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xoit auffi, on les mettoit à l'amende.

Ils ne fe contentoient pas de les affliger dans le monde; leurs Theologiens les menaçoient auffi de peines extraordinaires dans les enfers » C'est la plus grande des » impiétés & le dernier des » malheurs, dit le Trifmégifte » dans le Pimandre, de fortir du » monde fans y laiffer des enfans; » les démons font fouffrir à ces » gens-là les plus cruelles peines » après leur mort; c'est pour» quoi, continue-t-il, mon cher » Efculape, n'ayez aucun com» merce avec eux; mais que » cela ne vous empêche pas d'a» voir compaffion de leurs mife» res, fçachant les fupplices af» freux qui leur font destinés. «

Malgré toutes ces précautions temporelles & fpirituelles, le Célibat ne laiffoit pas de faire fon chemin, & de s'établir dans le monde; les loix mêmes en font une preuve, on ne s'avife point d'en faire en l'air contre des défordres qui ne fubfiftent qu'en idée; fçavoir, par où & comment il commença, I'Hiftoire n'en dit rien.

Il n'est pas à préfumer que de fimples raifons morales ou des goûts particuliers fuffent affez puiffans pour l'emporter fur tant de loix pénales, burfales, infamantes, & contre les inquiétudes de la confcience.Il fallut fans doute, dans les commencemens,des motifs plus preffans, de bonnes raifons phyfiques.Telles étoient celles de ces tempéramens heureux & fages, que l'Auteur de la nature dispense de réduire en pratique la

grande regle de la multiplication. Il y en a eu dans tous les tems; nos Jurifconfultes leur donnent des titres flétriffans. Il n'en eft pas de même des Orientaux en cela, comme en bien d'autres chofes, plus polis & plus humains que nous. Ils les appellent Eunuques du Soleil, parce que le foleil, difent-ils, préfide d'une façon particulière à leur naiffance; prérogatives des plus glorieufes; Eunuques du ciel, faits par la main même de Dieu; qualités honorables qui doivent non feulement les confoler du malheur de leur état, s'il eft permis de parler ainfi avec le vulgaire ignorant, mais qui les mettent, ce femble, en droit de l'en glorifier avec juftice & devant Dieu,& devant les hommes, puifqu'à le bien prendre, cette grace fpéciale les décharge d'une bonne partie des follicitudes de la vie, & qu'elle les transporte tout d'un coup jufqu'au milieu du chemin de la vertu, dont elle leur épargne les paffages les plus fcabreux & les plus efcarpés.

Sans examiner fi c'est un bien ou un mal, il est fort apparent que ces béats ont été les premiers à prendre le parti du Célibat, & que ce genre de vie leur doit fon origine & peut-être fon étymologie; car, on fçait que les Grecs appelloient ces invalides Coloboi ; terme, fort approchant de celui de Calibes, dont les Latins fe font fervis pour les défigner. Certainement ceux, qui fe trouvoient dans cet état, n'avoient point d'autre parti à prendre, pour obéir aux ordres de la nature, & pour leur

repos & pour leur honneur, & dans les regles de la bonne foi. S'ils ne le faifoient pas d'euxmêmes, les loix leur en impofoient la néceffité; celle de Moïfe y étoit expreffe, elle les retranchoit de la congrégation d'Ifraël, comme des hors d'oeuvre; ils n'étoient point cenfés du corps de l'État ; leurs noms étoient effacés des régiftres publics; & il ne leur étoit pas permis d'époufer aucune fille de la race d'Abraham. S'il leur arrivoit de fe donner cette licence, fur la dénonciation de la femme, le mariage étoit déclaré nul; de manière que dans la féparation dans la féparation qni fe paffoit devant le juge, elle ne lui faifoit pas l'honneur de lui déchauffer le foulier, fuivant l'ufage obfervé dans les autres divorces, pour marquer qu'il n'y avoit eu aucun engagement réel entre les parties. Les loix des autres Nations ne leur étoient pas beaucoup plus favorables. Si elles leur permettoient d'avoir des femmes, elles donnoient aux femmes la liberté de les laiffer là.

Cet état, équivoque & rare dans les commencemens, également méprifé des deux fexes, fe trouva expofé à plufieurs mortifications, qui les obligerent à mener une vie obfcure & retirée. Cela ne dura pas long-tems, la néceflité ingénieufe leur fuggéra' différens moyens de fe rendre recommandables. Dégagés des mouvemens inquiets de l'amour étran.ger & de l'amour propre, ils s'affujettirent aux volontés des autres avec un dévouement fingulier; & ils furent trouvés fi commodes que

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tout le monde en voulut avoir. Ceux qui n'en avoient point, en firent, par une opération hardie & une entreprise des plus inhumaines. Les peres, les maîtres les Souverains s'arrogerent en vertu de leur prétendu droit, celui de réduire leurs enfans, leurs efclaves, leurs fujets dans cet état ambigu. Chaque maison avoit le fien; celles des Princes & des grands Seigneurs en étoient remplies. C'étoient leurs domestiques de confiance, intendans, chambellans, maîtres d'hôtel, précepteurs, muficiens, pages, tous ces gens là, pour bonnes raifons, étoient de cette espèce amphibie ; & le monde entier, qui ne connoifloit dans les commencemens que deux fexes, fut étonné de fe trouver infenfiblement partagé en trois portions à peu près égales.

