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transporté au château, & mourut le neuvieme jour après avoir reçu les derniers facremens avec une dévotion finguliere. Madame de Chantal veuve à vingt-huit ans, demeuroit chargée d'un garçon & de trois filles. Elle fit you de ne point fe remarier, & vécut depuis comme une femme morte au monde. Elle diftribua fes habits aux pauvres, & n'en porta plus que de laine. Elle ne reçut plus de vifites, & n'en fit plus que de charité ou d'étroite bienféance. Elle ne garda que les domeftiques abfolument néceffaires à fes enfans. Leur éducation, la priere, le travail, le foin des pauvres & des malades devinrent & fes uniques occupations & fes feuls délaffemens.

XXVII. Elle fe met duite de S.

fous la con

En 1604, elle commença à connoître S. François de Sales, qui, fur les inftances du parlement, étoit venu prêcher le carême à Dijon. Elle l'alla voir au château de Sales à la fin du mois de Mai de la même année, & fe mit entiérement François de fous fa conduite. Ce fut en fe conformant à ses avis, que Sales. les jours de dimanche & de fête elle fe confacroit uniquement au fervice de Dieu & du prochain. L'office fini, elle vifitoit les malades, les confoloit, faifoit leurs lits, & ne les laiffoit manquer ni de nourritures, ni de remedes, ni de fecours fpirituels. Son faint directeur lui avoit dit, qu'il ne croyoit pas qu'on pût être heureux dans ce monde, fans contribuer de tout fon pouvoir au bonheur d'autrui. C'est ce qui augmenta l'inclination qu'elle avoit à être bonne, compatiffante & fecourable. Elle ordonna aux habitans de Monthelon, château de fon beau-pere chez qui elle s'étoit retirée avec ses enfans, de lui amener tous les pauvres malades qu'ils rencontreroient, & fur-tout les plus abandonnés. Elle avoit un lieu destiné pour les recevoir, & quelque dégoutans que fuffent leurs maux, elle en prenoit foin par elle-même, les veilloit, les affiftoit jufqu'à la mort, & les enfeveliffoit avec un courage admirable.

de fa grande

Un jour on lui amena un pauvre qu'on avoit trouvé fur le XXVIII. chemin d'Autun, tout couvert d'ulceres. Ce fut pour elle Exemples comme un présent du ciel. Elle lui fit quitter fes haillons, qu'elle lava & racommoda dans la fuite de fes propres mains:

charite.

elle lui ôta fon linge prefque pourri, & lui en donna de
blanc. L'ayant fait coucher, elle lui coupa elle-même les
cheveux,& panfa fes ulceres, fans que l'horrible infection qui
en fortoit, fût capable de la rebuter. Il falloit au malade peu de
nourriture & fouvent. La fainte veuve lui rendoit ce fervice
avec joie. Quand des raifonsindifpenfables l'en empêchoient,
elle avoit bien de la peine à le lui faire rendre par fes do-
meftiques, quoiqu'elle n'en eût que de bien choifis, & qu'elle
les eût formés à la compaffion pour les pauvres. Ils n'entroient
qu'en fe bouchant le nés, dans la chambre du malade ; &
la puanteur affreufe qui fortoit de fon corps,
les faifoit en-
fuir dès qu'ils avoient mis près de fon lit ce que leur fainte
maîtreffe lui envoyoit. « Hélas, difoit le malade, Madame
n'en use pas ainfi elle ne se bouche pas le nés, elle m'aide
à manger, elle s'affied auprès de moi, elle m'inftruit, elle
me confole. » Pendant quelques mois, ellele garda, le panfa
fouvent plufieurs fois par jour, lui rendit toujours fans fe
rebuter les fervices les plus bas, & les lui rendit pour l'ordi-
naire à genoux. Lorfqu'elle vit que Dieu alloit l'appeller à
lui, elle le veilla plufieurs nuits, & lui fit recevoir les der-
niers facremens. Quand il fut près d'expirer, fe tournant
vers elle les mains jointes: « Madame, lui dit-il, Dieu feul
peut être votre récompenfe de tout ce que vous avez fait
pour lui en ma perfonne. S'il a jamais exaucé les prieres des
pauvres, je le prie que ce foit dans cette occafion, & qu'il
vous accorde ce que je lui ai demandé tant de fois pour vous,
& ce que je lui demande encore : & vous, Madame, je vous
prie de ne me pas refufer votre bénédiction. Madame de
Chantal la lui donna, & quand il eut expiré, elle l'enseve-
lit, malgré l'oppofition & les paroles même de mépris d'un
de fes parens qui l'étoit venu voir, & à qui elle fit cette ré-
ponse: « Mon coufin, depuis que j'ai lu dans l'Ecriture-
fainte, que notre Sauveur avoit pris pour nous la reffem-
blance d'un lépreux, je n'ai horreur d'autre lepre que de celle
du péché. »

