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blier les injures que fes fujets lui avoient faites. Au lieu de chercher à conferver par un gouvernement équitable & modéré une Couronne que fes fureurs lui avoient déja fait perdre une fois, il fe livra plus que jamais à fon caractere féroce : & ce Prince exécrable fembloit étudier à fe rendre l'horreur de fes peuples. La foif de la vengeance & la crainte de retomber dans l'état où il s'étoit vû, lui fit facrifier par fupplices rigoureux les plus grands Seigneurs de fon Royaume fur de fimples Loupçons, & même des femmes de la premiere qualité. Connaiffant cependant que non-feulement il ne devoit plus attendre de fecours du Prince de Galles, mais qu'il trouveroit plutôt en lui un ennemi prêt à le punir de fes perfidies, & de l'avoir trompé lui-même, il pric le parti de chercher des amis parmi les Princes Maures.

Il y avoit à la Cour du Roi de Grenade un premier Miniftre nommé Bennahim, homme recommandable par fon efprit & par fa fageffe, qui l'avoient élevé au pofte qu'il occupoit, & lui avoient acquis un très-grand crédit auprès de fon Maitre & de la nation. D. Pedre s'avifa de lui écrire comme il auroit рц

faire à un ami, pour lui faire part de fa victoire & de fon retablissement. Il en reçut une reponfe fi judicieufe & fi pleine d'inftructions folides, que nous ne pouvons nous empêcher d'en mettre quelques traits fous les yeux du lec

teur.

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Seigneur écrivoit ce fage Miniftre, vous avez éprouvé de furieuses atteintes de la fortune, qui doivent vous faire fonger aux moyens d'en profiter: fi vous n'êtes pas du nombre de ceux qui fçavent tirer avantage & faire leur bonheur des disgraces d'autrui, au moins devriez-vous vous estimer heureux, fi vous fçavez profiter de celles que vous avez effuyées vous-même. Les adverfités qui arrivent aux hommes peuvent être com. parées aux remedes de la Médecine qui font défagréables au goût, & qui enfuite operent le rétabliffement de la fanté, quand ceux qui les ont pris en attendent patiemment les effets, & leur donnent le temps de faire toute leur opération: mais auffi comme ces remedes fe tournent en poifons, & donne trop ordinairement la mort, quand l'inquiétude des malades ou leurs mauvaises habitudes, les empêchent de faire des effets falutaires; de même les difgraces

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paffées achevent la ruine d'un homme

qui n'a pas affez de prudence pour en faire fon profit. Si vous avez été arraché de votre Trône par ceux qui étoient plus obligés que d'autres à vous y maintenir, vous devez faire réflexion que vo→ tre conduite a pu en être la premiere caufe, & que n'ayant pas ea pour vos fujets l'affection que vous leur deviez, vous leur avez donné l'exemple de manquer pareillement à ce qu'ils vous de voient, & de ne plus vous aimer ni refpecter. Ainfi je vous confeille de vous former une nouvelle politique fur celle que vous avez autrefois pratiquée, & de vous conduire fur des principes directement oppofés à ceux que vous avez précédemment fuivis: parce moyen vous acquérerez les cœurs de vos fujets qui donneront à l'avenir leurs biens & leur fang pour votre gloire & pour votre fervice: vous deviendrez même cher à vos voilins qui refpecieront votre autorité & votre peffonne enfin vous êtes pour vous même unexemple dont vous devez profiter.» La lettre de ce fage Maho métan contenoit encore un nombre de réflexions qui toutes tendoient au même bur.

Le bruit courut bientôt dans la Caf

tille, que D. Pedre avoit contracté alliance avec les ennemis du Christianisme: les murmures recommencerent de toutes parts, & furent fuivis de complots & de foulévemens. On envoyoir couriers fur couriers à D. Henri pour le conjurer de revenir en Caftille, & on l'affuroit que tous les efprits & les cœurs étoient difpofés à le recevoir & à le remettre fur le Trône. Le Prince incertain d'abord, fe réveille enfin : tant d'avis réitérés, & tant d'invitations lui confirment la fincérité de fes peuples: l'efpérance fe ranime dans fon cœur, il voit, fans pouvoir en douter, qu'il n'aura plus le Prince de Galles pour ennemi, après la perfidie de D. Pedre. Mais l'aventure lui paroiffoit trop intéreffante pour qu'il s'y embarque fans précaution, & fans en appercevoir l'iffue à fon avantage. Il crut ne pouvoir mieux fe confulter qu'avec du Guefclin: mais il étoit prifonnier à Bordeaux, & il n'étoit pas aifé de le voir: la bonne fortune de l'un & de l'autre y pourvut, ou plutôt la Providence qu'on ne peut fe laffer de reconnoître dans la plupart des événemens de cette hiftoire.

Le Prince fe réfolut à hafarder fa fortune & fa vie même pour le voir, &

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traveftien Pélerin, luí troifieme, il párt de Toulouse, & en cet équipage fe rend à Bordeaux. Il y arrive incognito, & choifit la moindre hôtellerie de la ville pour éviter d'être reconnu. Dieu permit qu'un Gentilhomme Breton, pris à la bataille de Navarret, & qui avoit la ville de Bordeaux pour prifon, fe trouvât logé dans la même auberge. Ce Gentilhomme qui avoit fervi fous D. Henri le reconnut d'abord; le Roi même fe remit fes traits, enforte que tous deux admirerent en particulier dans cette aventure une opération du ciel, qui les avoit fait rencontrer pour concourir enfemble aux grands deffeins que la Divinité fit éclore depuis. Ils fouperent. enfemble, les trois Pélerins & le Prifonnier, fans fe découvrir l'un à l'autre ; mais celui-ci fur la fin du repas

étant tombé dans une profonde rêverie, donna aux autres d'étranges inquiétudes d'être découverts, Ils avoient remarqué que pendant tout le repas cet homme avoit éu les yeux fixés fur le Roi, & ils craignirent d'être trahis. Cependant ils fe raffurerent fur ce qu'il étoit Gentilhomme & Breton, & qu'avec ces deux qualités il devoit être à l'abri de tout foupçon de perfidie &

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