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Le jeune Luzincour promit à fon père de fuivre fes confeils & de juftificr fes efpérances; il paffa encore un mois avec lui. Au bout de ce tems il partit avec Damoville; il fut loger à Paris chez un Avocat célèbre, parent de fon père, & Damoville loua un petit appartement dans la même rue. Dès le lendemain de fon arrivée, Damoville courut avec empreffement chercher tous les Gensde-Lettres dont il avoit reçu des réponses fi flateuses; il en fut accueilli avec bienveillance, & bientôt on lui proposa de travailler à un Journal. On lui fit connoître les principes qu'il devoit adopter. On démêla facilement qu'il avoit toute l'étendue d'efprit qu'on pouvoit lui defirer, & on lui prédit qu'il feroit fon chemin & qu'il iroit loin.

Tandis que Damoville, dévoué à fes nouveaux protecteurs, s'abandonnoit aux plus brillantes efpérances, Luzincour menoit un genre de vie bien différent. Darnay, cet Avocat, parent de fon père, chez lequel il logeoit, avoit épousé la fœur d'un Peintre célèbre, & voyoit beaucoup d'Artistes. Cette fociété convenoit parfaitement à Luzincour, qui naturellement aimoit les Arts, & qui fentoit combien il eft néceffaire que dans un Homme de lettres ce goût fi noble foit éclairé

& fondé fur des connoiffances réelles. Luzincour avoit appris à deffiner, il favoit la mufique, il écoutoit, avec autant d'intérêt que d'attention, la converfation des Artiftes qui fe raffembloient tous les jours chez Darnay; il fe lia particulièrement avec plusieurs d'entre-eux; il alloit les voir travailler, il les fuivoit dans les cabinets de tableaux, dans les falles du Louvre. Tel étoit l'emploi de fes matinées; il paffoit une partie de l'aprèsmidi au Spectacle, & le foir, avant de fe coucher, il ne manquoit jamais d'écrire fur un journal (qu'il continua toute fa vie) le détail de ce qu'il avoit entendu ou vu de plus intéreffant dans le cours de la journée.

Au milieu de ces amusemens il s'affligeoit vivement de ne plus voir Damoville, entièrement perdu pour lui depuis trois mois ; il avoit voulu vainement l'attirer chez Darnay. Damoville aimoit à parler, à differter, il defiroit briller & non s'instruire, la fociété de Darnay l'ennuya; il y parut un moment & n'y revint plus ; cependant la vanité le rendit à Luzincour : il s'étoit formé, des fentimens de ce dernier à son égard, l'opinion la plus fauffe; il lui fuppofoit une haute idée de fes talens & de fon mérite : l'orgueil

leux n'eft pas fait pour fentir ou pour reconnoître la fidelle amitié. Les égards, les ménagemens délicats, les foins qui viennent du cœur ne font à fes yeux que des hommages & l'aveu de fa fupériorité; & dans le plus tendre Ami, jamais il ne verra que fon admirateur. Enfin, Damoville éprouva le befoin d'entretenir Luzincour de fes nouveaux fuccès. Il va le trouver un matin pour fe juftifier de l'avoir négligé fi long-temps; il lui détaille avec emphafe les occupations qui l'accablent, les travaux dont il eft chargé; il lui renouvelle l'affurance d'une amitié à toute épreuve.

Luzincour s'attendrit, & Damoville venant au fait ma confiance en toi, lui dit-il, eft fans bornes, & je vais te le prouver en t'instruisant avec exactitude de tout ce qui me touche. Mon ami, je t'apporte une Épître en vers qui n'est point encore imprimée, & qui eft adreffée au Philofophe de Ferney; je la lui envoyai il y a trois semaines, & j'ai reçu de lui, ce matin, une réponse en vers que je te lirai tout - à - l'heure. Écoute d'abord mon Épître. A ces mots, Damoville tire fon manuscrit de fa poche, & lit à haute voix une ennuyeuse & longue Épître dictée d'un bout à l'autre par la flatterie la moins dé

licate. Cependant le Philofophe de Ferney, dans fa réponse, comparoit les talens de Damoville à ceux de la Fare & de Chaulieu. Damoville avoit, difoit-il, leur grace & leur facilité, fans qu'on pût lui reprocher leur négligence & leurs défauts.

Luzincour, furpris & confondu, gardoit le filence. Damoville parloit toujours: tu juges bien, difoit-il, qu'en faifant imprimer mon Épître, j'y joindrai la réponse, Mais je ne te Pourquoi donc ? — II

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le confeillerois pas.......... me femble qu'il n'eft pas convenable de faire imprimer foi-même fon éloge. Raffure-toi ; c'eft un ufage très-établi. Non-feulement un Auteur fait imprimer fans fcrupule des vers & de la profe à fa louange; mais il peut encore citer, dans une Préface, les chofes flatteufes qu'il a recueillies dans la fociété ; & même, s'il a du génie, il eft le maître de créer & d'inventer un mot heureux qu'on attribue communément alors au protégé qui s'en charge, ou bien à l'ami qui n'eft plus. Si ces petites licences n'étoient pas permises, verroit-on naître en fi peu d'années tant de réputations brillantes?.... Je t'avoue que j'ai peine à comprendre qu'un Auteur puiffe montrer cet excès d'amour-propre fans révolter

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le public? - Eh bien, le grand mal!.... Le public eft révolté, il blâme l'Auteur qui fe vante; mais en le blâmant, il le croit fur fa parole: il prend également au mot l'Auteur modefte & celui qui ne l'eft pas. Soyez humble, il penfera que vous vous rendez juftice. Ofez vous louer vous-même avec audace, il aura la même opinion; il dira que vous êtes orgueilleux, mais il admirera vos talens. Avec une femblable opinion du public, quel prix peut-on attacher à fon fuffrage?.. - Mais, dis-moi, pourquoi travaille-t-on ? eft-ce pour éclairer les hommes ? eftce pour mériter leur eftime & leur reconnoiffance?..... Voilà les motifs qu'on affiche dans une Préface. Aurois-tu la fimplicité d'y croire encore?.... On écrit pour fe faire un nom, parce que la réputation & la célébrité peuvent mener à la fortune, & qu'il eft doux d'ailleurs d'obtenir les hommages de la foule même qu'on méprise.... Mais revenons à mon Épître. Comment la trouves-tu ?

-

Il me femble que vous y prodiguez trop les louanges.... Quoi! peut-on trop louer l'Auteur d'Alzire, de Mahomet, & de tant d'autres Chef-d'œuvres dramatiques? Non, fans doute; il n'est point d'éloges, à cet égard, que

fes

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