre maîtreffe de l'infini même, & le traiter comme le fini. Par-là on découvre des Rectifi. cations, ou des Quadratures de Courbes, car toutes les Courbes peuvent paffer pour des fuites infinies de lignes droites infiniment petites, & les efpaces qu'elles comprennent pour une infinité d'efpaces infiniment petits, tous terminés par des lignes droites. Tantôt on trouve que ces Suite's, qui comprennent une infinité de termes, ne valent neanmoins qu'un certain terme fini, & alors les Courbes qu'elle reprefentent font ou rectifiables, ou quarrables, tantôt on trouve que ces Suites fe perdent dans leur infini, & fe dérobent abfolument au Calcul, & en ce cas là les longueurs des Courbes ou leurs efpaces échapent auffi à nos recherches. Archimede paroît avoir été le premier qui ait trouvé la fomme d'une Pro

greffion geometrique infinie décroiffante, & par-là il découvrit trés ingenieulement la Quadrature de la Parabole; M. Wallis, célébre Mathematicien Anglois, a compofé fur ces fuites fon Arithmetique des Infinis, & aprés lui Mrs Leibnits & Bernoulli poufferent encore cette Theorie beaucoup plus loin.

* V. l'Hift.

Mais le travail le plus affidu de M. Bernoulli eut pour objet le Calcul des Infiniment petits, & les recherches où il étoit neceffaire. Lui & le petit nombre de ses pareils avoient découvert comme un nouveau Monde inconnu jufque-là, d'un abord difficile, même dangereux, d'où l'on rapportoit des richeffes immenfes, que l'on neût pas trouvées dans l'Ancien. Déja en faisant l'Eloge de feu M. le Marquis de l'Hôpital, nous avons fait en de 1704. p. partie celui de M. Bernoulli, parce qu'ils ont fouvent 125. donné par la Methode qui leur étoit commune la folution des mêmes Problêmes, où toute autre Methode n'auroit point eu de prife. Nous ne repeterons point ici ce qui a été dit, nous y ajouterons feulement quelques unes des découvertes particulieres à M. Bernoulli.

Le Calcul differentiel étant fuppofé, on fait combien est neceffaire le Calcul Intégral, qui en eft, pour ainfi dire, le renversement; car comme le Calcul differentiel defcend des grandeurs finies à leurs infiniment petits, ainsi le Calcul integral remonte des infiniment petits aux grandeurs finies, mais ce retour eft difficile, & jufqu'apresent impoffible en certains cas. En 1691 M. Bernoulli donna deux Effais du Calcul Intégral, les premiers qu'on eût en. core veus, & ouvrit cette nouvelle carriere aux Geo. metres. Ces deux Effais regardoient la rectification & la quadrature de deux differentes efpeces de Spirales; l'une eft formée par les extrêmités des Or données d'une Parabole ordinaire, dont l'axe feroit rou lé en cercle, l'autre eft la Spirale Logarithmique, qui fait toûjours le même angle avec fes Ordonnées concourantes à fon centre. Et comme la Courbe appellée Loxodromique, décrite par un Vaiffeau qui fuit toûjours le même

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