A ces Célibataires forcés, il s'en joignit d'autres, qui l'étoient volontairement. Tels furent les Gens de lettres & les Philofophes de tous païs, pour se débarrasser des foins importuns du ménage; les Athletes & les Gladiateurs, dans la vue de ménager leurs forces & leur agilité; les muficiens, afin de conferver leur voix; une infinité par libertinage; quelquesuns, mais en petit nombre, par vertu; ce qui faifoit un des étonnemens de Diogène, que les perfonnes raisonnables ne fiffent pas toutes par des principes de fageffe, ce que tant d'ames vénales faifoient pour des confidérations fi frivoles. Il y avoit même quelques profeffions, dont les ouvriers étoient obligés nécessairement à

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garder une continence exacte, comme ceux qui travailloient à teindre en pourpre ou en écarlate; & Caffiodore, à qui nous devons cette remarque, ajoûte que cette vertu, par rapport à eux, étoit honorée de la qualité d'imperatoria, parce que cette couleur étoit réfervée pour les Empereurs.

L'ambition & la politique engagoient auffi plufieurs perfonnes confidérables dans cet état, qui étoit regardé comme un moyen fûr de s'attirer de la confidération, de la protection, & les bonnes graces des plus grands Seigneurs, qui ménageoient ces fortes de gens, dans la vue d'avoir une place dans leur teftament. Ce font Ammien Marcellin & Pétrone qui font cette observation; & ils ajoûtent que par la raison des contraires, les peres de famille qui avoient nombre d'enfans, étoient oubliés, négligés, écartés des jeux, des fpectacles & des parties de plaifir.

Dé la vie civile fi nous paffons à la religion des Payens, ce fera bien autre chofe. Là nous avons vu ce genre de vie d'abord interdit, enfuite par différens degrés toléré,approuvé,préconisé. Ici c'étoit un devoir effentiel, une condition néceffaire dans la plûpart des perfonnes qui s'attachoient au fervice des autels; & cela, dès les premiers tems & chez tous les peuples du monde, fans en excepter les Juifs, quoique fort attentifs à la propagation de la race d'Abraham. Dès le tems des Patriarches, Melchifédech, roi de Salem & fouverain Sacrificateur,

nous eft représenté comme un homme fans génération & fans famille; & les Docteurs de cette nation conviennent que ceux, qui fe deftinoient au fervice du temple & à l'étude de la loi, ont toujours été difpenfés de la néceflité du mariage. Ils avouent la même chose des filles, à qui leur loi & leurs ufages ont toujours laiffé la liberté de demeurer dans leur état. Ils affurent même que Moïfe congédia fa femme, & qu'il n'en prit point d'autre, quand il eut reçu la loi des mains de Dieu, & qu'il fe fut chargé de la conduite de fon peuple. Auffi voit-on que dans fes réglemens fur les facrificateurs, il ordonna que ceux, dont le tour approchoit pour officier à l'autel, feroient obligés de fe féqueftrer de leurs femmes pendant quelques jours. Après lui, plufieurs des Prophetes Élie, Élifée, Daniel & fes trois Compagnons passent chez eux pour avoir gardé la continence, auffi-bien que les Nazaréens & la plus faine partie de la fecte des Efléniens, qui nous font repréfentés par Jofephe & par les Hiftoriens de ces tems-là, comme une nation merveilleuse qui avoit trouvé le fecret de fe perpétuer fans aucun commerce avec les femmes.

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On fçait que chez les Egyptiens leurs voifins, les prêtres d'Ifis, & la plupart de ceux qui s'attachoient au fervice de leurs Divinités, faifoient auffi profeffion de chafteté ; & que pour plus grande fûreté s'ils n'y avoient pas été préparés dès leur enfance par des chirur

giens, ils fe fervoient de plufieurs fimples & topiques réfrigératifs qui produifoient à peu près le même effet. Les Gymnofophiftes & les Brachmanes des Indiens, les Hierophantes des Athéniens, une bonne partie des difciples de Pythagore, qui vivoient dans les déferts comme nos Anachoretes, ceux même de Diogène, les véritables Cyniques, & en général tous ceux & celles qui fe dévouoient au fervice de leurs Déeffes, fe gouvernoient à peu près de la même manière. Il y avoit même dans la Thrace une fociété confidérable de religieux, qui étoient regardés comme des Saints & refpectés de tout le monde, & qui vivoient abfolument fans femmes. Ils s'appelloient Tтal comme qui diroit Créateurs; ce qui femble fuppofer qu'ils paffoient dans le monde pour avoir un fecret particulier de fe donner des fucceffeurs, différent de la voie ordinaire. Les Auteurs qui eu font mention, prétendent que ce font ceux qu'Homète appelle ablovs, & qu'il qualifie du titre honorable des plus juftes de tous les hommes.

