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Les théologiens de Douai de leur côté fe défendirent trèsbien, & juftifierent la droiture de leur conduite & la catho licité de leur doctrine. Voici comme un précis de leur justification.

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Quoique nous ne connuffions M. Arnauld de répuque tation, & que nous n'euffions jamais eu aucun commerce avec lui, fachant les fervices qu'il a rendus à l'Eglife en la défendant contre les hérétiques, & les témoignages avantageux qu'il a reçus d'un grand nombre d'évêques, & du pape Innocent XI. de fainte mémoire par Monseigneur le cardinal Cibo; n'avions-nous pas tout droit de le regarder comme un docteur très-Catholique? Ayant donc cru qu'il avoit eu la bonté de prévenir l'un de nous par des lettres très-obligeantes, & ne nous doutant pas le moins du monde que се fût un fourbe qui avoit pris fon nom pour nous tromper, nous n'avions garde de le foupçonner du moindre menfonge en ce qu'il nous difoit dans fes lettres. Ainfi nous ayant envoyé une thèse compofée de fept propofitions qu'il nous affuroit avoir été foutenue à Malines, & avoir été approuvée par des évêques de France, par des docteurs de Sorbonne & de Louvain, & par les plus habiles gens de l'Europe; peut-on trouver étrange que croyant tout cela, & la fourberie qu'on nous avoit faite nous donnant tout lieu de le croire, nous nous foyons conduits de la maniere que nous avons fait? Ne ferions-nous pas excufables, quand nous l'aurions approuvée abfolument par une humble déférence à tant d'habiles théologiens, évêques & docteurs qu'on nous affuroit l'avoir approuvée avec éloge ? Cependant nous ne l'avons pas fait : ce n'a été qu'en mettant fous chaque propofition des explications & des éclairciffemens qui en déterminoient les équivoques à des fens catholiques. Et la fignature que ce fourbe a depuis extorquée de nous par de plus preffantes follicitations, a toujours eu rapport à ces éclairciffemens. Préfentement le voile eft levé. Nous favons certainement qu'on nous a trompés; que M. Arnauld n'a aucune part à ces propofitions; qu'elles n'avoient été foutenues par perfonne, ni approuvées par qui que ce foit, mais que

c'eft

f

l'ouvrage d'un fauffaire qui les a malicieusement fabriquées
pour nous furprendre. Que peut-on donc fouhaiter de nous,
que ce que nous faifons volontiers, qui eft de rétracter notre
fignature, & de détester cette thèse, qui ne nous avoit été
préfentée que par un organe du démon »?

Les infcriptions en faux de M. Arnauld, & la juste récla-'
mation des théologiens de Douai contre une fourberie fi
criminelle, forcerent les jéfuites d'avouer que c'étoit un
faux Arnauld qui avoit conduit toute cette intrigue: mais
en même tems ils tâcherent de perfuader au public que le
faux Arnauld n'étoit point un jésuite, & que ce ftratagême
pouvoit être innocent par rapport aux vues de l'auteur, qui
avoit eu deffein de fervir l'Eglife en dévoilant les fecrets de
la cabale des janfénistes. Ils ne réuffirent point à faire
pren-
dre fur ces deux chofes le change au public; mais ils furent
plus heureux à la Cour, où l'archevêque de Paris ( de Har-
lai) & le P. de la Chaife, préfenterent au roi un homme fans
conféquence, qui voulut bien s'avouer le faux Arnauld, &
être le Bouc-émiffaire de la fociété. Il est devenu dans la
fuite un homme très-important: c'eft le fameux Tournéli,
dont la théologie eft enfeignée aujourd'hui dans un grand
nombre de féminaires. Il eft fans doute fort remarquable
qu'un homme qui s'eft rendu fi fameux dans le dix-huitieme
fiecle, & que les jéfuites ont voulu faire paffer comme une
efpece d'oracle, ait eu l'ame affez baffe pour s'avouer, con-
tre toute vérité, l'auteur d'une fourberie dont un honnête
païen auroit horreur. Les jéfuites obtinrent facilement fa gra-
ce, & furent bien le récompenfer du fervice fignalé qu'il
rendit en cette occafion à la fociété, qui s'étoit engagée dans
une entreprise qui devoit, fi l'on eût voulu creufer ce mystere
d'iniquité, la couvrir d'une honte éternelle.

