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un double mérite à être intrépide & heu

reux.

Auffi-tôt que l'armée fut entrée en Silésie, les gardes-du-corps partirent & allerent prendre leurs quartiers d'hiver à Berlin.

Je ne donnerai point ici l'hiftoire de toute la guerre de Bohême; mais comme j'écris la mienne, je dois faire mention de tout ce qui a pu in Auer fur mon fort.

Entre autres incidens remarquables, je montai à cheval près de grand - Beunefchau avec trente huffards & vingt chaffeurs pour aller aux fourrages. Après avoir pofté mes huffards dans un couvent, j'entrai dans un château feigneurial, & déja, dans la cour de la ferme on chargeait de la paille & du foin. D'un bois épais & trèscouvert, un lieutenant de huffards autrichiens avec trente-fix cavaliers, avait observé ma petite troupe. Mes hommes chargeaient les chariots fans aucune inquiétude. Tout-à-coup, on les furprend, on les enveloppe, & tous mes chaffeurs font faits prifonniers. J'étais alors dans l'intérieur du château, affis tranquillement à côté d'une

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jeune dame; quand je m'apperçus de ce qui fe paffait, & que je me vis fans défense. Inquiet, honteux de mon extrême imprudence, la bonne dame me propofait de me cacher, lorsque j'enrendis des coups de fufil. J'abrège. Mes huffards avaient appris par 'un payfan, qu'un officier autrichien était en embufcade dans le bois. De loin, ils nous avaient vus entrer dans la cour de la ferme du château. A l'inftant ils étaient accourus fur mes pas, & ils nous avaient rejoints prefqu'au moment où l'ennemi venait de nous furprendre.

Quelle rapidité ! quelle joie je mis à defcendre! Quelques huffards ennemis s'échappèrent par une porte de retraite; mais nous fîmes 22 prifonniers, avec un lieutenant du régiment de Kalnocki. Nous en tuâmes deux, & nous en blefsâmes cinq. Deux de mes chaffeurs avaient été fabrés, pendant qu'ils avaient quitté leurs armes pour travailler dans l'étable au foin.

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Nous nous occupâmes fans délai de raffembler notre fourrage avec plus de circonfpection.. Nous avions pris des chevaux que nous attelâmes en partie aux chariots. Je tirai enfuite du couvent

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Voifin cent cinquante ducats, que je partageai entre mes hommes pour acheter leur filence. Je m'avançai vers notre armée qui était à deux milles de-là. Autour -de nous nous entendions titer de tous les côtés ; par-tout on attaquait les fourrageurs. Un lieutenant me rejoignit avec quarante chevaux; ce qui couvrit ma marche & me fortifia beaucoup. Je ne pris pourtant point la route du camp. J'avais reçu avis que huit cents, tant huffards que pandoures, cherchaient à me rencontrer, & s'étaient répandus fur ma route. Je fongeai donc à m'écarter. Je fis un grand détour, & j'arrivai enfin au quartier général, avec mes prifonniers, & mes vingtcinq chariots bien chargés. Je puis dire que c'était un coup de bonheur; le roi était à table. J'entrai dans fa tente. Comme j'avais été abfent toute la nuit, on s'était imaginé que j'avais été fait prifonnier comme bien d'autres officiers qui en effet avaient été pris dans ce tems-là. Dès que le roi me vit, il me fit cette question. Venez-vous feul? Non, fire; j'amène vingt-cinq chariots char-gés, vingt-deux prifonniers avec leurs chevaux & leurs officiers. Le roi me fit auffi-tôt mettre à table à côté de lui, & fe tournant vers mylord Hyndfordt, ambaffadeur d'Angleterre, qui était de l'autre côté, il lui dit, en me frappant fur

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l'épaule C'est un des matadors de ma jeune nobleffe.

On avait préparé les chevaux pour aller reconnaître l'ennemi. Le roi me fit peu de queftions. Chacune de celles qu'il me faifait me caufait un tremblement involontaire. Je le diffimulai en exagérant la fatigue que j'avais effuyée. Il fe leva de table quelques momens après, examina les prifonniers, m'ordonna de me repofer & monta à .cheval.

-pas

On fe figure aifément quelle était mon agitation intérieure. La lourde imprudence, dont je m'étais rendu coupable, m'avait fait mériter d'être caffé; néanmoins on me donnait des éloges & des récompenfes. Cet événement ne prouve-t-il combien le fuccès des chofes humaines eft arbitraire? Que de généraux ont dû le gain d'une bataille à une faute grave, & dont on a fait honneur à leur habileté ! Ce n'était pas moi qu'on devait récompenfer; c'était le bas officier, homme brave & honnête qui m'avait tité du mauvais où m'avait conduit mon indifcrète légèreté.

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pas

Je me fuis trouvé fouvent dans des circonftances

où je devais m'attendre aux honneurs, à l'eftime générale; des chaînes, des opprobres ont été mon falaire. Ce monarque, que mon cœur aimait à fervir, s'est laissé abufer par les apparences, par lés intrigues de la calomnie; il m'a jugé à la hâte, en fouverain prévenu, & il m'a traité comme un homme fans foi. Quelle bizarrerie! à quoi tient la destinée des mortels!

A tout moment je redoutais que la vérité qui pouvait être attestée par un fi grand nombre de témoins ne fe fit enfin connaître. Je frémiffais alors à l'idée d'un blâme public, & cette idée me tourmentait fi fort qu'elle me privait de tout repos. J'avais beaucoup d'argent. Je fis préfent de vingt ducats à chacun des bas-officiers, d'un à chaque foldat, & je me flatrai que je pourrais ainsi fixer un voile éternel fut ce qui s'était paffé. On m'aimait affez généralement; on me promit tout ce que je voulus: mais je ne m'en propofai pas moins de profiter de la première occafion favorable -pour faire au roi l'aveu fincère de mon étourderie. Je lá faifis deux jours après. Nous étions en matche. Le roi était à côté du timbalier, il me fit figne, & m'adreffant la parole: Actuellement, dit-il, » racontez-moi, Trenck, comment vous avez

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