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pendante devant le Sénéchal de Carcaffonne, qu'il attendoit de Toulouse fes gens d'affaires qui devoient lui amener un Confeil, & qu'il alloit dans toutes les Hôtelleries, fçavoir s'ils n'étoient pas arrivés, parce que l'affaire preffoit. Quoique cette fable fût affez bien compofée, Gaillard ne s'en contenta pas, & ne la prit que pour une défaite. Son zele pour D. Henri lui rendoit tout fufpect: il envoie à toutes les portes de la ville fçavoir si on n'avoit pas vu entrer des gens inconnus, & ayant appris des portiers qu'ils en avoient vu beaucoup, il en fit arrêter quelques-uns qui confefferent être venus ponr fervir le bâtard de Comminges, au fujet d'un procès qu'il avoit, difoit-il, contre des gens qui l'avoient menacé de le faire affaffiner. Gaillard en rendit compte à la Ducheffe d'Anjou, qui donna ordre aux Officiers de Carcaffonne d'arrêter Comminges. Mais il avoit déja pris la fuite fi-tôt qu'il fe fut apperçu que fon mauvais deffein étoit découvert, & il évita ainfi la peine qu'il méritoit, car la Princeffe étoit réfolue, malgré le beau nom qu'il portoit, de le faire pendre comme un traître, & comme il le méritoit, felon tou

tes les loix de la justice & de l'honneur. D. Henri ayant ainfi évité ce piege, fe rendit de Carcaffonne à Béziers, où il trouva le frere du Begue de Villaines qui lui fit escorte jufqu'à Villeneuve d'Avignon, où en arrivant, il trouva le Duc d'Anjou dans fa chapelle prêt à entendre la Meffe: il y refta avec le Duc, qui, quand elle fut dite, le mena à fon logis, le fit fervir par fes Officiers. Ils eurent fréquemment enfemble des conférences fecretes fur le voyage d'Espagne. Tant que D. Henri féjourna à Villeneuve ils mangerent fouvent en public & feul à feul; enfin le Duc lui fit une réception telle qu'il convenoit de faire à un Roi, comme il l'étoit effectivement, & tint maison ouverte (1). Les fêtes fe terminerent par un feftin Royal que le Duc lui donna, après lequel il lui dit publiquement devant toute fa Cour raffemblée qu'il fouhaiteroit de tout fon cœur être libre d'aller en Efpagne pour lui remettre la couronne de Caftille fur la

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(1) C'étoit le terme ufité pour exprimer la réception que les Rois & les plus grands Princes le faifoient, où ils étaloient toute la magnificence de leur Cour.

tête, mais que les affaires du Roi fon frere ne lui permettoient pas de quitter le Languedoc (1); qu'ainfi il le fupplioit de le difpenfer de ce voyage, & qu'en fa place il lui donneroit deux mille vaillans hommes qu'il avoit fait lever dans fon Gouvernement, commandés par le Begue de Villaines, & qui étoient payés pour trois mois, & que pour gage de fon amitié, il le prioit d'accepter toute la vaiffelle d'argent qui avoit fervi à leur diner. D. Henri trèscontent des manieres nobles & généreufes du Duc d'Anjou, lui en témoigna sa, reconnoiffance dans les termes les plus fenfibles, l'affura que tant de bienfaits & de fi bons offices étoient pour lui autant de devoirs de n'oublier jamais un fi grand Prince, & que s'il acceptoit le riche préfent qu'il lui offroit, c'étoit par eftime pour la main de qui il venoit, & qu'il le conferveroit toute fa vie pour avoir toujours devant les yeux des objets qui lui rappelaffent fans ceffe fon fouvenir. Il pria le Duc de lui conferver toujours la même affection, qui, de ma

(1) Cela eft aifé à comprendre, ayant un voifin aufli entreprenant & auffi ambitieux que le Prince de Galles, en Guienne.

part, ajouta-t-il, ne s'éteindra jamais que par la mort, en quelqu'endroit, & dans quelque fituation que je me puiff

trouver.

Le lendemain ils pafferent le Rhône, & fe rendirent à Avignon, où ils eurent audience du Pape, & ratifierent avec lui tous les articles du traité qui avoit été fait auparavant entre Sa Sainteté, les Rois de France & d'Aragon, & D. Henri. L'Aragonnois avoit fait fa paix avec D. Pedre, non par infidélité, mais parce qu'il redoutoit fes forces & le caractere de ce Roi, qui, rétabli fur fon Trône, étoit capable de lui enlever fa Couronne, & qui l'avoit obligé à n'avoir pas même de liaifon avec D. Henri. Mais quand il vit toute la Caftille en rumeur contre ce Roi, & excédée de fa tyrannie & de fes cruautés, il entra fans balancer dans la nouvelle ligue. Tous les Caftillans, en effet, murmuroient tout haut, & regrettoient D. Henri, dont ils comparoient le gouvernement à celui de D. Pedre, & la douceur, la modération, les vertus de l'un, avec la férocité, la barbarie & les vices de l'autre. Tous les états depuis les grands jufqu'aux plus petits, & les Eccléfiaftiques même

fouffroient également & foupiroient après le retour de leur Roi D. Henri, n'attendant plus que lui pour éclater.

D. Henri, après fon opération à Avignon, traverse tout le Languedoc avec les deux mille hommes que le Duc d'Anjou lui avoit donnés, entre fur les terres d'Aragon, y eft reçu du Roi comme un allié, reçoit de lui une bonne troupe de vaillans foldats, & l'Infant aîné pour les commander. La nation. & fur-tout les gens de guerré étoient ravis que ce jeune Prince fut inftallé dans le métier fous du Guefclin, & qu'il apprît de lui à être fage, vaillant & humain car perfonne ne doutoit qu'il ne dût être de cette expédition vu les préparatifs qu'on fçavoit qu'il avoit faits en France,

Henri parut bientôt fur les bords de l'Ebre à la tête de ces troupes. Auffi-tôt toute la Caftille, confternée auparavant, entra dans la joie & dans l'efpérance d'une félicité certaine : tout s'anima d'une nouvelle vigueur à la vue de cet astre favorable après lequel on avoit tant foupiré (1).

(1) Les Hiftoriens Efpagnols racontent que D. Henri étant arrivé fur les bords de l'Ebre

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