Les jéfuítes s'étant ainfi tirés de ce mauvais pas, fongerent à terminer la piece; & ils en vinrent à bout par les mêmes artifices. Lorfqu'on travailloit à découvrir le faux Arnauld, fachant que M. Gilbert pouvoit donner fur cela bien des indices, ils lui firent donner une lettre de cachet qui lui or

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foient, &

donnoit d'aller de Saint-Quentin, où il étoit déja relégué, à réuffiffentain- Saint-Flour au milieu des montagnes d'Auvergne. Il s'y renfi à fe rendre dit dès qu'il fut guéri d'une maladie qui le retenoit au lit. II eette univer- n'y fut pas plutôt arrivé, qu'il reçut une nouvelle lettre de

maîtres de

ficé.

cachet qui l'obligeoit d'aller à Thiers qui eft à dix-huit lieues de Saint-Flour. Mais un troifieme ordre le renvoya à SaintFlour; & pour y obéir, il partit de Thiers le 4 Février 1692 à pied par un grand froid, pour traverfer les hautes montagnes d'Auvergne, & fe rendre au lieu de fon exil. Les jéfuites n'étant pas encore fatisfaits, ils le firent enfermer dans le château de Pierre-Encise à Lyon, où il mourut feize ou dixfept ans après. Les autres théologiens de Douai furent traités à-peu-près de la même maniere. M. de Laleu, docteur & profeffeur, fut exilé au Mans; M. Rivette profeffeur, à Coutance en Normandie; M. Malpaix chanoine, à Saintes; & M. de Ligni à Tours. On leur dit qu'ils apprendroient des évêques ce qu'ils auroient à faire dans le lieu de leur exil. Les jéfuites en ont encore fait bannir plufieurs autres. On ne leur donna à tous que deux heures pour mettre ordre à leurs affaires; & le courier qui avoit été envoyé exprès pour fignifier ces ordres, les fit partir en fa préfence. M. de Laleu qui étoit à peine convalefcent d'une grande maladie, eut permiffion de différer fon voyage de quelques jours. Il fe mit bientôt en marche, quoique encore affez incommodé; mais il ne put aller jufqu'au Mans où il étoit exilé. Il fut obligé de s'arrêter dans un village à quelques lieues de Paris, où il mourut après avoir donné des marques éclatantes de fa piété & de fon amour pour les fouffrances. Ce docteur étoit depuis long-tems odieux aux jéfuites, parce qu'il s'étoit toujours oppofé à leurs entreprises. Il avoit fur-tout encouru la difgrace du fameux pere Tellier, pour avoir déféré à l'univerfité de Douai le livre de la Défenfe des nouveaux Chrétiens, & pour avoir fait renouveller par un decret folemnel la célebre cenfure de 1588 contre le jéfuite Leffius. C'est ainfi que les jéfuites ont malheureusement réuffi à ruiner entiérement la faculté de théologie de Douai, qui eft depuis

long-tems dans un état auffi déplorable, qu'elle étoit autrefois illuftre par fa fcience & par les grands hommes qu'elle produifoit.

III.

