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rien perdu de fa force, & qu'on la répète tous les jours avec le même fuccès; en un mot, il est mille circonftances où les ennemis font véritablement précieux : on leur attribue les petits revers qu'on peut éprouver, chûtes, difgraces, tout eft fur leur compte, & l'ouvrage de la cabale.........

Tu ne veux donc qu'éblouir un moment ? - Je m'embarraffe fort peu de la réputation qui s'étend au-de-là des bornes de la vie : une conduite oppofée m'obtiendroit peut-être plus fûrement les éloges de la postérité; mais je n'attache aucun prix à fon approbation, je veux jouir tandis que j'exifte, & je fuis du nombre de ceux qui, par un calcul un peu perfonnel, mais très-philofophique, ne veulent être riches que durant leur vie, & n'hésitent point à placer tous leurs biens à fond perdu. Je n'aime ni n'eftime affez les hommes pour former le projet romanefque de leur être uzile, ils traitent infiniment mieux celui qui les amufe, & même qui les trompe, que celui qui cherche à les inftruire. L'Écrivain qui les ennuie a toujours tort; on doit leur offrir la vérité fous des traits agréables, le sentiment embellit tout, il peut adoucir l'austérité de la morale, & donner du charme aux leçons mêmes de la fageffe. — Oui,

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& alors le Public ne fera nul cas du Moralifte; il le placera dans la claffe des Romanciers. Si c'eft à côté de Richardfon, l'auteur pourra fe confoler. Pour paroître profond aux yeux des gens du monde, il faut être ennuyeux. Mais, on n'eft pas lu.... - Mais, on eft admiré: on ne fait qu'un ouvrage de ce genre, feulement pour établir fa réputation. . . . ——— Tu plaifantes,

fans doute ;....

--

Je n'ai jamais parlé plus férieufement je vais t'en donner une preuve fans réplique.... Nous fommes feuls, je puis compter -On tend ce préambule?....

fur ta difcrétion?

....

Si tu révélois ce que je vas te confier, je perdrois fans retour mes Protecteurs, mes amis & toutes mes espérances. Tu n'as pas befoin, je

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me flatte, d'être raffuré.... Eh bien il exifte un petit ouvrage fi fingulièrement froid, fi mortellement ennuyeux, qu'il est impossible d'avoir le courage de le lire de fuite & de l'achever en un jour, quoiqu'il n'ait qu'environ foixante pages: on y trouve cependant de la raifon, quelques idées ingénieuses; mais le style en eft lourd, diffus, incorrect; il manque également de pureté, de chaleur & d'élégance; cet ouvrage enfin n'offre pas un feul morceau digne d'être cité, & cepen

dant il jouit de la plus grande réputation: pourquoi? c'eft que l'Auteur a beaucoup d'amis, que ces amis ont vanté, exalté cette production. Après tous ces éloges, les gens du monde se font bien gardé d'ofer faire l'aveu de l'ennui profond qu'elle leur avoit caufé; ils ont répété par air que c'eft un chef-d'œuvre. Ceux même qui n'en ont lu que la première page, ou qui n'en connoiffent que le titre, ne manquent pas de confirmer ce Jugement; & c'est ainfi que d'échos en échos, en gagnant feulement quelques voix, on obtient tous les fuffrages : voilà pourquoi, mon ami, je me livre à l'intrigue, à l'efprit de parti; voilà pourquoi j'attache un fi grand prix aux éloges du Philofophe de Ferney....

Comment

pas

peuvent-ils te flatter ces éloges? Ne les a-t-il prodigué toute fa vie à la médiocrité ? A-t-il jamais pu fe réfoudre à louer dignement les grands talens & le génie ? Rappelle-toi ses notes fur Corneille, que nous lisions à Rheims avec tant d'indignation! Souviens-toi de fes Jugemens fur Crébillon, Jean-Baptifte Rouffeau, Boileau, Lafontaine (a). Ignores-tu toutes les tentatives réité

(a) Voyez les notes fur le fiècle de Louis XIV. La Fontaine, dit M. de Voltaire, n'a qu'un feul charme; celui du naturel.

rées qu'il a faites en profe & en vers pour tâcher de diminuer la gloire de l'Auteur de Télémaque? Ne fais-tu pas combien il haïffoit Montefquieu, & combien de fois il a tenté d'attaquer fes ouvrages? Enfin, oferois-tu dire en fa préfence que J. J. Rouffeau a du génie ? N'as-tu pas lu cet affreux Libelle, honteux monument de la plus noire & de la plus baffe envie? ... Calme-toi, mon

cher Luzincour, je fais tout cela parfaitement ; mais que m'importe? Je ne fuis point connu, j'ai besoin d'appui dans la carrière où je viens d'entrer: fa protection n'eft pas feulement utile; elle est abfolument néceffaire; il faut bien tâcher de l'obtenir. D'ailleurs tu ne penfes pas fans doute qu'il foit impoffible de trouver, parmi fes partisans les plus zêlés, des gens d'un mérite fupérieur? Non, affurément: on en peut citer, je le

fais....

Eh bien, je mériterai d'être placé dans

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Mais, fonges-tu que ce cette petite claffe... parti, dont l'ancienne autorité t'en impose, a déjà beaucoup perdu de fa confidération, & qu'il n'a plus qu'un moment à fubfifter: il ne furvivra point à fon chef; & Voltaire a quatre-vingt ans. Comme Luzincour achevoit ces mots, d'Arnay entra dans fa chambre, ce

qui termina un entretien qui fit faire à Luzincour de triftes réflexions fur le caractère de fon ami.

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Quelques jours après, Damoville vint retrouver Luzincour pour lui propofer de le préfenter dans une maison où fe raffembloit tous les foirs, difoit-il, la meilleure compagnie de Paris. La maîtreffe de la maison, ajouta-t-il, eft une vieille femme, veuve d'un Financier. On dit qu'elle fut célébre dans fa jeunesse par une douzaine d'aventures plus éclatantes que romanefques; mais aujourd'hui, rendue à la raison, à la fociété, elle vit philofophiquement dans le calme heureux des paffions : le fouvenir qu'elle conferve de fes anciennes erreurs, lui infpire, pour les égaremens de la jeuneffe, une indulgence qu'il est impoffible de pouffer plus loin: on n'a jamais été plus tolérante. Auffi, par un juste retour, lui paffe-t-on fans peine fon goût démefuré pour le pharaon, & quelques parolis de campagne qu'elle fe affez fréquemment. -Et cette femme, dis-tu, voit la meilleure compagnie de Paris? rément; elle a une bonne maison, un excellent fouper, en faut-il d'avantage? — Je favois bien qu'il y a eu des femmes prefqu'auffi méprifables

permet

Affu

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