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gère, lorfque j'étais l'objet du courroux

des rois.

En ma qualité de père de famille, & pour ne pas laiffer à mes huit enfans le droit de me reprocher la perte de mes biens, tant en Pruffe qu'en Hongrie, je dois donc leur laiffer des preuves évidentes que je n'ai point diffipé leur patrimoine, & que fi l'on m'a fait endurer les tourmens des criminels, je ne les ai jamais mérités.

Non, monarque, non, je ne les méritai jamais. Votre pouvoir à fait trembler l'Europe, a fait plier des Rois; vous m'avez perfécuté, chargé de fers, enfeveli dans des cachots; avez-vous pu me ravir ou même affaiblir mon honneur & ma vertu? Avez-vous ébranlé ma fermeté? Avez-vous pu me priver des connaissances que mes travaux m'ont fait acquérir? Ces connaiffances ont fait ma confolation; elles ont nourri la fierté de mon ame;

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dans l'obfcurité de món fouterrain, elles m'ont diftrait de mes douleurs ; elles m'ont cuiraffé contre les traits de la calomnie, contre les fureurs, contre les préventions vindicatives du pouvoir absolu.

Il est vraisemblable qu'on lira encore cet ouvrage avec la réflexion de la fenfibilité, lorfque les batailles & les victoires de la Siléfie, feront, avec les combats d'Arbelles, de Cannes & de Marathon, confidérées comme des journées meurtrières, devenues indifférentes pour la postérité.

Je n'avais pas une armée à vous opposer, SIRE. VOTRE MAJESTÉ fait que peut-être j'aurais fu la conduire. Mais que j'imploraffe vos bontés en humble fuppliant, lorfque mes droits m'étaient connus, lorsque je frémiffais du fentiment de ma vaillance! Mon ame était trop fière & trop élevée pour me permettre de plier ainfi à contre

tems.

Cette grandeur d'ame que j'ai montrée dans toutes les occafions, le Mogol & les Sultans pourraient la confidérer comme un crime; fous votre fcèptre glorieux, Seigneur, elle méritait admiration, récompense. Elle n'a éveillé ni l'une ni l'autre. Qui pourra jamais croire qu'une erreur publiquement reconnue pour telle, ait aveuglé, endurci le cœur d'un grand Roi, pendant l'espace de quarante-deux ans, & qu'elle l'ait conduit à être ouvertement injuste, inexorable! Eft-ce donc un point de foi, dans les contrées foumises au chriftianifme, que les fouverains ne peuvent jamais se tromper, qu'ils font inacceffibles aux féductions de l'erreur? Ou bien, étais-je, felon l'épitre de faint Paul aux Romains, ce vafe prédestiné de toute éternité pour la colère & pour la vengeance d'un Dicu terrible? Dans ce cas je ne fuis pas chrétien; j'embraffe même l'athéisme, s'il faut que je renonce aux idées nobles & fublimes que mon intelligence a conçues de la justice fuprême.

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Le fort implacable a tout fait; c'est lui feul que j'accufe. Lorfque mon jeune fang bouillonnait dans mes veines; lorfque le puiffant accoutumé à voir ramper aux pieds de fon trône les êtres avilis qui attendaient leur grace de fa digestion, s'irritait de ma résistance; ma destinée fcule m'a fait manquer le chemin qui m'aurait conduit au bonheur par le droit de ma vertu. Dans l'enchaînement de ma deftinée, tout devait fe rapporter d'une façon fi fingulière, fi originale, que je ne pusse jamais ceffer de vous paraître dangereux & fufpect, & que VOTRE MAJESTÉ fût con

trainte à fe conduire avec moi de manière

à perdre le nom de Roi pour mériter celui de tyran.

Toute espérance a été perdue pour moi, au moment où la politique de l'Etat fembla exiger qu'on s'affurât du filence, de l'inac tion, de l'impuiffance d'un homme dont on connaisfait la réfolution & la capacité;

quand on fentit que fon intrépidité pourrait le rendre dangereux, s'il voulait profiter des occafions toujours trop nombreuses de fe procurer une vengeance baffe, mais affurée.

Ç'eft dans cette énigme que fe trouve le germe des maux qui ont rempli ma carrière. Mais que VOTRE MAJESTÉ a mal connu mon cœur! Je vous aimai au fond de mon cachot comme le Dieu tutélaire des fciences. Je vous honorai comme mon bienfaiteur, comme mon père, comme celui qui ne m'avait pas trouvé indigne d'être guidé par la main du maître.

C'est vous, SIRE, qui avez perfectionné mes talens. Je vous dois une grande partie des connaiffances que j'ai acquifes. C'est avec une extrême ardeur que je defire avoir avec vous, au-delà du tombeau, un entretien où je puiffe vous convaincre qué vous avez mal jugé le plus fidèle de vos

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