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injuste si j'en doutois, je fuis même très- affuré que par-tout où vous vous trouverez, vous quitterez tout pour mon fervice, fi j'ai befoin de votre épée. Du Guefclm lui en fit ferment, & que rien ne feroit capable de le retenir ailleurs. Enfin comblé des bontés de fon Prince & de l'affection de toute la Cour, il prit le chemin de Bretagne.

Il envoya devant lai un de fes Officiers trouver de fa part le Duc (1) à Nantes, fans doute pour favoir s'il ne trouveFoit pas mauvais qu'il entrât dans la Province, & pour lui préfenter fes refpets. Le Duc, qui étoit plein d'honneur & de cœur, reçut le Gentilhomme de du Guefclin très-gracieufement, & le chargea de dire à fon Maître, que non-feulement il pouvoit paffer & réfider par toutes les terres de fon obéiffance, mais qu'il feroit lui-même fort aife de voir un homme qui étoit l'honneur de la Bretagne & de toute la Chrétienté, qu'ainfi il feroit le bien venu par-tout. Bertrand prit fa route par Craon & Rennes, & fe rendit à la Roche d'Airien

(1) C'étoit Jean, Comte de Montfort, contre lequel, & contre fon pere, Bertrand avoit fi long-tems porté les armes, comme on l'a vu.

où étoit fa femme, & dont le nouveau Duc Jean le Conquérant avoit confirmé à du Guefclin le don que Charles de Blois lui avoit fait de l'ufufruit. Là, il reçut les vifites de tout ce que la Bretagne avoit de plus haute Noblesse: le Vicomte de Rohan, le Seigneur de Craon, Raoul de Tréal, Evêque de Rennes, Jean de Laval, les Sires de Beaumanoir, de Coëtquen, de Montbourcher, de Dinant, de la Belliere, de Quitté, & tous les autres Seigneurs de Bretagne, d'Anjou & du Maine, s'y rendirent avec empreffement, ainfi plufieurs de la baffe Normandie.

que

De fon premier voyage en Espagne, il avoit rapporté une fomme de cent mille livres, qu'il avoit mise en dépôt à l'Abbaye du Mont Saint Michel. De retour de Bordeaux, & voulant payer fa rancon, il parla de cet argent à Typhaine Raguenel fa femme, & lui dit qu'il vouloit le retirer pour en payer une partie afin de n'être à charge que pour le furplus à fes amis, de qui il feroit forcé de l'emprunter. Elle lui répondit qu'il ne falloit plus compter ni fur fon argent d'Espagne, ni fur les revenus de fes terres de Longueville, de Pontorfon, Provencé, la Guerche, la Roche d'Ai

fe

rien, & autres, non plus que fur sa vaiffelle, & fur fes pierreries, bagues & bijoux à elle-même: » J'ai, dit-elle, employé ou engagé tout cela pour courir les pauvres Gentilshomines qui ont fervi fous vous, en payant la rançon des nins, remettant d'autres en équipages, récompenfant les autres, enfin en vous acquérant le plus de braves gens que j'ai pu ». Du Guefclin l'embraffa tendrement, & lui dit qu'elle avoit encore mieux fait qu'elle ne croyoit, & que c'étoit véritablement bien ménager & bien employer l'argent, & s'enrichir réellement que d'en avoir fait un ufage fi judicieux, puifque l'acquifition d'un vaillant homme étoit préférable à celle d'une Seigneurie, & qu'un bon foldat valoit mieux qu'un tréfor; & il ajouta : » Ce que vous avez fait-là me procurera non-feulement plus de gloire par la valeur des braves gens que vous m'avez attachés, mais j'efpere que j'en acquérerai beaucoup plus de biens que vous n'en avez employé. Les Seigneurs qui étoient alors, comme nous avons dit, en grand nombre à la Roche d'Airien, inftruirs de la générosité de la Dame du Guefelin, convinrent enfemble d'avancer à leur ami la fomme dont il avoit

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befoin pour payer fa liberté, & l'exécuterent en très-peu de jours: le Comte de Laval feul lui prêta quarante mille livres, les autres chacun felon fes forces; enfuite toute cette Compagnie fe fépara avec toutes les proteftations pofibles d'amitié réciproque.

Du Guefclin refta encore quelque temps chez lui pour arranger fes affaires, après quoi il partit pour Bordeaux. Il prit fa route par Pontivy, où féjournoit le Vicomte de Rohan, & de là fe rendit à Nantes, où le Duc n'oublia rien pour lui faire une réception magnifique, De Nantes il alla en droiture à la Rochelle, où il trouva encore un nombre de fes Gendarmes Bretons, pris à Navarret, dans le même cas de ceux qu'il avoit déja affiftés de fon argent: ce n'eft pas la peine leur dit-il, que vous faffiez une fi longue traite que d'aller en Bretagne & d'en revenir : il vaut mieux que je vous donne ici l'argent de vos tançons, & que vous retour. niez à Bordeaux vous en acquitter: puis vous irez en Languedoc, m'attendre pour m'accompagner en Espagne. Il commanda à fon tréforier de leur donner le montant de leurs rançons ; & de quoi se remonter & faire leur route: en forte qu'en

partant de la Rochelle il ne lui reftoit plus d'argent, & qu'il fut obligé d'en prendre chez des Banquiers, & de tirer des lettres de change fur les fermiers de toutes fes terres. Enfin il fembloit que rien ne fût à lui, tout étoit pour les pauvres & les gens de guerre, jufqu'à fes habits

& fes chevaux ; il ne fe réfervoit que le droit & le plaifir de faire des heureux. Les Rochelois témoins de cette exceffive générofité ne pouvoient contenir leur admiration, & peu à peu conçurent pour lui une affection qui eut enfin des fuites très - considérables comme nous le dirons dans le temps.

Du Guefclin arrivé à Bordeaux, fe rendit chez le Prince de Galles qu'il trouva dans fon Palais, avec Jean Chandos fon Connétable, Hüe de Caurelée & plufieurs autres Seigneurs de fa Cour. Sitôt que le Prince apperçut du Guefclin, il feleva, & l'empêcha de fe jetter à fes genoux : il entra en converfation, le queftionna fur fon voyage, & lui dit qu'il avoit fait grande diligence pour une fi longue route, qu'il étoit informé qu'il apportoit des fonds pour payer fa rançon & même beaucoup plus qu'il ne lui en falloit. Du Guefclin lui répondit: il eft vrai, Monfeigneur, que j'ai perdu le

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