A peine étoit-elle revenue de l'enterrement de ce pauvre homme, que Dieu lui fournit une autre occafion d'exercer

fon

1

fon invincible charité. Une honnête femme par complaifance pour fon mari, s'étoit fait couper un poireau qu'elle avoit fur le nez. L'opération ayant été ou mal faite, ou faitę à contre-tems, il lui vint un cancer qui la rendit fi affreuse, que l'indigne mari la chaffa de fa maison. Elle eut recours à l'afyle ordinaire des malheureux. Ce cancer dans l'efpace de trois ans & demi se répandit depuis le nez jufqu'au sein. Madame de Chantal eut pendant tout ce tems-là le courage de foutenir trois fois par jour cet affreux fpectacle, d'apprêt ter la nourriture de la malade, & de la lui fervir, de prépa rer les remedes & de les appliquer. A cette femme fuccéda un yieillard tout couvert d'ulceres & d'apoftumes, que Madame de Chantal fervit & panfa pendant dix mois. Après fa mort, elle l'enfevelit de fes propres mains. A peine étoit-il en, terré, qu'un autre prit fa place; car elle ne fouffroit pas que le lit deftiné au foulagement de quelque perfonne abandon née, fût vacant.

Au refte ces charités particulieres n'empêchoient point les générales. Elle ne fe contentoit pas de fecourir en toutes manieres les pauvres qui la venoient trouver. Elle les alloit chercher dans leurs maisons. Rien n'échappoit à fon infatigable charité. La maniere dont elle la pratiquoit, en relevoit le mérite. Au milieu des plus triftes objets, on ne lui voyoit jamais un air fombre ni chagrin. Elle n'étoit jamais plus contente ni plus gaie, que lorsqu'elle revenoit chez elle fatiguée du fervice des pauvres. Elle commençoit alors par entrer dans fa chapelle, pour y remercier Jefus-Chrift des occafions qu'il lui avoit données de foulager fes membres, & le prioit de vouloir bien continuer à fe fervir d'elle pour leur foulagement.

X XIX:

ducation da

Cette pieuse veuve étoit trop éclairée, pour ne pas mettre l'éducation de fa famille au rang de fes principales obli- Soin qu'elle gations. Comme fon fils avoit près de douze ans, & que fes prend de l'éfilles le fuivoient d'affez près, ils étoient déja capables d'in- fes enfans. structions folides. Elle ne les leur épargna pas, quoiqu'en les accommodant toujours à leur portée, & en évitant de les furcharger. Dieu bénit fes faintes intentions. Ses trois filles fu

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XXX.

S. François

rent des modeles de fageffe & de piété; & le baron de Chantal fon fils commençoit à être un gentilhomme des plus accomplis du royaume, lorsqu'il fut tué fort jeune au service duroi. Pour les prémunir contre l'impreffion du mauvais exemple, elle leur faifoit remarquer que le chemin le plus battu eft toujours celui des vices: que s'il y a une fingularité blâmable, il y en a une qu'on ne peut affez louer, qui confifte à ne pas fuivre la foule : qu'il faut faire gloire d'être chrétien, & que plus on doit à Dieu, plus on doit être attentif à ne lui pas déplaire. Pour les fortifier contre leurs propres pafiions, elle leur difoit fouvent, que s'il étoit difficile de les vaincre, il l'étoit encore plus de les fatisfaire : de même qu'il eft plus aifé de fe taire, que de ne pas commettre bien des fautes en parlant beaucoup: que leur sûreté étoit dans le combat: qu'ils pouvoient être heureux en combattant leurs paffions par la raison & par le devoir, mais qu'ils ne le seroient jamais en effayant de les contenter.

