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Apr. J. C.
L'an 1096.

Kilidge-.

fituation, quand un Grec fe tranfporta à Conftantinople, & en donna avis à Pierre l'Hermite, qui étoit encore dans cette ville. Alexis Comnène envoya auffi-tôt à leur secours Catacalon & Conftantin Euphorbenus, avec les Turcoples ( a ), ef- arflan I. pece de milice attachée au fervice de l'Empereur. Les Turcs fe retirerent à Nicée chargés de butin, & Pierre l'Hermite qui avoit fuivi les Généraux de l'Empereur, reconduifit les débris de fon armée à Conftantinople.

Anne Com

Ce fut-là le prélude de plufieurs autres combats de la même efpece, qui couterent à la France en particulier plus d'un million d'hommes que les Turcs firent périr dans l'Afie mineure. Ce premier orage, que Kilidge Arflan avoit diffipé par fon courage, par fon activité & par fa prudence, fut bientôt fuivi d'un autre plus confidérable qui caufa la perte de Nicée. Un nouvel effaim de Croifés de plus de Guillaume quatre cens mille hommes s'approchoit de fes Etats. Les de Tyr. Francs & les autres Chrétiens, fous la conduite de Gode- nene. froy de Bouillon, de Boëmond, de Robert Comte de Flan- Sanut. dres, de l'Evêque du Puy & de plusieurs autres étoient déja Jacques de arrivés à Nicomédie, où ils furent joints par Pierre l'Her- Viry mite & par le refte de la premiere Croifade. Tous ensemble Aquenf. marcherent vers Nicée. Le Comte de Touloufe, Robert Gefta FranComte de Normandie, Etienne Comte de Chartres & de Aboulfedha Blois, les fuivirent, & ils camperent devant Nicée le quinze Aboulima de Mai (b).

Cette ville, capitale de l'Empire des Turcs Seljoucides dans l'Afie mineure, étoit fituée dans la Bithynie, dans une plaine environnée de montagnes. Elle avoit du côté de l'Occident un lac (c) qui baignoit fes murailles, & qui lui tenoit lieu de fortifications. Elle étoit ceinte d'un mur avec un foffé rempli d'eau, & fortifié d'efpace en efpace de tours bien bâties & très-élevées. Kilidge Arflan dont les Etats s'étendoient depuis l'Hélefpont jufqu'à Tarfe en Cilicie, y faifoit fa résidence ordinaire, & elle étoit peuplée d'habitans

(a) Albert d'Aix dit qu'ils étoient nés d'un Grec & d'une Turquefque.

(b) Robert le Moine & l'Archevêque Baudry difent que ce fut le jour de l'Af cenfion. Guillaume de Tyr, le 15 de Tom. II. Part. II.

Mai de l'an 1096.

(c) Il s'appelloit Afcanius. Les Turcs le nomment aujourd'hui Ac-fou, c'està-dire, eau-blanche.

C

Guibert.

Albertus

corum.

hafen.

Apr. J. C.

arflan I.

dont on vante le courage. Une armée fi nombreuse n'effraya L'an to96. point le Sulthan; il raffembla des forces, & après avoir Kilidge- follicité en même tems des fecours auprès des Princes de l'Orient, il s'approcha de l'armée Chrétienne pour obferver toutes fes démarches & faifir l'occafion favorable de l'attaquer. Les Croisés étoient difperfés fans ordre autour de la place, contens feulement de la tenir bloquée. Le lac laiffoit aux habitans un chemin libre par lequel avec leurs barques ils tranfportoient dans la ville toutes les provifions qui leur étoient néceffaires. Kilidge Arflan effaya de s'en fervir pour leur faire fçavoir qu'il devoit attaquer le lendemain les Chrétiens, & faire lever le fiége; mais fes deux émiffaires furent arrêtés en fortant, l'un fut tué, & l'autre conduit aux Chefs de la Croifade, qui apprirent par-là que le Sulthan devoit recevoir un renfort de troupes. Auffi-tôt les Francs dépêcherent un courier vers le Comte de S. Giles ou de Toulouse, & l'Evêque du Puy qui n'étoient pas encore arrivés.

