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florins d'or: c'est trop, & je n'en veux pas tant. En ce cas-là, reprit du Guefclin, voici mon dernier mot ; je me taxe à foixante-dix mille, je n'en rabattrai pas une obole. Le Prince admirant le grand cœur & le bon fens de du Guefclin, lui demanda où il prendroit une fi groffe fomme, s'il étoit vrai qu'il fûr un fi pauvre Chevalier J'ai des amis, répondit Pertrand, & les Rois de France & de Caftille ne me laifferont pas en arriere pour fi peu de chofe; il y a en Bretagne cent Chevaliers qui vendront leurs terres pour m'acquitter, & enfin les femmes de France fileront affez dans un an pour faire ma fomme. Mais tel porte fa bourfe à fa ceinture, qui ne fait pas que fon argent fervira pour ma rançor.

Après tous ces difcours, le Prince fit apporter du vin, & but avec du Guefclin pour lui donner avant fon départ une derniere marque de fon eftime & de fon amitié, & lui dit: vous voilà libre, vous pouvez déformais aller ou il vous plaira chercher votre fomme.' Chandos & de Caurelée lui offrirent leurs bourfes, il prit d'eux feulement de quoi payer ce qu'il pouvoit devoir dans Bordeaux & pour la route qu'il avoit à faire,

Le bruit fut bientôt répandu dans la ville que du Guefclin étoit libre; le peuple fortit auffi-tôt en foule des maifons & emplit la rue qui étoit vis à-vis le Palais du Prince de Galles, lequel voyant cet empreffement du public, obligea du Guefclin de fe montrer par les fenêtres. La Princeffe de Galles étoit alors à Angoulême où elle apprit cette nouvelle; elle écrivit à fon mari qu'elle le prioit de ne pas laiffer partir Bertrand qu'elle ne fut arrivée à Bordeaux: auffi-tôt qu'elle y fut, on lui préfenta une quantité de baffi is de confitures de la part de la ville, avec une provifion des meilleurs vins de toute la Gafcogne, fuivant l'ufage. Avant que de toucher à rien, elle demanda fi on avoit fait la même civilité à du Guefclin: on lui répondit que la ville l'avoit fait feulement com plimenter; auffi-tôt elle ordonna que tout ce qui venoit de lui être présenté fut porté de fa part au logis de Bertrand avec défenfe que perfonne en retînt la moindre chofe, & elle chargea encore l'Officier qui devoit lui remettre le préfent, de lui dire de fa part, qu'elle l'attendoit le lendemain pour dîner avec elle. Du Guefclin fe trouva très-honoré d'une pareille invitation

la reçut avec refpect, & promit de n'y pas manquer.

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Le lendemain il fe rendit au Palais à midi, & le trouva plein de monde, & fur-tout de la premiere Nobleffe de la Guienne, qui s'y étoit rendue pour le voir. La Princeffe lui fit l'accueil qu'elle auroit pu faire à un grand Prince, lui donna des témoignages extraordinaires de fon eftime, & elle le força de dîner à fa table, malgré toutes les difficultés que le refpect l'obligea de faire. Après le dîner, elle lui témoigna fa furprise de la fomme exceffive à laquelle il s'etoit lui-même táxé pour fa rançon, qu'eler étoit réfolue à lui faire un préfent de trente mille florins d'or pour contribuer au paiement, & qu'elle vouloit qu'il les acceptât. Du Guefclin fe jetta aux genoux de la Princeffe, & lui dit: Madame, j'ai toujours cru jufqu'ici être le plus laid Chevalier qu'il y eut en France, mais je commence à avoir meilleure opinion de ma perfonne, puifque les Dames me font des préfens de fi grande conféquence: je n'en puis refufer un qui me vient de la plus belle & de la plus illuftre main du monde, je l'accepte avec tout le refpect & la reconnoiffance dont je fuis capable. La Princeffe le retint

jufqu'au

jufqu'au foir à converfer ensemble, & quand il eut pris congé d'elle, & qu'il rentra chez lui, il trouva que les. trente mille florins y étoient déja, & que les Tréforiers de la Princelle les y avoient porrés.

L'ufage qu'il fit de cette fomme ne fut pas de la donner en déduction de fa rançon; il commença par rendre à Chandos & à Caurelée ce qu'il avoit emprunté d'eux, enfuite il prit ce qu'il lui falloit pour fon voyage, & employa tout le refte à délivrer les foldats Bretons pri fonniers à Bordeaux. Le Prince de Galles voulut faire à Bertrand le même honneur que la Princeffe lui avoit fait, & lui donner à dîner; il accompagna le repas de tous les plaifirs qui pouvoient fe donner en ce temps là, & la fête dura tout le jour. A l'exemple du Prince, Chandos, Caurelée & plufieurs autres des premiers Seigneurs de la Cour le régalerent l'un après l'autre, après quoi il quitta Bordeaux, laiffant à tout le monde la plus haute idée de fa per

fonne.

En fortant de la ville il fut rencontré par un pauvre Gentilhomme Breton à pied: Bertrand le reconnut pour Fa voir vu fervir en France & en Efpague, Tome II.

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& lui demanda ce qu'il faifoit, & d'où il venoit: Monfeigneur, lui réponditil, je vous croyois encore prifonnier, & je me confolois de l'être moi-même, pendant que vous étiez hors d'état de commander; mais aujourd'hui que je vous vois libre, je fuis au défefpoir de retourner me conftituer prifonnier: je reviens de Bretagne, où j'étois allé pour faire l'argent de ma rançon, je n'ai pu y parvenir, & je retourne me remettre aux Anglois. Hé, dit Bertrand, combien vous faut-il pour payer votre rançon? Cent francs, répondit le Breton. Vous vous mécomptez, dit du Guefclin, il vous faut le double fçavoir, cent francs pour votre rançon, cinquante pour avoir un cheval, & au tant pour vous mettre en équipage. Il commanda à celui qui portoit fon argent de donner deux cens francs à ce pauvre Gentilhomme, qui lui fit des remercimens à proportion du bienfait & lui jura que dès qu'il auroit nouvelle de fa premiere marche, il le joindroit, en état de le fuivre par-tout.

Du Guefclin, en quittant Bordeaux, avoit dirigé fa route vers le Languedoc, pour y voir le Duc d'Anjou, frere du Roi, avant que de fe rendre à Paris &

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