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Pour Vierges confacrées, ils en avoient une infinité; leur ciel en étoit rempli. Vefta, Minerve, Diane, les Mufes, les Graces étoient adorées comme patrones de la virginité. Leurs Tem. ples, leurs Autels étoient fervis par des filles qui en faifoient profeffion.

Chez les anciens Perfes, celles qui fe deftinoient au fervice du Soleil, contractoient la même

obligation. L'hiftoire d'Artaxer xès nous en fournit une preuve authentique. Ce Prince, ayant remis fa couronne entre les mains de fon fils Darius, & voyant qu'il vouloit abufer de fon pouvoir contre lui-même, & fe rendre maître d'Afpafie,une de fes favorites, ce Prince, dis-je, ne trouva pas d'autre moyen pour la mettre en fûreté, que de la confacrer au foleil. Hérodote, dans la defcription magnifique du temple de Bélus, où l'on voyoit huit rangs de colonnes de marbre, élevées les unes fur les autres, dit qu'au dernier étage de ce fomptueux édifice, il y avoit une petite cellule destinée à une Vierge choifie entre toutes les autres • pour tenir compagnie à ce dieu.

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Dès la fondation d'Athènes " on voyoit dans cette ville, temple dédié à Minerve Poliade, avec un parthénon ou une maison de vierge, bâtie par Caranus. Les Veitales des Romains font connues de tout le monde. Il n'en eft peut-être pas de même de celles de nos anciens Gaulois. Ils en avoient, auffi - bien que les autres peuples, dans une petite ifle nommée Sène, fur les côtes de l'Armorique, célebre dans ce tems-là par un oracle fameux que gardoient neuf filles vierges. Elles paffoient pour avoir reçu du ciel des lumières & des graces extraordinaires. Il y a même des Auteurs qui pouffent la fingularité plus loin, & qui prétendent que l'ifle entière n'étoit habitée que par des filles, dont quelques-unes à la vérité faifoient de tems en

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tems de petits voyages fur les côtes de leurs voifins, d'où elles rapportoient de petits embrions pour conferver l'espèce; mais, elles n'y alloient pas toutes. Il eft à préfumer que le fort en décidoit, & que celles, qui avoient le malheur de tirer les billets noirs, étoient obligées de s'enrôler dans cette fâcheufe milice, & de fe facrifier pour la confervation de la petite république.

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L'ufage univerfel de ces temslà étoit de refpecter très - particulièrement ces filles confacrées. Quand elles paroifloient en public, tout le monde, fans exception, leur cédoit le pas. S'il arrivoit à quelqu'une de commettre un crime digne de mort, il n'étoit pas permis aux officiers de la juftice de mettre la main fur elle; il falloit, avant toures chofes, lui ôter fa qualité de fille. Leurs maifons étoient des afyles inviolables. Toutes celles qui s'y retiroient les veuves mêmes, & les femmes mécontentes de leurs maris, pouvoient y demeurer en toute fûreté; fous cette condition, "que quand elles avoient pris une fois l'habit noir, que leurs cheveux avoient été coupés, & qu'on leur avoit frotté le vifage avec une certaine compofition bafanée, tout commerce avec les hommes leur étoit interdit, fans en excepter ni peres, ni freres, ni maris, ni enfans. S'il leur étoit permis de les voir en certaines occafions, il leur étoit expreffément défendu de les embraffer.

Le Célibat enfin a eu fes martyrs chez les Payens. Leurs Hif. Tom. X.

toires & leurs Fables font pleines d'exemples de filles, qui ont préféré la mort à la perte de leur honneur. Ils en ont eu même d'hommes; l'aventure d'Hippolyte eft connue. Diane, patrone des Célibataires, le reffufcita, & lui donna une place auprès d'elle dans le ciel: Illuftre héros, grand Hippolyte, quels honneurs n'as-tu pas reçus pour avoir confervé ta chafteté ! dit Sophocle en parlant de

lui.

Tous ces faits & une infinité d'autres dont le détail feroit fuperflu, étoient foûtenus par leurs fentimens & par les principes de leur croyance. La virginité paffoit chez eux pour quelque chofe de divin & de facré. Les Grecs appelloient ceux qui en faifoient profeffion,H'iféous, demi-dieux; & les Étymologiftes Latins dérivoient le terme de Calebs, de celui de Calum ; Calebs quafi Cœleftis, un homme céleste. Ils regardoient cette vertu comme une grace furnaturelle. Ils croyoient que les dieux ne l'accordoient que par un privilege fpécial. Leurs facrifices n'étoient point cenfés complets fans l'intervention d'une vierge. Ils pouvoient bien les commencer fans elles, mais non pas les confommer. Ils étoient persuadés que cette vertu étoit celle qui nous approchoit le plus près de la divinité. Ils difoient que comme Dieu fe fuffit à lui-même, & trouve dans fon effence tout ce qui lui eft néceffaire pour une béatitude fouveraine; les vierges de même au lieu de chercher follement leur félicité dans la poffeffion des auC

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