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pour la douceur. C'eft ainfi que le Duc d'Anjou fe vit maître de Tarafcon qu'un grand nombre de foldats n'avoit pu réduire, & que du Guefclin feul & défarmé avoit obligé de capituler, fans prefque d'autre violence que la gloire que fon nom portoit avec lui.

Après ce léger exploit, il prit congé du Duc, qui lui témoigna fa fatisfaction du fervice qu'il venoit de lui rendre, & lui fit prefent de trente mille florins d'or, pour contribuer au paiement de fa rançon. Bertrand les accepta avec de grands témoignages de reconnoiffance, & ayant pris des quartiers pour les deux mille Bretons, & leur ayant enjoint de fe tenir prêts pour l'accompagner en Espagne, il partit & prit fa route par Avignon, où il eut l'honneur de voir le Pape, & accompa gné de quelques uns de fes amis, continua fa route pour fe rendre à Paris auprès du Roi.

Dans les premiers jours de fa marche, il lui arriva une aventure où il eut occafion de fignaler fon caractere généreux. Dix Gentilshommes Bretons, faits pri→ fonniers comme lui à Navarret, s'en retournoient de Bordeaux en Bretagne, fur leur parole, pour y aller chercher

l'argent de leur rançon: ils entrerent dans une Auberge de la route, mirent leurs chevaux à l'écurie. Leur

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équipage faifoit pitié, quelques-uns étoient à pied, les autres mal montés, leurs habits de vrais haillons, &, ce qu'il y avoit de plus fâcheux, ils étoient fans argent. Le Maître de la mai. fon les voyant en fi mauvais état, leur demanda qui payeroit la dépense qu'ils alloient faire; ne vous inquiétez pas, leur dirent-ils, nous fommes bors pour vous payer; nous venons de Bordeaux, où nous avons été mis à rançon, ayant été faits prifonniers avec le fameux du Guefclin à la bataille de Navarret & nous allons fur notre parole chercher de l'argent dans notre pays. Nous fçavons feulement que du Guefclin eft en liberté depuis quelques jours à la même condi. tion que nous, & notre intention est de le joindre où nous pourrons pour le fuivre par-tour L'Hôte qui avoit été homme de guerre, les reconnut à leur accent, leur demanda avec empreffement des nouvelles de du Guefclin, & de fes aventures, & fe fit raconter les beiles actions qu'il avoit faites en Efpagne, dont il fut fi charmé, qu'il leur dit, puifque vous avez combattu fous un fi grand

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Capitaine, & que vous êtes Bretons comme lui, foyez les bien-venus, je vais vous traiter comme des amis, & comme je recevrois mes propres enfans, & four de fuite ordonna que l'on préparât un bon répas. A peine y avoit-il une demie-heure que ces dix Gentilshommes étoient dans l'Auberge, que du Guefclin y entra dès qu'ils fçurent qu'ils fçurent que c'étoit lui, il coururent lui rendre leurs devoirs & fe faire reconnoître, & lui rendirent compte du bon accueil que l'Hôte leur avoit fait pour l'amour de lui. Du Guefclin prit la place à leur table an milieu d'eux, avec fes amis, & les fit tous dîner avec lui: ces pauvres Gentilshommes vouloient s'en excufer par respect, & par la difproportion qu'il y avoit entre eux & un homme de fon rang & de fa dignité, mais il les contraignit de fe mettre à table. Quand le repas fut fini, il s'informa d'eux à quoi montoient leurs rançons, ils répondirent qu'ils avoient compofé pour tous, & s'étoient engagés les uns pour les autres à quatre mille francs: il faut bien, dit-il, les trouver, & encore autant, favoir, deux mille pour vos armes, mille pour votre voyage, & mille pour l'honnête homme qui vous a fi bien

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reçus à ma confidération. Ce qu'il fit exécuter à l'inftant par fon Tréforier; enfuite de quoi ils fe féparerent après que les Gentilshommes fe furent acquittés de leurs actions de graces pour un bienfait fi considérable, & qui leur étoit venu auffi à propos. Ils s'habillerent, fe remirent en bon équipage & retournerent à Bordeaux porter l'argent de leurs rançons; cette heureufe aventure leur en occafionna une autre fort plaifante.

Celui qui les avoit pris, & à qui ils porterent l'argent, les voyant revenir fi-tôt, fi bien équipés & fi bien vêtus, s'imagina qu'ils avoient dévalifé quelques Marchands fur le grand chemin, & les dénonça au Sénéchal de Bordeaux qui les fit mettre en prifon & les interrogea féparément : toutes leurs répon fes fe trouverent uniformes; ils lui apprirent la rencontre qu'ils avoient faite de du Guefclin, & tout le refte. Il n'en fallut pas davantage pour les faire élar gir. Au nom de du Guefclin, perfonne ne douta de la vérité d'un fi beau trait de fa générofité. Le Prince de Galles en fut informé, & s'écria, en vérité ce du Guefclin eft un excellent Chevalier en tout ce qu'il fait: & s'il continue jamais homme n'aura fait une.fi belle

carriere que lui, & Dieu nous garde nous-mêmes de regretter un jour de ne l'avoir pas rerenu. Chandos qui étoit Gouverneur de Nyort, fçur qu'il de voit paffer par cette ville, il s'y rendit en diligence pour l'y recevoir, & lai fic rendre autant d'honneur qu'il auroit pa faire au Roi d'Angleterre lui-même: il le conduifit & le traita jufques dans Poitiers, où le Gouverneur, par ordre du Prince de Galles, le reçut avec tons les honneurs poffibles, & l'accompagna jufqu'à Tours où il y avoir ordre du Roi de France de lui faire une pareille réception : le même ordre étoit donné fur toute fa route, à Amboife, Blois & Orléans. Enfin il arriva à Paris, & defcendit au Palais des Tournelles où le Roi étoit logé, & dont il fut reçu avec des témoignages de joie, d'eftime & d'amitié inexprimables.

Après avoir paffé huit ou dix jours auprès du Roi, Sa Majefté lui donna congé d'aller en Bretagne, avec fa parole Royale de ne pas manquer une feale occafion de lui donner des marques de fon eftime, & du cas qu'il faifoit de fon mérite & de fa valeur. Sur cela du Guef clin renouvella' au Roi les affarances de fa fidélité, le Roi lui répartit: je ferois

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