Pendant ce tems-là, Alexis Comnène s'étoit transporté à Pelecan, afin d'être plus à portée de traiter fecretement avec les habitans qui paroiffoient plus difpofés à fe rendre à lui qu'aux Francs. Butumite, qui de leur confentement étoit entré dans la ville, étoit fur le point de conclure le traité, & d'enlever une fi belle conquête aux Croifés, lorfque le bruit de l'arrivée du Sulthan fe répandit dans Nicée; les habitans abandonnerent les conférences pour courir aux armes. Kilidge Arflan defcend du haut des montagnes avec cinquante mille hommes, & fond fur les Chrétiens dans le tems que le Comte de Toulouse & l'Evêque du Puy étoient encore occupés à décharger leurs bagages. Ils fe rendirent à la hâte à leur pofte. Le Sulthan qui ignoroit leur arrivée, détacha dix mille hommes de cavalerie pour aller s'emparer de la porte du midi qu'il croyoit fans défense: mais ils furent repouffés & mis en fuite par le Comte de Toulouse. Le Sulthan rallia les fuyards, & marcha à l'ennemi avec toute fon armée. Godefroy de Bouillon, Boëmond, le Comte de Flandres qui vinrent au fecours du Comte de Toulouse, battirent les Turcs une feconde fois, & les obligerent à fe retirer avec une perte de quatre mille hommes.

L'an 1096.

Après un échec fi confidérable on pouvoit efpérer que le Sulthan se retireroit dans fes montagnes, & qu'il laifferoit Apr. J. C. prendre Nicée; mais il fe préfenta le lendemain dès la pointe Kilidgedu jour en ordre de bataille, & l'on combattit jufqu'au foir. arflan L La victoire long-tems incertaine fe décida enfin en faveur des Francs, & les Turcs profiterent des ténebres de la nuit pour fe fauver. Les Croifés fe difpoferent alors à continuer le fiége avec plus de vigueur qu'auparavant. Pendant fept semaines ils battirent les murailles & donnerent de fréquens affauts, mais les Affiégés fe défendoient avec autant de courage. On fit conftruire différentes machines qui fervoient à lancer des feux & des pierres énormes. Elles furent toutes brifées par celles que les habitans oppofoient. Ceux-ci avoient toujours une entrée libre du côté du lac, par où ils recevoient fans ceffe des vivres & des troupes à la vûe des Chrétiens, qui faute de vaiffeaux ne pouvoient les en empêcher. Malgré la grande difficulté qu'il y avoit d'en faire venir à travers les terres, l'impoffibilité de prendre Nicée fans ce fecours, obligea les Croisés d'envoyer dans les ports les plus voifins quelques troupes pour ramaffer ceux qui s'y trouveroient. Alexis Comnène leur en fournit plufieurs qu'ils tranfporterent avec beaucoup de peine & à force de bras fur des traîneaux jufqu'au lac de Nicée. Il y en avoit d'affez grands pour contenir cinquante, & même cent combattans. Les Turcoples de l'Empereur,habiles à tirer de l'arc, & propres aux combats de mer, les monterent. Rien n'abbattit tant le courage des Affiégés que la vûe de ces vaiffeaux. Les attaques devinrent plus générales & plus fréquentes; toute communication avec le Sulthan fut interceptée. Le Comte de Toulouse s'étoit attaché à ruiner une groffe tour fituée du côté du midi où il commandoit, mais ou la folidité de l'édifice résistoit à toutes les pierres, ou la moindre brêche étoit aufli-tôt réparée. Un nouveau mur bâti en peu de tems se préfentoit aux Chrétiens après la chûte du premier. Toutes les machines étoient réduites en cendres par l'huile, la poix & les autres matières combuftibles que les Affiégés lançoient.

Déja les Princes Croifés, défefpérans de prendre la place, délibéroient entre eux s'ils ne devoient pas lever le fiége, quand un Lombard s'offrit de renverfer la tour en peu de tems.

Apr. J. C.

Il fit conftruire une nouvelle machine, tellement difpofée,

L'an 1096. que les matières lancées par les Affiégeans ne faifoient que

Kilidge- gliffer; on s'approcha de la muraille, on y mit la fappe, on arflan I foutint l'édifice avec de groffes poutres, & après que tout