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Elle prenoit occafion de tout ce qui fe préfentoit à leurs yeux pour leur faire faire des réflexions capables de leur former l'efprit & le cœur. Un jour en leur montrant un homme qui femoit du blé, elle leur difoit: On croit que c'eft le tra vail de ces gens-là qui nous nourrit ; cependant trop de pluie, trop de féchereffe fuffit pour tout perdre, & pour réduire les plus riches à mourir de faim. Mais cette pluie, cette chaleur modérée, ce tems propre à mùrir les fruits, dépendent uniquement de Dieu. Tous les rois, tous les hommes enfemble n'y peuvent rien. C'eft ainfi qu'elle profitoit de tout pour inftruire fes enfans; elle en ufoit à peu près de même à l'égard de fes vaffaux & de fes domeftiques, perfua dée que quiconque n'en prend pas foin, a renoncé à la foi & eft pire qu'un infidele, felon l'expreffion de l'apòtre.

Ainfi vivoit Madame de Chantal au milieu du monde à de Sales lui l'âge de trente-deux ans ; trouvant du tems pour tout, parce communique qu'elle n'en perdoit point; n'accompliffant jamais un devoir aux dépens d'un autre; fachant démêler dans le concours de plufieurs obligations, celle qui méritoit la préférence; & pratiquant toutes les vertus auffi exactement, que fi elle

le deffein qu'il avoit

d'établir l'or

fication.

n'eût voulu exceller qu'en une. Ce fut alors que le faint évéque de Geneve qui fe trouvoit en France, lui communiqua fon projet pour l'établissement de l'ordre de la Vifitation. La pieuse veuve entrà dans fes vues, & obtint de fes parens la permiffion de les quitter. Le faint prélat, avant de partir pour fon diocèfe, ne recommanda autre chofe à Madame de Chantal, que de fe bien établir dans l'humilité. «En qua→ lité de premiere religieufe de notre congrégation, lui dit-il, je vous regarde, pour ainfi dire, comme la pierre fondamen tale; vous devez donc être la plus cachée, la plus baffe, c'est-à-dire, la plus humble.... Plus notre congrégation fera humble, inconnue & cachée aux yeux des hommes, plus elle s'élevera & fe multipliera, plus elle fera utile à l'Eglife.... Ne vous élevez pas de la qualité de fondatrice. Jefus-Chrift le fondateur de la Religion.... a déclaré en cette qualité, qu'il étoit venu pour fervir, & non pour étre fervi. C'eft ainfi que, quoique la mere de toutes les filles que Dieu mettra fous votre conduite, vous devez vous regarder com me leur fervante, destinée à les fervir dans tous leurs be foins fpirituels & corporels.

Madame de Chantal partit pour Anneci, où elle arriva le dimanche des Rameaux de l'année 1610. Ĺe 6 Juin fête de la Trinité, après les offices du jour, la pieufe veuve accom pagnée de Mefdemoiselles Faure & de Bréchard, alla de, mander la bénédiction du faint évêque. Après un difcours des plus touchans fur le néant & les dangers du monde, fur l'importance de l'affaire du falut, & fur les facilités à y travailler qu'on trouve dans la retraite, il leur remit un abrégé des regles qu'il leur avoit compofées; puis levant les yeux au ciel, il les bénit, & leur fouhaita toutes les graces dont elles avoient befoin pour perfévérer dans le faint état où Dieu les avoit appellées. Enfuite il les fit conduire dans une maifon d'un fauxbourg d'Anneci, qu'il avoit fait préparer pour elles. Le comte Louis de Sales accepta volontiers cette honorable commiffion. En arrivant, elles fe mirent à genoux pour remercier Dieu de ce qu'il vouloit bien les car cher dans le fecret de fa face. Enfuite la mere de Chantal em

XXXI. Madame de Anneci fonder la premie

Chantal va à

re maison de cet ordre.

Progrès de

cet inftitut

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