entiere des bâtimens de cette place, en entrant à main gauche, par la rue faint Honoré, étoit deftinée pour loger la bibliotheque du Roi, elle eut été de quatre-vingt toifes de longueur. On avoit formé le deffein de la décorer de tous les ornemens qui pouvoient y convenir, & d'y procurer les commoditez neceffaires à ceux qui y viennent travailler. Cette difpofition auroit fait voir la richeffe & la magnificence de cette bibliotheque & l'auroit expofée toute entiere à de merveilleux points de vûë.

On avoit déja commencé un grand hôtel pour le bibliothequaire, qui eut été commodément logé & à portée de veiller à la garde de la bibliotheque, & à tout ce qui s'y pouvoit paffer. On ne peut affez louer l'utile & noble projet du Marquis de Louvois, dans le defir qu'il avoit de loger fuperbement cette bibliotheque, en la tirant de l'obfcurité où elle avoit été depuis tant d'années, quoiqu'elle fût déja fans contredit, la plus riche & la plus complete de toute l'Eu

rope.

- Ce Miniftre avoit auffi formé le def fein d'établir dans la même place, toutes les Academies roiales, lefquelles auroient eu des appartemens vaftes &

commodes, pour travailler felon leurs occupations ordinaires; & l'on y devoit conftruire en même tems un grand hôtel pour les Ambaffadeurs extraordinaires, & un autre pour la monnoie; en quoi la pofterité auroit remarqué la fageffe & le goût exquis de ce fiecle pour les bonnes choses.

Mais ces grands & magnifiques projets fi utiles au public, ont été entierement renversez, au grand étonnement de tout le monde. Le terrain de cette fuperbe place, toutes les façades des maifons déja élevées jufqu'aux combles, & la ftatue équeftre du Roi, ont été donnez à l'Hôtel de Ville en 1699. à condition qu'il feroit conftruire à ses frais, un hôtel pour la feconde compagnie des Moufquetaires, dans le faubourg faint Antoine, dont la dépense a passe huit cens mille francs; ce qui a été ponctuellement executé en 1701.La Ville pour fe dédommager des frais exceffifs qu'elle a été obligée de faire dans cette occafion, a vendu les places que le Roi lui avoit cedé à plufieurs riches particuliers, à qui la fortune dans ces dernieres années de confufion a procuré les facultez de fe loger en grands Seigneurs, & en gens d'importance.

*

La nouvelle place a beaucoup moins d'étenduë que celle qui avoit été arrêtée dans le premier plan. Les faces des édifices ont été rapprochées dans celle-ci de dix toifes en tous fens vers le centre: l'on a fermé l'ouverture qu'elle devoit avoir fur la ruë faint Honoré, en n'y laiffant qu'une entrée d'une largeur convenable; on en a fait autant de l'autre côté oppofé; & les angles de fon quarré ont été fermez en pans coupez; ainfi cette place, qui fans cela, auroit la figure d'un quarré parfait, a préfentement celle d'un octogone imparfait, quatre de fes faces étant plus petites que les

autres.

En l'état qu'elle eft à préfent, elle peut contenir dix mille hommes en armes, comme on l'a remarqué dans des revues qui y ont été faites en diverfes occafions.

La décoration exterieure de cette place eft uniforme. Il y regne tout au portour un grand ordre Corinthien en pilaftres, & le milieu tant des pans coupez, que des deux grandes façades laterales, eft formé par des corps avancez. revêtus de colonnes, qui portent des frontons, dans les tympans defquels on a placé les armes de France, & fur le

fommet de ces frontons des figures affifes. Les corps avancez des deux grandes faces, ont plus de faillie que ceux des pans coupez, ce qui a obligé d'y ajoûter des colonnes dans les encognures: imais elles font fi engagées dans le mur, qu'il n'en paroît qu'une quatriéme partie tout au plus; ce qui produit un fort mauvais effet. Il regne par tout fous ce grand ordre un filobate, ou piédeftal continu, orné de refends & d'arcades feintes, dont quelques-unes font ouvertes & fervent de portes aux maisons. Elles font en plein ceintre, & les clefs de ces arcades font couvertes de fort beaux mafcarons.

Fules Hardouin MANSART, Surintendant des bâtimens, dont on a déja parlé en d'autres occafions, a donné les deffeins des façades exterieures de cette Place.

Les chapiteaux & tous les ornemens de fculpture, qui décorent ce grand ouvrage, font d'une agréable execution, de même que les bandeaux des fenêtres, qui font affez bien dans la proportion qu'on leur a donnée. POULTIER, Sculpteur de l'Academie, a conduit tous ces ornemens, où il n'a pas mal réüffi.

Mais quoiqu'il fut peut-être plus pru

dent de ne point faire la critique de ces façades, ni de plufieurs autres édifices modernes, pleins de fautes groffieres, que les maçons employez à préfent fous le nom d'architectes, commettent tous les jours, on ne peut s'empêcher cependant de remarquer que les bons connoiffeurs auroient mieux aimé que ces façades euffent été terminées par une baluftrade, avec des ftatues ou des vafes, ainfi qu'aux nouvelles procuraties de la place de faint Marc à Venise, qui font du fameux SCAMOZZI, ou comme elles le font à Verfailles, du côté du jardin ; cette ordonnance eut produit, fans doute, une décoration plus noble & plus parfaite, que les lucarnes & les yeux de boeuf, qui regnent alternativement fur les combles dans tout le pourtour de la Place, & qui répondent fort groffierement à la majefté de tout le refte.

Quelques maifons de cette place ont été occupées dès l'année 1702.

Celle de Antoine CROZAT l'aîné, cidevant Receveur des Finances de la Generalité de Bordeaux, & grand treforiercommandeur de l'ordre du S. Efprit a été la premiere achevée; les appartemens en font nombreux & fourniffent de quoi loger un très-grand domeftique. L'entrée