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les fujets. Il écrit du même ton l'Histoire, un Roman, une Lettre. Ses Partisans appellent cette furprenante uniformité le Cachet de Voltaire. Ils penfent le louer en difant, que même dans un billet, on le retrouve, & l'on ne peut le méconnoître. Ils ne fongent pas qu'on ne le reconnoît fi sûrement, que parce qu'il n'a en effet qu'une feule manière d'écrire; & que, depuis foixante ans, il répète conftamment les mêmes plaifanteries & les mêmes déclamations. Montefquicu n'a fait que trois Ouvrages, & trois fois il a fu, avec cette heureuse facilité que donnent le goût & le génie, changer de ton, & prendre le ftyle qui convenoit aux fujets différens qu'il a traités. On ne dira point qu'on reconnoît dans le Temple de Gnide, le Cachet de l'Auteur de l'Efprit des Loix. Mais il eft certain qu'on ne peut méconnoître dans Zadig, la main qui traça l'Hiftoire Universelle. Pour prétendre à la gloire de poffèder tous les genres, fuffit-il de donner à chaque volume que l'on compofe un titre différent? Non, fans doute; on peut, dans une multitude de volumes, ne montrer que des prétentions mal fondées : on peut auffî dans un feul ouvrage déployer une foule de talens différens. I illuftre Auteur de l'Hiftoire Naturelle a

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prouvé qu'un feul homme peut réunir à de vastes connoiffances une imagination brillante, fenfibilité vive & profonde, & l'art enchanteur de peindre & de décrire avec une égale fupériorité les objets touchans, les fcènes impofantes & majestueufes, les tableaux fumbres & terribles. On trouve dans fon ouvrage les modèles les plus parfaits de tous les différens genres de style & d'éloquence; tour - à - tour, Poëte, Poëte, Peintre Métaphyficien profond, Philofophe fublime, l'Auteur fait prendre tous les tons; auffi fouple qu'étendu, fon génie embraffe tout, fe plie à tout; avec la même facilité, il faifit les traits délicats des petits détails, & conçoit l'enfemble du plan le plus vafte aucun Écrivain François n'a mieux connu fa langue, aucun ne joignit tant d'exactitude à tant d'élégance, & ne fût à la fois auffi correct & auffi brillant. Nous fommes d'accord fur ce point, interrompit Damoville; j'avouerai même que j'ai toujours penfé qu'un Auteur fupérieur dans un genre peut encore facilement écrire avec fuccès dans beaucoup d'autres : rien n'est plus vrai, reprit Luzincour; par exemple: fi Racine eût vêcu auffi long-temps que Voltaire, s'il eût eu le defir de paffer pour un homme uni-

verfel, peut-on douter que l'Auteur d'Athalie, de

Britannicus', 'eût écrit l'hiftoire de la manière la plus brillante : ce même homme qui connoifoit fi bien le cœur humain, qui peignit avec tant de force & de vérité la paffion & la jaloufie de Phédre, de Roxane, la tendreffe maternelle de Clitemneftre, l'amour touchant de Bérénice, les cmportemens d'Hermione, n'auroit-il pas eu le talent de faire un Roman intéressant, & d'auffi bons drames que Nanine, l'Écoffoife & Charlot? Penfez-vous que le tendre, l'élégant Racine, s'il cût compofé des Opéras, eût été inférieur à Quinault? Il poffedoit encore l'art difficile de critiquer avec goût, de fe moquer avec fineffe; il nous a laiffé quelques lettres où l'on retrouve tout le fel & cette ironie fpirituelle & piquante qui ont fait à fi jufte titre la réputation des Lettres Provinciales: pour la gaîté, la véritable & franche gaîté, on ne la difputera pas à l'Auteur des Plaideurs. Que dirons-nous donc du grand Corneille? Premier fouverain & vrai Législateur du Théâtre ; il a créé les deux genres dignes d'illuftrer la scène & d'y règner, la Tragédie & la Comédie (a). Il

(a) Et même la Comédie héroïque.... Dom Sanche d'Aragon, eft la première Piéce qu'on ait fait dans ce genre. Il est à remarquer encore que Corneille a parfaitement réuffi dans le genre Lyrique.

ravit à Molière la gloire d'offrir à fa nation la première bonne pièce de caractère, & quand Racine parut, la France poffédoit tous les chef'd'œuvres de Corneille (a). Au fond, je fuis àpéu-près de ton avis, répliqua Damoville, il n'eft fans doute pas poffible de comparer de bonne foi Voltaire à Corneille & à Racine: mais Voltaire a fu fe faire un parti qui domine aujourd'hui ;

(b) M. de Fontenelle a dit : Corneille n'a eu devant les yeux aucun Auteur qui ait pu le guider, Racine a eu Corneille. Si cette différence établit une distance immenfe entre Corneille & Racine, que dira-t-on de M. de Voltaire, qui a eu pour modèles & Corneille & Racine? Auffi M. de Voltaire a-t-il profité de cet avantage autant qu'il étoit possible: on retrouve dans fes Ouvrages une foule de Vers pris de Corneille & de Racine, des caractères, des fituations, & même des fujets entiers. Par exemple: c'eft à Polyeucte que nous devons l'Orphelin de la Chine. Dans Polyeucte, Pauline raconte qu'autrefois elle aima Sévère, que ce dernier manquant alors de fortune, fut rejeté de fes parens, qui la forcèrent d'épouser Polyeucte que depuis elle a pris pour fon mari un véritable attachement, & qu'elle eft accablée d'inquiétudes, en fongeant que Sévère devenu tout puissant eft prêt à paroître, & qu'il pourra disposer du fort de Polycucte, &c. Dans l'Orphelin de la Chine, Idamé dit exactement les mêmes chofes. Gengiskan, jadis l'obfcur Témugin, fut rejeté par les parens; cependant il arrive armé du pouvoir, Idamé craint tout pour fon époux, &c. On pourroit citer bien d'autres exemples de ce genre, auffi frappans que celuici; pour fatisfaire la curiofité des jeunes Perfonnes à cet égard, on reviendra un jour sur cette matière & on la traitera avec détail,

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d'ailleurs, par la licence & la frivolité de fes écrits, il a féduit prefque tous les gens du monde; ainfi il faut bien céder au torrent....Crois-tu, férieufement, qu'une réputation acquife par l'intrigue, par la cabale, puiffe être folide? .... moins elle s'établit rapidement, voilà l'effentiel. La vie eft courte, fa durée incertaine; il eft extravagant d'attendre patiemment un bien qu'on defire, quand on peut, avec de l'adresse & de l'activité, l'obtenir prompteinent. Mais quel eft-il, ce bien que tu defires? - De la confidération personnelle, des honneurs, de la fortune....

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Qu'appelles - tu de la confidération perfonnelle?.... Je veux être au nombre des chefs du parti dominant, je veux avoir des amis, des partifans, des prôneurs, des protégés, des ennemis.... Des ennemis !.... Oui; il

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eft néceffaire de pouvoir dire dans la fociété & dans une préface, mes ennemis; d'ailleurs ils font utiles à l'homme de Lettres, ils lui fourniffent l'occasion de prendre,lorsqu'il le veut,le ton intéreffant d'un homme perfécuté, & en mêmetemps de faire entendre avec fineffe qu'il n'est hai que parce qu'il est envié; pensée un peu ufée, j'en conviens, mais fi heureufe qu'elle n'a

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