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de femblables difcours devant la jeune perfonne qu'il defire époufer? - Et même en préfence de quelque femme honnête que ce pût être, eût-elle cinquante ans.... Cependant Madame du Troëne emmène Verglan chez elle. Le foir elle reçoit la vifite d'une jeune Veuve, qui parle d'une manière touchante du mari qu'elle a perdu. Verglan fe moque de fa douleur, & lui confeille d'époufer, pour fe confoler, un joli homme.... Émilie parvient enfin à furmonter fon penchant pour Verglan, elle renonce à lui & elle épouse

Belzors....

Et voilà, dit Luzincour, ce qu'on appelle dans la Champagne la peinture du monde & des mœurs, & voilà pourquoi, dans les grandes villes de Province, on trouve tant de jeunes gens qui ont le ton & les fentimens de Verglan ! ils veulent imiter l'homme à la mode, l'homme qui tourne les têtes, ils croyent être cet homme dangereux, en prenant ce ton ridicule autant qu'extravagant, & en affichant des mœurs corrompues. Ajoutez à cela, reprit le Vicomte, que ce jeune homme, ainfi gâté, s'il vient à Paris, & s'il eft introduit d'abord dans la bonne compagnie, y sera si mal reçu, & s'y trouvera tellement déplacé, qu'il ne

lui fera pas poffible d'y refter ; il ira chercher les fociétés où l'on fupporte de pareilles manières, & c'est là qu'il fe fixera. Ainfi un fat, en lifant les ouvrages dont nous parlons, deviendra par cal→ cul l'imitateur d'un fcélérat. Les perfonnes foibles & faciles à féduire perdront une partie de leurs principes, en croyant qu'on peut impunément, dans le monde, fe livrer à toutes fes paffions, & méprifer ouvertement les lois, la décence & les mœurs; enfin l'homme vertueux & fenfible, en adoptant cette affligeante erreur, détestera, fuira le monde, & fait pour aimer la fociété, deviendra fauvage & mifantrope.

-Les Auteurs qui ont ainfi par ignorance calomnié le monde, ont dû fe faire bien des ennemis... Point du tout : dans les portraits qu'ils ont tracés, perfonne n'a pu fe reconnoître; personne ne s'est fâché. Fénelon peignit la Cour : le tableau étoit fidèle, on trouva des reffemblances parfaites; on imagina des allusions, des applications, & l'Auteur de Télémaque fut haï.

Pour revenir aux Contes Moraux, vous voyez combien il feroit néceffaire de défabufer ceux qui croyent y trouver l'image de nos mœurs.... - L'ouvrage qui détruiroit ce préjugé feroit

certainement

certainement très-utile (a). Un homme du monde pourroit feul faire cette espèce de critique. Si j'écrivois, je croirois le devoir; il m'en couteroit fans doute de critiquer un Auteur fi estimable; mais j'oferois lui dire : J'écris pour la jeuneffe, pouvois-je ne pas l'éclairer fnr un objet fi important; je vous reconnois des talens infiniment fupérieurs aux miens, mais fouffrez que je le dise, je dois mieux que vous connoître le monde. Au refte, depuis que les Contes Moraux ont paru, vingt années se font écoulées; avec plus d'expérience l'Auteur pourroit bien aifément faire dif paroître, dans une nouvelle édition, les défauts qu'on leur reproche, & rendre entiérement digne de lui cet ouvrage charmant à tant d'égards. Comme le Vicomte achevoit ces mots, tout le monde rentra dans le fallon, & la converfation devint générale.

Cependant, le Vicomte voulant former, avec Luzincour, une liaifon plus particulière, l'attira

(a) D'autant plus que les Etrangers nous jugent d'après ces tableaux infidèles, qui leur donnent l'idéé la plus fauffe & la plus injurieufe de nos mecurs & de nos opinions. Si les Anglois nous traitent fi mal dans la plupart de leurs Ouvrages, c'est qu'ils copient les Auteurs François. Voilà pourquoi ils repré fentent des petits maîtres François fi ridicules & de fi mau❤ vais ton.

Tome III.

D

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chez lui. La confiance fut bientôt établie entre-
eux. Luzincour fit part au Vicomte de tous fes
projets, & lui lut quelques manufcrits; & le
Vicomte avoua à Luzincour qu'il n'étoit pas heu-
reux; à cette confidence Luzincour s'attrista: ne
me plaignez point, reprit le Vicomte. je possède
tous les avantages qui peuvent procurer le bon-
heur; mais par une bizarrerie funefte, je n'en fais
pas jouir. Je fuis fouvent mécontent, ennuyé,
defœuvré; cependant mon cœur eft fensible, j'ai
des amis, une famille que j'aime, la meilleure des
mères, un frère aimable & vertueux, une belle-
foeur charmante: enfin, un attachement férieux,
une paffion véritable m'occupe & remplit mon
ame depuis plus de cinq ans. Quoi, s'écria Lu-
zincour, Madame d'Herblay vous inspire une
paffion véritable! .... Est-il poffible, dit le Vicomte,
en riant, que vous imaginiez que je vous parle
d'elle? Mais comment concilier votre passion
avec les foins que vous rendez à Madame d'Her-
blay?-Penfez-vous qu'une paffion mette à l'abri
d'une fantaisie ? Je l'aurois cru. Eh bien,
par exemple, voilà ce qui n'existe pas dans le
monde. On n'y fait donc pas
aimer... Une
vifite interrompit cet entretien.

Le lendemain le Vicomte conduifit Luzincour chez fa mère & chez fon frère. Luzincour fut accueilli avec autant de grace que de politeffe. Sa douceur, fa réserve, l'agrément & la fimplicité de fa converfation lui procurèrent, dans cette nouvelle fociété, les fuccès que Damoville avoit dans la fienne; il fût bientôt admis dans l'intérieur de la famille, & regardé comme l'un des amis de la maifon. La feule chofe qui le frappa d'abord, ce fut le changement fingulier qu'il remarqua dans les manières du Vicomte, furtout avec les femmes; en voyant fes égards pour toutes celles qui venoient chez la Comteffe de Valrive, l'air & le ton refpectueux qu'il prenoit avec elles, Luzincour ne reconnoiffoit plus cet homme, qu'il avoit trouvé fi léger, fi moqueur & fi peu mefuré, chez Madame de Surval. Prefque tous les foirs, depuis fix heures jufqu'à dix, Madame de Valrive recevoit des vifités. Une fanté délicate la rétenoit chez elle, mais elle aimoit le monde; elle étoit aimable & recherchée, & fa fociété étoit extrêmement étendue.

Luzincour écoutoit, obfervoit en filence, & chaque matin il alloit trouver le Vicomte & lui faire part de tout ce qu'il avoit obfervé la veille.

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