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SUITE DES VEILLÉES

DU CHÂTEAU.

CONTES MORAUX

A L'USAGE

DES JEUNES PERSONNES.

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MADAME ADAME DE CLÉMIRE, à une des Veillées du Château, dit un foir à fes Enfans, qu'elle avoit fait des Contes Moraux, pour l'instruction de leur jeuneffe. En effet, lorfque la plus jeune de fes Filles eut atteint fa feizième année Madame de Clémire leur donna les trois Contes que contient ce Volume, en leur difant : vous pourez lire, dans la fuite, beaucoup de Contes infiniment plus agréables que les miens; mais du

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morale & de la vérité; & s'ils vous plaisent, j'en ai encore trois autres, que je vous donnerai un jour.

LES DEUX RÉPUTATIONS,

CONTE MORA L.

LUZINCOUR, fatisfait d'une modique fortune & d'une existence obfcure, mais heureuse & paisible, vivoit en fage au fond de la Champagne, dans une petite maison à deux lieues de Rheims; il étoit veuf depuis plufieurs années, & il trouvoit dans l'étude des fciences & dans fa tendreffe pour un fils unique, des amusemens & un bonheur qui fuffifoient à fes defirs. Quand le jeune Luzincour eût atteint fa dix-neuvième année, fon père lui déclara le deffein qu'il avoit de l'envoyer à Strasbourg. Mon fils, lui dit-il, vous n'êtes point Gentilhomme, & vous n'avez point de fortune: je vous ai donné une éducation qui vous procurera les moyens de vous dif tinguer, fi vous avez de l'activité & une noble ambition. Quoique vous annonciez dela raison& de l'efprit, je ne vous demanderai point encore quel

eft l'état que vous voulez choisir, & je ne ferai pas ce choix pour vous. Mes parens, fans confulter mon goût, me firent entrer dans la Robe. La probité m'a préfervé du malheur affreux d'avoir été un mauvais Magiftrat; mais je n'aimois point mon état, & mon inclination pour les fciences me l'a fait quitter à quarante ans. J'ai rempli pendant vingt années des devoirs qui me paroiffoient pénibles; & quand je me fuis livré au genre d'étude qui me convenoit, je n'étois plus affez jeune pour pouvoir me diftinguer dans une nouvelle carrière. D'après cette expérience & mes réflexions, je me garderai bien de vous preffer de choisir une profeffion, tant que vous ferez dans l'âge où les talens & les goûts ne peuvent être développés; mais je veux vous envoyer à Strasbourg, je defire que vous y paffiez deux› ans, & que, durant ce temps, vous fuiviez avec exactitude les Écoles où l'on enfeigne le Droit; parce qu'il n'eft point d'état dans lequel la connoiffance des Loix ne foit utile & même néceffaire à un bon Citoyen.

Le jeune Luzincour affura fon père de fon obéiffance, & trois jours après cet entretien, il partit pour Strasbourg. Arrivé en Alface, il fe

livra à l'étude avec ardeur; il écrivoit régulièrement à fon père, & dans le compte qu'il lui rendoit de fes occupations & de fes amusemens, il lui parloit fans ceffe du charme inexprimable qu'il trouvoit dans la lecture des Auteurs Dramatiques & des Ouvrages de Morale.

Luzincour entretenoit encore une autre correspondance; il avoit un ami de fon âge, qui demeuroit à Rheims : ce jeune homme, nommé Damoville, étoit fils de l'ami intime du père de Luzincour, & ce dernier, élevé avec Damoville, avoit pris pour lui la plus tendre amitié. Cependant, jamais la convenance & l'habitude. ne formèrent une liaifon moins faite pour être durable. Luzincour, naturellement timide & réfléchi, parloit peu, il fe défioit de lui-même, & joignant à beaucoup de modeftie un extrême defir de s'inftruire, il fe taifoit fans peine & il écoutoit avec avidité; il devoit à cette réserve & à l'attention qu'il donnoit aux difcours des autres une pénétration au-deffus de fon âge; il poffédoit déjà l'art utile de lire fur les visages, & d'y reconnoître aifément l'expreffion la plus légère du dépit, du dédain & de l'humeur : il avoit reçu de la nature un efprit juste, un

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