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qui la lui fit époufer. Ce mariage qui caufa fa fortune, fut auffi cause de ses malheurs. Il étais dépourvu de tous les talens, de toutes les connaisfances néceffaires à la défense d'une place forte; comme il était de la plus fordide avarice, rien de plus facile que de furprendre fa fidélité.

Ce major Doo, donc, vint me voir dans ma prifon. Il était efcorté de l'adjudant & d'un officier de garde. Après avoir vifité tous les coins de mon réduit, il lia conversation avec moi. Il me dit que mon crime s'était beaucoup aggravé par les tentatives que j'avais faites pour brifer mes fers; qu'il ne doutait pas que le reffentiment du roi ne fut devenu extrême. Ce mot de crime me fit entrer en fureur. Il m'exhorta à la patience, à la modération. Je le priai de me dire à quelle durée le roi avait fixé ma détention. Il me dit qu'un officier coupable de trahifon, qui avait entretenu une correfpondance avec les ennemis de l'Etat, ne pouvait attendre que de la grace du roi le terme de fa punition. Pendant qu'il avait commencé à me parler, j'avais confidéré fon épée du coin de l'œil; fur la dernière réponse je la lui arrachai, je m'élançai hors de ma chambre, je renverfai la fentinelle avec le lieutenant de

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garde (1) que mon apparition avait étourdis. Je les fis rouler du haut en bas de l'efcalier. Tout le corpsde-garde fe trouva fur mon paffage; je m'élançai l'épée au poing, frappant de droite & de gauche. Mon action était fr furprenante, qu'elle portait l'effroi avec l'étonnement. Les gardes fe rompirent; j'avais déja bleffé quatre hommes, on me fit place. Je paffai tout au travers de ces hommes frappés de furprife. Je fautai du haut du rempart qui était d'une élévation prodigieufe; je me précipital dans le foffé, où je tombai droit fans m'être fait aucun mal, & fans avoir quitté l'épée du major. Parvenu au fecond rempart, qui était beaucoup plus bas que le premier, je le franchis avec le même bonheur, & je tombai encore fur mes pieds. Perfonne n'avait eu le tems de charger fes armes; perfonne non plus n'avait fongé à m

(1) Une chofe affez fingulière, c'eft que me trouvant l'année dernière à Berlin, un vieux général blanchi fous les armes, s'approcha de moi à la cour & me dit d'un ton d'amitié : » Soyez le bien - venu dans votre patrie, mon cher Trenck. Je lui demandai fon nom. « Je fuis, me › dit-il, le général Kowalski. En 1746, j'étais lieutenant de garde à Glatz. C'est moi que vous avez jetté tout au → travers de l'escalier, c'est moi fur le corps duquel vous avez paffé pour fuir.

pourfuivre par le chemin que j'avais pris. On était obligé de prendre un long détour pour marcher fur mes pas, & avant qu'on pût atteindre la porte de la ville, j'avais l'avance d'une demi-heure. Cependant comme j'allais traverser le paffage étroit d'un ouvrage intérieur, une fentinelle courut far moi pour s'oppofer à ma fuite. Quoiqu'elle eur la bayonnette au bout du fufil, j'écartai cette arme & je lui portai un grand coup d'épée tout au travers de la figure. Une autre fentinelle venait à moi par derrière; je voulus alors voltiger fur les paliffades, mais je reftai attaché par un pied entre deux barreaux. Il me donna un coup de fa bayonnette à la lèvre fupérieure, & comme il ne m'était pas poffible de me dégager, il faifit mon pied & me força de refter dans cette position douloureufe jufqu'à ce qu'un autre foldat vînt à fon fecours. Je me défendais en homme animé par le défefpoir, on me frappa de coups de croffe, & l'on me reconduifit en prifon.

Il est pourtant sûr que fi j'avais pu franchir les paliffades, & que j'euffe tué fans miséricorde le foldat qui venait fur moi, j'aurais eu le tems de gagner les montagnes avant qu'on eut pu me rejoindre. Ainsi je ferais arrivé en Bohême, après

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