f

Destruction

La congrégation des filles de l'Enfance faifoit de très- XXI grands biens non-feulement à Toulouse, où elle avoit com- de Pint mencé, mais auffi dans plufieurs autres villes du Languedoc des filles de & de Provence où elle s'étoit étendue. Mais comme elle l'Enfance, déplaifoit aux jéfuites, ils entreprirent de la détruire, & ils en vinrent à bout par leurs intrigues & par l'abus énorme. qu'ils ont toujours fait de la confiance de Louis XIV. On peut regarder cette deftruction comme un des chefs-d'œeuvre de la malice des jéfuites, par lequel ils ont vérifié de plus en plus ce que la faculté de théologie de Paris avoit d'abord jugé de leur fociété, qu'elle paroiffoit née pour la de-. ftruction plutôt que pour l'édification de l'Eglife. L'infpection feule de leur féminaire qu'ils ont placé dans la maifon qu'occupoient les filles de cet inftitut, perpétue le fouvenir de leur iniquité, & ne peut manquer de rappeller la parole d'Elie à Achab: Occidifti, infuper & poffedifti. Vous avez tué & de plus vous vous êtes emparé. On a imprimé en 1718 un recueil de pieces concernant la congrégation des filles de P'Enfance, en deux parties in-12. La premiere piece de ce recueil eft le mémoire que ces filles préfenterent au roi en 1717, pour demander leur rétabliffement: on y trouve enfuite leurs conftitutions, les brefs, lettres-patentes, approba tions, &c. avec la Relation de leur destruction; l'Innocence opprimée, &c. Ces dernieres pieces, qui avoient paru peu après la deftruction, étoient devenues extrêmement rares.

2

inftitur réfu

Ce fut en 1686, que les jefuites exécuterent le deffein XXII qu'ils avoient formé de ruiner cette congrégation fi édifiante Fauffe hi & fi utile à l'Eglife. N'ayant pu flétrir l'innocence de la fon- ftoire de cet datrice, ils chercherent à couvrir leur injuftice par des ca- rée par M. lomnies qu'ils répandirent par-tout, mais qui furent mal re- l'abbé de Ju cues du public, parce que tout le monde étoit alors inftruit de la vérité. Perfonne n'y fut trompé. Cependant l'utilité

liard,

XXIII.

de l'institut leur en ayant fait craindre le rétablissement, ils ont cru qu'il falloit, fous le titre refpectable d'hiftoire, renouveller les premieres calomnies, y en ajouter d'autres plus intéreffantes, & appuyer le tout par des lettres qui, en découvrant de prétendus myfteres d'iniquité, fourniroient de faux motifs de deftruction, que le public moins inftruit pourroit recevoir plus facilement, après un intervalle de plus de cinquante ans. On a donc compofé des lettres à loifir: on a attendu pour les faire paroître, que toutes les perfonnes qui auroient dû en avoir connoiffance, fuffent décédées. On a cru qu'il n'y auroit pas de preuves écrites pour les démentir; & on s'eit flatté que, malgré le jugement de quelques particuliers, elles pourroient avec le tems acquérir l'autorité de pieces authentiques. Feu M. l'abbé de Juliard,neveu de Madame de Mondonville, & prevôt de l'églife métropolitaine de Toulouse, oppofa il y a vingt ans à la fauffe histoire des filles de l'Enfance, l'hiftoire véritable de cet inftitut; & non content de cette efpece de réfutation indirecte, mais décifive, il prouva par des pieces authentiques la fauffeté de tout ce que les jéfuites ont avancé dans le libelle qu'il attaquoit. Ainfi fon mémoire eft divifé en deux parties: I. L'Innocence juftifiée, ou l'hiftoire véritable de la congrégation des filles de l'Enfance de N. S. J. C. II. Le menfonge confondu ou la fauffeté de l'Hiftoire calomnieufe de la congrégation des filles de Enfance. L'hiftoire que donna M. l'abbé de Juliard de cet événement intéreffant, n'ett « proprement, dit-il, qu'une copie de plusieurs actes authentiques qui font en même temsla narration & la preuve de la vérité. Le récit intermédiaire & relatif à ces actes, eft appuyé sur des faits de notoriété publique, & eft pris des requêtes & des mémoires que les filles de l'Enfance ont préfentés en 1717 au roi heureusement regnant, qui a eu la bonté de recevoir leurs plain

tes ».

Jeanne de Juliard étoit fille de M. Gilles de Juliard, conPiété & zele feiller au parlement de Toulouse, & foeur de M. Denys de de Mondon- Juliard, préfident aux enquêtes. Mademoiselle de Juliard ville, fonda- après avoir été élevée dans la piété par une mere très-chré

de Madame

tienne,

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