l'ouvrage eût été conduit à fa perfection, on mit le feu aux matières combuftibles qui environnoient ces poutres, & tout l'édifice fut renverfé. On se disposoit déja à monter à l'affaut, & cette fameufe ville paroiffoit devoir tomber fous les efforts des Croisés. Alors Butumite trouva le moyen d'y être introduit; il repréfenta aux habitans le danger dont ils étoient menacés, & les engagea à fe rendre à l'Empereur Alexis Comnène. Dans le tems que les Francs s'avançoient pour escalader les murailles, on fit arborer le drapeau Impérial; les troupes Grecques entrerent dans la ville, & le fruit de tant de peines retourna tout entier aux Grecs. Les Soldats qui s'attendoient au pillage murmurerent inutilement; les Chefs reçurent des préfens confidérables de la part de l'Empereur, & fe confolerent d'autant plus facilement de cette perte, L'an 1097. que leur deffein n'étoit pas de s'arrêter dans l'Afie mineure: ils obtinrent feulement que l'on rendroit les prifonniers qui avoient été faits fur Pierre l'Hermite. Nicée fut prise le Guibert. vingt (a) de Juin. La Sulthane que l'on avoit arrêtée en vouSanut. lant fe fauver fur le lac après la chûte de la tour, fut conJacques de Vitry. duite avec ses enfans & un grand nombre de prifonniers à Soyouchi. Conftantinople, où elle fut reçue avec honneur.

Guillaume

de Tyr.

pereur.

par l'Em

En quittant la ville de Nicée, les Chrétiens avoient à paffer des défilés dangereux, où Kilidge Arslan attendoit à fe venger de la prise de fa Capitale. La Religion qui avoit réuni tant de Chrétiens, fut fouvent obligée de céder à des vûes particulieres d'intérêts, qui faifoient oublier la cause commune. Comme s'ils euffent été en pays ami, ils fe divisèrent en deux bandes; l'une commandée par Boëmond, le Comte de Normandie, Etienne Comte de Blois, Tancrède & Hugues Comte de Saint-Pol tourna à gauche, & alla camper dans les plaines de Dorylée fur le bord d'une rivière,

(a) L'an 490, felon Aboulmahafen, & les autres Hiftoriens Arabes.

L'an 1097.

dans un lieu appellé Gorgoni. L'autre, fous la conduite de Godefroy de Bouillon, du Comte de Touloufe, de l'Evêque Apr. J. C. du Puy, & de Hugues le Grand, frere de Philippe I. Roi de KilidgeFrance, prit à droite, & campa à deux milles de distance arflan I de la premiere.

Kilidge Arflan, que fes efpions informèrent de cette divifion, s'attacha à l'armée de Boëmond, il la fuivit jufques dans la plaine où elle venoit de camper, & la furprit; il étoit à la tête d'environ trois cens mille hommes (a). Les Chrétiens n'eurent que le tems de fe ranger en bataille, & de donner avis de leur état à Godefroy de Bouillon; les Turcs les accabloient de leurs fléches, ils combattoient à la maniere des Scythes; c'est-à-dire, qu'ils ne fuyoient que pour revenir faire de nouvelles décharges. Les Chrétiens, prefque tous bleffés, & fe cachant derriere leur bagage, alloient être entiérement détruits fans Godefroy de Bouillon & les autres qui vinrent promptement à leur fecours avec quarante mille hommes de cavalerie. Ce renfort ranima l'armée Chrétienne. Guillaume Les Turcs furent battus à leur tour, & pourfuivis l'efpace de de Tyr. trois milles au-delà de leur camp, qu'ils abandonnerent aux tres. Chrétiens. On y trouva beaucoup d'or & d'argent, des vivres Aboulfedha en abondance, des chevaux, des chameaux, des ânes, des moutons, & un grand nombre de tentes. Cette victoire couta quatre mille hommes aux Francs, les Turcs perdirent trois mille des plus diftingués d'entre eux.

Le Sulthan n'ofa plus fe préfenter devant l'armée Chrétienne; il fçavoit que le deffein des Croisés n'étoit de fe pas fixer dans fon pays, mais d'aller faire la conquête de la Paleftine. Il lui en coûtoit déja trop pour avoir voulu s'oppofer à leur paffage. Il prit le parti de fe retirer, & les laissa continuer leur route par la Bithynie & la Pifidie, où ils furent plus expofés par leur imprudence que par les troupes qu'il auroit pû envoyer contre eux. Ils venoient de traverser un pays fec & ftérile, où la chaleur de la faifon leur avoit rendu la

(a) Guillaume de. Tyr dit plus de 200000; Foulques de Chartres en met 360000. Suivant ce dernier, Soliman, ou plutôt Kilidge arflan étoit suivi des

Emirs Amudaradigium, Miriatos, Co-
mardigum, Amirchai, Lachin, Bolda-
gis, Caradigum, & autres.

& les au

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