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je réïterai ma question. Alors me regardant languiffamment, je fais femblant, me dit - elle, d'avoir une attaque de nerfs.... Je le vois parfaitement, repris-je. Eh bien, cruel, interrompit elle, vous n'en êtes pas touché ? -Pardonnezmoi. Mais pourquoi avez-vous une attaque de nerfs ?....-Parce que vous m'avez quittée froidement en entrant dans ce Palais, & je veux vous perfuader que j'ai une fenfibilité exceffive & que je vous aime paffionnément..... M'ai

mez-vous en effet ?.. ...

Pas le moins du

monde. Je n'aime rien. En prononçant ces mots, la Princeffe, qui croyoit me dire la chofe du monde la plus tendre, fit femblant de pleurer, & s'effuya les yeux. Je refpirois; débarraffé de toute inquiétude je voulus prolonger un entretien qui me divertiffoit, & prenant la main d'Arpalice, vous m'attendriffez lui.dis-je, qui pourroit être infenfible à tant de charmes & à

tant d'amour!

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... Mais comme votre main

treffaille, oui, répondit-elle, je le fais exprès pour vous faire croire que ce font des petits mouvemens convulfifs. ...

fatiguer beaucoup ?.... —

Cela doit vous

Point du tout, j'en

ai une fi grande habitude.... Mais tout-à-l'heure

vous verrez bien autre chose, je jouerai tout mon jeu; à la fin de la converfation, je m'évanouirai.

laire?

Dites-moi, je vous prie, qu'eft devenue TéNous fommes brouillées.... - Quoi ! déja ?....Oui, & mon intention eft de vous perfuader que Télaïre eft caufe en partie de l'état où vous me voyez. Que s'eft-il donc paffe entre vous?....-Elle m'a dit des chofes inouies; que je fuis fauffe, perfonnelle, envieuse, infenfible , que j'ai un orgueil démesuré, une ambition insatiable; de mon côté j'ai répondu que je n'avois jamais paru l'aimer que par air, que fi elle eût été plus jolie & plus aimable, elle m'auroit caufé de l'ombrage; j'ai ajouté que je n'avois pas le moindre fentiment pour elle, que je ne lui ferois pas le plus léger facrifice.... Et elle s'eft fâchée: cela eft inconcevable.... Elle eft fortie furieufe. Aviez-vous de la confiance en elle?.... Je n'en ai jamais eu

faut

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en perfonne. Je ne defire pas des amis, il ne me que des dupes & des efclaves. Cependant j'ai fait dans ma vie beaucoup de confidences, mais uniquement par vanité, & toujours en déguifant ou changeant les faits, en ajoutant des circonftances; car pour me faire valoir, les

menfonges ne me coûtent rien.-Vous êtes véri tablement adorable! & avec tout cela d'une bien faifance. Oui, j'aime à l'excès la magnificence & le fafte. Quand nous ferons unis, vous pourrez disposer de tous mes tréfors. Que d'infortunés feront fecourus par vous!....--Oh, certainement je garderai tout pour moi!...

--

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Céleste Arpalice, vous m'enchantez! Quelle étonnante réunion de vertus, de talens, d'inftruction! car vous le niez en vain, vous êtes auffi favante que belle, vos courtisans vous trahiffent. La veille de notre départ, ils m'ont encore affuré qu'il n'y avoit point dans vos États d'Aftronomes & de Géomètres auffi habiles que Ils font payés pour dire cela. — Comment ? I's feroient difgraciés, s'ils parloient autrement. Je fuis très-ignorante, & je veux avoir la réputation de tout favoir. Quelle modestie!....-Et vos tableaux!....

vous.

-

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C'est

Zolphir qui les a faits. Et ces fymphonies. charmantes que vous m'avez fait entendre !.... Elles font de la compofition de Géraste. - Vous êtes unique dans le monde. Il est vrai que perfonne n'a jamais eu autant d'efprit, de fineffe de génie, & n'a pouffé auffi loin la diffimula

tion & l'art d'en impofer aux gens les plus inftruits & les plus clairvoyans.

Arpalice, en prononçant cette phrase, avoit certainement l'intention de faire une réponse remplie d'humilité; car elle prit un air modeste, baiffa les yeux, & fit des mines fi comiques & fi ridicules, que j'eus beaucoup de peine à m'empêcher de rire. Ses minauderies & le ton qu'elle s'efforçoit de prendre, s'accordoient fi mal avec les chofes qu'elle difoit, & formoient avec fes difcours un contrafte fi fingulier & fi plaifant, que je fentis qu'il me feroit impoffible de foutenir plus long-temps cette conversation. Je me levai pour la quitter, elle me rappela d'une voix foible, en me prévenant qu'elle alloit fermer les yeux, s'évanouir, & retomber dans des convulfions affreuses. Je fortis au moment même, & j'allai retrouver Gélanor & Zumio pour leur con

ter cette aventure.

Enfin, dis-je au Philofophe, vous prétendiez, Gélanor, que ce Palais ne pouvoit que me caufer des peines, & qu'il ne me feroit jamais bon à rien tant que je vivrois dans le monde; qu'en un mot, il ne convenoit qu'à l'homme désabusé déja par la raison, & affranchi, fans retour, de tou

tes les paffions humaines. Cependant vous voyez combien il vient de m'être utile : fi je n'y euffe pas amené Arpalice, j'époufois une femme vieille & laide, artificieuse, ambitieuse, fauffe & méchante.

Mais, Seigneur, répondit Gélanor, fans mettre le pied dans ce Palais, vous auriez facilement pu voir cette femme à peu-près telle qu'elle est, si vous étiez moins fujet à vous laiffer prévenir, & fi vous aviez un peu moins d'amour propre. Apprenez à voir par vos yeux, à juger

,

par vous-même & non d'après l'opinion des autres; ne croyez pas fi aifément qu'il eft impoffible de se défendre de vous aimer, quand vous avez l'air d'être amoureux; & je vous affure qu'en aucun lieu du monde vous ne ferez la dupe du manège & des artifices des femmes qui reffemblent à votre Arpalice.

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Comptez-vous pour rien, répondis-je avec un peu de dépit, l'avantage de pouvoir entendre un Philofophe me parler avec autant de liberté? Quand vous ne repoufferez point la vérité, reprit Gélanor, elle parviendra toujours jufqu'à vous. Elle n'est point renfermée dans la feule enceinte de ce Palais, elle est répandue fur toute la

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