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de lâcheté. Dans cette affurance l'un d'eux lui demanda d'où venoit ce grand férieux, & s'il fe trouvoit indifpofé. Le Gentilhomme lui répondit naïvement, il y a là un de vos camarades qui reffemble fi parfaitement au Roi qui de Caftille D. Henri que j'ai l'idée pleine de cette reffemblance, & je n'en ai jamais vu de pareille. Sur cela il fe mit à difcourir, rappella tout ce qu'il favoit de ce Roi & de fes aventures, en un mot il raconta tout ce qu'ils en favoient eux-mêmes, enforte qu'ils ne douterent pas d'être reconnus. Cepen dant ils n'ofoient fe déclarer à lui, de peur de mettre la perfonne du Roi en un danger évident: ils n'ofoient non plus laiffer voir trop de défiance, de peur de l'indifpofer, & que s'il apprenoit leur fecret par d'autres que par eux, il ne fût capable de le divulguer. Le Gentilhomme continuant toujours à parler de D. Henri, & à le, combler d'éloges, tant fur fa valeur, que fur fa bonté & fes autres vertus faifoit des vœux au ciel pour qu'il remontât fur le Trône, & proteftoit d'être des premiers à le fervir, fi l'occafion s'en préfentoit: puis il porta la parole au Roi lui-même, avec une effufion de

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cœur qui acheva, de lui gagner la con

fiance du Prince & de fes deux compagnons d'aventures:» Ah! dit it, que je ferois heureux fi c'étoit à ce grand Roi que j'euffe l'honneur de parler! Je vous conjure de ne me pas lailler plus long-temps dans cette incertitude, apprenez mos fr je ne me trompe point,& foyez affuré d'avoir en moi un de vos plus fideles ferviteurs & des plus affectionnés ». Le Roi ne lui fit qu'un figne pour lui faire entendre qu'effectivement c'étoit lui-même, & il lui découvrir fon fecret.

Dans la converfation ils avoient parlé de du Guefclur & de fes faits; le Roi dir donc au Gentilhomnre : c'eft pour lui que je fuis vena ici dans cet équipage bifarre, je defirerois le voir & l'entretenir, & puifque vous venez de moffrir vos fervices, tâchez de me rendre celui-là; vous voyez la confiance que j'ai en vous. L'Officier flatté de la propofition, promit de lui don ner contentement, & ils arrêterent que D. Henri iroit l'attendre dans une églife à l'extrémité de la ville, & qu'il s'enfonceroit dans le lieu le plus obfear, crainte d'être va & reconnu de quelques Anglois qui avoient fervi en Caf

tille avec Hüe de Caurelée, & dont toute la ville de Bordeaux étoit pleine : & que le Gentilhomme iroit à la prison de du Guefclin effayer de le voir & de lui parler pour concerter leurs mesures, & leur procurer, au Roi & à lui, le plaifir de fe voir: enfuite de cet arrangement, les trois Pélerins le quitterent, & le Breton alla faire fa commiffion. Il eut le bonheur de parler le lendemain à du Guefclin, & ne l'étonna pas peu quand il lui apprit que D. Henri étoit à Bordeaux fans autre caufe que pour le voir. Du Guefclin ravi d'une nouvelle fi agréable & fi inespérée, dit à fes gens de lui préparer un grand repas, pour régaler des Gentilshommes Bretons qui revenoient de Saint Jacques de Compoftelle, & que le hafard lui avoit appris être à Bordeaux. Il envoya le Géolier prendre de fa part cent écus. chez un Lombard fon Banquier, en difant qu'il en vouloit dépenser la moitié pour fon dîner, & que le refte feroit pour lui & pour le payer de fes peines.

D. Henri étoit dans l'église à attendre le retour du Gentilhomme Breton, lorfque quelques gardes du Prince de Galles y vinrent pour entendre la Meffe,

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appercevant ces trois figures extraɔr→ dinaires, il eurent long temps les yeux fixés fur eux enfin ils les aborderent pour leur demander s'ils alloient à S. Jacques, où s'ils en revencient. D. Henri pendant ces queftions étoit étrangement agité de la peur d'être reconnU lorf que par bonheur le Gentilhomme Bre ton entra dans l'églife, & pour ne point paroître avoir connoiffance de ces Pélerins, fe mit à genoux, & leur fit figne de loin, comme ils en étoient conve nus, & fortit. Les Pêlerins le fuivirent, laiffant une grande diftance entre lui & eux & enfin il les introduit dans la prifon où étoit du Guefchin. La joie que le Roi & lui reffentirent, en fe retrouvant ensemble, eft inexprimable: ils fe retirerent à quartier, pour s'entretenir librement en attendant le dîner, &c. les trois autres s'éloignerent pour ne les pas gêner; cependant ils laiffoient quelques fois entendre quelques paroles de leur converfation, comme s'ils ne difoient rien d'intéreffant & qu'elle n'eût rien de fecret. Les autres pour n'être point fufpects parloient haut, & fouvent le Roi & du Guefchin leur por tcient la parole: le Prince témoigna à Bertrand combien il lui étoit fenfi

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ble de le voir en fi mauvais lieu pour récompenfe des bons fervices qu'il lui avoit rendus; qu'il voudroit pouvoir le racheter de tout ce qui lui reftoit au monde; que fon trop grand mérite leur faifoit tort à tous deux, & que toute l'Europe penfoit que le Prince de Galles ne le relâcheroit jamais, parce qu'il redoutoit fa valeur. Du Guefclin lui répondit qu'il ne reffentoit la dureté de fon état, que parce qu'il lui ôtoit la Liberté de lui rendre de plus grands fervices que ce qu'il avoit fait jufqu'alors. Le Roi enfuite entra en matiere inftruifit fon Connétable de l'état préfent des affaires : que les peuples & les Grands de Caftille lui avoient donné. avis du mécontentement général de la nation contre D. Pedre, que l'on murmuroit tout haut de fa conduite auffi cruelle qu'avant fa difgrace que lui, D. Henri avoit reçu quantité de couriers & de lettres d'invitation de fe rendre en Castille, & que les peuples le reconnoîtroient dès qu'il s'y montreroit. Du Guefclin ne fit que rêver un moment, & répondit au Roi: « Il faut. Sire, vous rendre en Caftille le plus promptement que vous pourrez: votte préfence & vos vertus acheveront de

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