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Jufqu'ici, lui dit-il, je fuis enchanté de tout ce que je vois. Quelle différence de ce tableau à celui que nous offroit la maison de Madame de Surval! Il me femble que toutes les perfonnes qui viennent chez Madame de Valrive font aimables, fpirituelles, obligeantes; les converfations générales font frivoles, mais il y régne un charme que je ne puis définir; chacun parle avec grace, avec aifance; les complimens les plus communs ont une tournure agréable; les entretiens plus particuliers ne font pas instructifs, ils manquent peut-être de folidité; mais quelle douceur, quelle décence on y remarque! quels égards refpectifs ! quel choix heureux d'expreffions! Jamais la difcuffion ne dégénère en difpute, jamais l'amour-propre ne paroît offenfé, il ne fe montre que par le defir de plaire & de réuffir. Ce font les grâces qui le décèlent;: on peut le flatter, le fatisfaire, on croiroit qu'il: eft impoffible de le bleffer. Ainfi donc, dit le Vicomte en fouriant, tout le monde vous paroît, avoir de l'efprit, mais citez-moi quelque trait.... Ah! reprit Luzincour, j'avoue que je ne le pourpas. Tout ce que j'entends me plaît, & quand je veux me rappeler les chofes qui m'ont charmé,, je fuis très-furpris de n'y plus rien trouver de

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remarquable-Tel eft l'effet des grâces; ce font elles qui produifent les illufions les plus féduifantes. Vous venez de faire l'éloge, non du mérite réel des perfonnes que vous n'avez fait qu'entrevoir, mais de ce qu'on appelle avec raifon un bon ton & des manières nobles. Pour poffeder ces avantages, il faut avoir une politeffe obligeante & délicate; favoir cacher avec art tout ce que l'amourpropre peut offrir de révoltant, ne jamais dire un mot qui décèle des fentimens bas, ou un mauvais cœur ; il faut enfin montrer la décénce lá plus exacte, de la douceur, de la complaifance, de la réserve, le goût des plaisirs innocens & l'amour de la vertu voilà l'extérieur qu'on ne peut fe difpenfer d'avoir dans la bonne compagnie. Il n'eft que trop fouvent trompeur; mais c'eft beaucoup pour la vertu qu'on ne puiffe être aimable qu'en tâchant de prendre fon langage & fes traits.

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Deux jours après cette converfation, Luzincour un foir fe trouva avec le Vicomte chez Madame de Valrive; il y avoit une douzaine de fonnes: on annonça la Marquife de Champrose, une jeune & jolie femme que Luzincour n'avoit point encore vue. Elle s'aflit à côté du Vicomte;

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Luzincour étoit placé auprès de ce dernier, de manière qu'il pouvoit entendre tout ce que difoit Madame de Champrose. Elle causoit à voix basse avec le Vicomte, lorfqu'un petit homme extrêmement laid, nommé Dorfain, s'approcha d'elle s & après lui avoir parlé un moment, s'éloigna & fut à l'autre bout de la chambre. Alors Madame de Champerofe fe retournant vers le Vicomte: C'est un homme estimable, dit-elle, tout bas en parlant de Dorfain, il a même beaucoup de mérite, mais il a des formes bien défagréables.... des formes affreufes ! .... Luzincour, qui entendit cette phrafe, jeta les yeux fur le pauvre Dorfain, & trouva qu'en effet il n'avoit pas des formes élégantes.... Dans ce moment un jeune homme fait à peindre, & de la figure la plus distinguée, s'avança vers Madame de Champrofe; il lui demanda de fes nouvelles, & enfuite il fortit. Le Vicomte fit tout haut l'éloge de ce jeune homme, & Madame de Champrofe ajouta qu'il avoit des formes charmantes. Luzincour fut tellement furpris de cette manière de s'exprimer, qu'il en parla le lendemain au Vicomte. Madame de Champrose, lui dit-il, paffe-t-elle pour avoir un bien bon ton ?

Qui; elle a de l'efprit, de la grace & de la no

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nement,

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bleffe....- Cependant elle à des expreffions bien libres..... Comment donc? Il me femble qu'on peut fans indécence dire d'une statuequ'elle a des formes charmantes; encore j'ignore. fi une jeune perfonne pourroit avec bienséance, devant beaucoup de monde, faire cet éloge d'un Antinoüs ou d'un Apollon?.... Non certaielle ne fe ferviroit pas de cette phrase: -Et Madame de Champrofe l'emploie, en parlant des hommes qui font dans la chambre! N'at-elle pas dit que Dorfain avoit des formes affreufes, & le Chevalier de Mareille des formes charmantes? A ces mots le Vicomte fe mit à rire, & il expliqua à Luzincour que par cette manière de s'exprimer on ne vouloit parler que du maintien & de la politeffe: il eft vrai, ajouta-t-il, que le hafard qui a produit votre crreur fe rencontre fouvent, & pour moi, depuis que je fuis dans le monde, je n'ai jamais vu de femme ni fatisfaite des formes d'un homme de la tournure de Dorfain, ni fe plaignant des formes de ceux qui reffemblent au Chevalier de Mareille. Au reste, mon cher Luzincour, vous entendrez-bien d'autres phrafes qui vous paroîtront auffi étranges. Par exemple, cette même Marquifede Champ

rofe me parloit d'un homme de notre connoiffance: « Je l'ai entendu hier matin, difoit-elle, » & il m'a femblé qu'on ne pouvoit trop louer fa précision, fa mesure.... Il eft impoffible » d'avoir plus de mefure.... Il a véritablement » une mefure parfaite.... » De qui croyez-vous qu'elle parloit ?.... D'un Muficien, fans doute.

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Point du tout: Il s'agiffoit d'un Magistrat, qui, la veille, avoit prononcé en public un Difcours dont Madame de Champrose faifoit ainsi l'éloge. J'avoue que je ne l'aurois pas deviné.... Apprenez-moi auffi pourquoi au lieu de dire mes fentimens, elle dit toujours mon fentiment?

Nous croyons que cette

eft beaucoup plus tendre.
qui n'auroit pour fon Ami,

dernière expreffion

Mais au contraire :

pour fa Maîtreffe

qu'un fentiment, n'aimeroit que bien imparfaitement. Qu'est-ce que l'amitié fans la confiance? Qu'est-ce que l'amour fans l'eftime? Pour exprimer un attachement férieux, une passion véritable, il faut donc dire mes fentimens.... Sans doute; peut-être les femmes n'ont-elles pas fait ces réflexions, ou peut-être ne font-elles plus auffi exigeantes qu'elles l'étoient autrefois. Quoi qu'il en foit, maintenant l'affurance d'un fentiment leur

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