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voyant déformais hors d'état de le fervir plus long-temps par la foibleffe de fon âge, & penfant qu'un homme de bien devoit toujours mettre un intervalle entre les affaires de ce monde & celles de l'autre, il le fupplioit très-humble. ment de lui permettre de fe retirer de la Cour, pour achever dans le repos & le filence une vie qu'il avoit paffée dans le tumulte des armes: qu'il étoit fâché de voir qu'à mefure que fes forces diminuoient, l'importance des affaires augmentoit, & que l'impoffibilité de continuer à le fervir comme par le paffé, le forçoit à lui remettre l'épée de Connétable, qu'il lui avoit fait l'honneur de lui confier, pour qu'elle paffâr dans une main plus vigoureufe que la fienne que quant à lui, il ne pouvoit plus fervir Sa Majefté que par fes prieres & fes vœux, que cependant pour derniere preuve de fon zele pour le fervice de fon Maître, il le prioit de lui permettre de lui donner encore un confeil, qui étoit de lui proposer pour fon fucceffeur Bertrand du Guefclin que la connoiffance qu'il avoit acquife par un long exercice dans son métier, le perfuadoit qu'il n'y avoit pas au monde un plus vaillant homme ni`un plus fage Capitaine.

:

Le Roi qui avoit le cœur d'un grand Prince, & qui confervoit toujours beaucoup d'affection à fes bons ferviteurs, embraffa tendrement fon vieux Connétable, & lui dit, les larmes aux yeux: « J'ai grand regret de vous perdre, il feroit à fouhaiter que des hommes comme vous ne mouruffent point, mais puifque vous reffentez les infirmités de l'âge, & que vos fervices vous fatigueroient, je fuis forcé de recevoir la démiffion que vous me faites de votre charge, à condition cependant que vous refterez auprès de moi, ou que du moins vous viendrez fouvent à la Cour pour m'aider de vos confeils. Celui vous me donnez au fujet de Bertrand du Guefclin eft une preuve de l'amitié que vous me portez & de la droiture de votre cœur: je le connois pour le meilleur fujet que j'aye; il eft encore en Efpagne, attaché aux affaires du Roi D. Henri: je vous promets de me fouvenir de lui, comme d'un homme plein d'honneur & de vertus, & que l'eftime que vous en faites me rend encore plus recommandable».

que

Le Roi, fans s'expliquer davantage, envoya un courier à notre Héros, qui étoit encore en Efpagne, occupé au

fiege de Tolede, & lui manda qu'il eût à fe fouvenir que la derniere fois qu'ils s'étoient féparés, il lui avoit donné fa parole de le venir joindre, quand il auroit besoin de lui & qu'il le rappelleroit. Du Guefclin répondit à la lettre que le Roi lui avoit fait l'honneur de lui écrire, qu'il ofoit croire que Sa Majefté étoit trop perfuadée de fon refpect & de fa foumiffion à fes ordres pour douter de fon zele & de fa promptitude à lui obéir; qu'il étoit très-fâché que la continuation de la guerre d'Efpagne le retînt malgré lui, & l'empêchât de fe rendre à l'inftant à fes commandemens, comme il le devoit ; mais qu'il alloit travailler avec tant d'ardeur & d'attention à le fervir auprès de D. Henri, que dans très-peu de il auroit la liberté d'aller fe jetter à fes pieds, & lui renouveller fes ferments de fidélité > & fes très-humbles actions de graces des marques que Sa Majefté vouloit bien lui donner de la continuation de fa bienveillance Royale.

temps,

D. Henri profita de l'occafion' pour joindre des lettres de fa part à celles que fon Connétable écrivoit au Roi, & dépêcha quatre de fes principaux Officiers pour les porter plus honorablement, &

il les chargea de préfens précieux à remettre en même temps au Roi. Mais ce qui fut le plus agréable à Sa Majesté ce fut de voir dans quel haut dégré de réputation & d'eftime du Guefclin étoit parvenu en Espagne. Il fut charmé de voir que celui qu'il avoit choisi pour remplir la premiere dignité de fon Royaume, & le repréfenter à la tête de fes armées dans des circonftances aufli intéreffantes, eût acquis chez les alliés tant de confidération, & il en auguroit qu'il lui en feroit d'autant plus utile le bien de fon fervice, & pour pour donner de la terreur à fes ennemis.

Enfin le fiege de Tolede étant fini par la foumiffion des habitans, du Guefclin fe difpofa férieufement à quitter l'Efpagne, & en demanda la permiffion à D. Henti, qui lui fit cette réponse: «Je m'étois Aatté, illuftre du Guefclin, que nous jouirions enfemble de la Couronne de Caftille, dont je fuis redevable à la force de vos armes? mais puifque votre vertu n'eft pas encore fatisfaite d'avoir procuré, le repos de la Caftille, & de l'avoir délivrée du monftre qui la faifoit gémir par fes cruautés & fes violences, puifque la Providence divine veut que cette vertu foit

fans ceffe exercée, il ne m'appartient pas de m'oppofer à fes ordres. Allez donc vaillant Bertrand, allez faire éprouver à votre patrie combien elle eft heureufe, & combien il lui eft glorieux d'avoir donné la naiffance à un homme comme vous; mais quand vous aurez contraint les Anglois à faire raifon à la France de toutes les infultes qu'ils lui ont faites, repaffez les Pyrénées: je me joindrai à vous pour faire la conquête du Royaume de Grenade que les Sarrazins ont ufurpé en Espagne : j'aurai autant de joie de vous mettre fur la têve la Couronne de ce beau & vafte pays, que vous en avez eu à me donner celle de Caftille, & de vous voir dans un tel état qu'il n'y ait plus d'inégalité entre nous pour m'acquitter, autant que je le pourrai, des obligations que je vous ai, & qui font quant à prefent audeffus de mon pouvoir ». Du Guesclin lui répondit que cette féparation l'affligeoit fenfiblement, & qu'il ne pouvoit s'en confoler que par la pensée des fervices qu'il alloit rendre au Roi fon maître, dans la guerre qu'il avoit déclarée aux Anglois, & qu'il auroit la fatisfac tion de combattre les mêmes gens qui avoient favorifé les intérêts du cruel D.

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