Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de montrer tout fon efprit; je ne pouvois revenir de mon étonnement, j'étois ftupéfait, & je fentois qu'il ne me feroit pas poffible de conferver long-temps ma liberté auprès d'une Princeffe auffi accomplie.

A minuit tout le monde fe retira, & je reftai feul avec Arpalice & Télaïre fon amie intime; les deux amies étoient prefque couchées fur un canapé & tendrement penchées dans les bras l'une de l'autre, ce qui formoit un tableau raviffant. Je les contemplai en filence; elles fe difoient tout ce que l'amitié peut inspirer de plus fublime, & Arpalice me fit une peinture fi vive & fi touchante de fon fentiment pour Télaïre, que j'en fus attendri jufqu'aux larmes.

Je ne pus m'empêcher de lui témoigner une partie de l'admiration qu'elle m'infpiroit, je louai fes talens, fon inftruction, & j'amenai la converfation fur la Géométrie & l'Aftronomie ; mais Arpalice prenant le ton le plus modefte, je fuis très-fâchée, Seigneur, me dit-elle, qu'on vous ai perfuadé que je m'occupois d'une étude

fi

peu convenable à une femme; s'il étoit vrai que j'euffe le goût & les connoiffances que vous me fuppofez, je me ferois fait la loi de n'en ja

mais convenir. La pédanterie & l'affectation font fi étrangères à ma manière d'être !.... J'ai fi peu de prétentions!....

Cette rare modeftie acheva de me charmer. Séduit, tranfporté, je ne rentrai dans mon appartement que pour m'occuper encore d'Arpalice. Je paffai une partie de la nuit à lui écrire, & à faire des vers pour elle. Je lui donnai les fêtes les plus ingénieuses & les plus brillantes; elle parut fenfible à mes foins; je déclarai ma passion, & elle m'avoua que fans mon rang & ma puiffanelle partageroit mes fentimens ; mais que par une délicateffe infurmontable, elle ne pouvoit fe réfoudre à époufer un Génie. Vous pourriez par la fuite, ajouta-t-elle, attribuer à l'ambition ce que l'amour feul fauroit obtenir de moi. Ah! que n'êtes-vous né dans un rang moins élevé!.... Ces fentimens m'enchantoient, & en même-tems me désespéroient.

ce,

Dans d'autres momens, Arpalice me vantoit les douceurs de fa fituation actuelle: je n'ai point d'ambition, me difoit-elle, l'amitié fait le charme de ma vie, je n'ai jamais connu l'Amour, je crains de m'y livrer : j'ai une âme si passionnée ! une fenfibilité fi délicate!.... Je fuis heureuse

& paifible, ne vous flattez pas que je puiffe me réfoudre à vous facrifier un bonheur fi pur & fi parfait. Non, Seigneur, incapable de feindre & d'éprouver le plus léger mouvement de coquetterie, je ne vous laifferai point des espérances trompeuses. Quittez ces lieux, fuyez-moi pour votre repos.. & pour le mien.

Enfin l'Amour triompha, Arpalice fe laiffa toucher, & confentit à recevoir ma main. Elle me montroit une tendreffe qui me pénétroit; cependant Prudine m'avoit rendu fi défiant, que je pris la réfolution de ne m'unir à la divine Arpalice, qu'après l'avoir écoutée dans le Palais de la vérité. Je ne doutois pas de fa fincérité; mais il m'étoit impoffible de lui faire le facrifice de l'épreuve du Palais. Je lui déclarai que je ne pouvois l'époufer que dans mes Etats. Je me gardai bien de lui parler du charme inquiétant attaché à mon Palais; elle confentit avec joie à me fuivre elle exigea feulement que Télaïre fut du voyage, ne pouvant, difoit-elle, fe féparer fans défefpoir d'une amie fi chère. Nous partîmes tous les trois, & en peu d'heures nous nous trouvâmes tranfportés dans l'avenue de mon Palais.

[ocr errors]

A

A l'afpect de ce lieu redoutable, j'éprouvai la plus vive émotion, en penfant que j'allois voir à découvert le cœur de ce que j'aimois. Hélas, me difois-je, fi elle eft telle que je l'ai jugée, combien je me reprocherai d'avoir cru l'épreuve du Palais néceffaire! Si je m'abufois, quelle douce illufion je vas perdre !.... Enfin nous entrons dans le Palais: alors je jetai en tremblant les yeux fur la Princeffe; quelle fut ma surprise, en découvrant que la divine Arpalice avoit quarante-huit ans, un pied de blanc, des fourcils peints, des cheveux poftiches, & un corps garni; enfin je la vis chauve, rouffe, vieille & boffue. Zumio qui étoit accouru au devant de moi, ne pouvant la reconnoître dans un si triste état, se mit à éclater de rire en appercevant cette figure ridicule qui s'appuyoit fur mon bras d'un air triomphant; je fus tellement déconcerté, que je quittai brufquement la Princeffe, fans m'em→ barraffer de ce qu'elle pourroit penfer.

[ocr errors]

Zumio me fuivit: Seigneur, me dit-il, je vous félicite de votre bonne fortune, vous nous ramenez-là une rare beauté, la conquête eft brillante, ce choix du moins prouve la folidité de votre goût, & vous met à l'abri des inquiétudes que les ri

Tome III.

V

vaux & la jaloufie peuvent caufer. Un feul mot fit perdre à Zumio toute fa gaieté ; je nommai Arpalice, & il refta confondu, anéanti. Après un moment de filence : Seigneur, reprit-il, je conçois votre dépit & votre chagrin ; mais enfin fi cette Princeffe n'avoit qu'une beauté d'emprunt, fi elle ne devoit qu'à l'art cet éclat, ces cheveux & cette taille qui nous féduifoient, du moins j'ose me flatter encore qu'elle ne nous a point trompés fur fon âme, fon efprit & fes talens; & puifqu'elle vous a dit qu'elle vous aime, je fuis perfuadé que vous ferez fatisfait de ses sentimens. Mais y penfez-vous, Zumio, m'écriai-je, que voulez-vous que je devienne, fi j'ai eu le malheur d'infpirer une paffion à une semblable figure? L'espérance de la trouver perfide, est la feule confolation qui me refte. Dans ce moment on vint me dire que la Princeffe me demandoit, & la bienséance m'obligea à l'aller rejoindre.

Je la trouvai feule dans un cabinet, elle étoit couchée fur une chaise longue, elle tenoit un mouchoir & un flacon; auffitôt qu'elle m'apperçut, elle fit les contorfions les plus étranges, & elle mit fon mouchoir fur fes yeux qu'avezvous donc, Madame, lui dis-je, elle ne répondit rien; & comme les contorfions continuoient,

:

« AnteriorContinuar »