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L'an 1166.

Ces conquêtes ne faifoient point perdre à Schirkouh les Apr. J. C. vûes qu'il avoit fur l'Egypte. Dans la premiere expédition Noureddin qu'il y avoit faite, il avoit examiné par lui-même la fituation Cothbed- & les forces de ce pays, & depuis ce tems il s'entrenoit tou

dio,

jours avec Noureddin fur la maniere dont il pourroit en faire la conquête. Guillaume de Tyr rapporte que Schirkouh fe transporta à Bagdad auprès du Khalif, & lui représenta les grands avantages qui réfulteroient fi on pouvoit enlever ce pays aux Phathimites, & que le Khalif qui avoit approuvé ce deffein, avoit raffemblé des troupes de toutes parts. Lorfque ce projet eut été rendu public, Schaour Grand Vizir de l'Egypte commença de craindre que les Turcs ne se Aboulfedha rendiffent maîtres de ce pays; & convaincu que c'étoit le Benelathir. deffein de Schirkouh, il résolut de faire les derniers efforts

Bohaeddin.

pour en empêcher l'exécution. D'un autre côté, les Francs qui appréhendoient également que ce pays ne tombât sous la domination de Noureddin, s'affemblerent à Napoulous ; comme ils avoient également envie de s'emparer de l'Egypte, ils arrêterent dans cette affemblée qu'on iroit au-devant de Schirkouh, & que tout le monde, fans exception, payeroit le dixiéme de tout fon bien, ce qui fut exécuté; Schirkouh étoit déja parti (a) de la Syrie & s'avançoit vers l'EgyL'an 1167. pte. Le Roi de Jérufalem marcha (6) en diligence jusqu'à Cadès-barné dans le Défert, mais ne l'ayant pas rencontré de ce côté, il prit la route de Gaza qui étoit alors la derniere place que les Francs poffédoient de ce côté, il vint enfuite à Laris, ancienne ville fituée dans le Défert, & enfin à Belbeis ou Pélufe.

Schaour redoutoit, pour ainfi dire, également l'approche des Francs comme celle de Schirkouh, & ce n'étoit pas fans raison; il ne commença d'être assuré à leur égard, que quand il fut informé que Schirkouh étoit campé dans un lieu appellé Attafi. Alors il loua le zele des Francs pour leurs alliés, & les conduifit au Caire. Cette ville qui étoit la capitale de l'Egypte, avoit à fa gauche l'ancienne Babylone appellée Meft, avec laquelle elle ne formoit qu'une (b) Le 3 des kalendes de Février. feule

(a) Le 12 de Rabi elaoual de l'an 562.

,

& en

Cothbed

feule ville. Les Francs (a), après s'être campés fur le bord Apr. J. C. du Nil, à deux milles de cette ville, marcherent contre l'an 1167. Schirkouh, qui n'étoit éloigné de leur camp que d'environ Noureddin dix milles; mais il s'étoit déja retiré, & il avoit paffé le din. fleuve. Ils apprirent de ceux qui reftoient, & qu'ils firent prifonniers, qu'il avoit perdu beaucoup de monde dans fa route. Il s'étoit engagé dans le defert que l'on rencontre après la Syrie Sobal. Là il avoit été expofé à de grands tourbillons de vent, qui avoient foulevé tout le fable avoient formé des nuages fi épais, que les foldats ne pouvoient fe garantir la bouche ni les yeux. Ils étoient encore plus incommodés de l'impétuofité du vent; ils avoient été obligés de defcendre de cheval, de se jetter à terre, & de s'y attacher le plus fortement qu'ils pouvoient, afin de n'être point enlevés par le tourbillon, pour être enfuite précipités. Dans ce défert les fables reffemblent à des mers qu'un vent violent agite: ces vagues d'un fable très-délié ne font pas moins dangereufes que celles de la mer. Schirkouh avoit perdu dans une tempête de cette efpece la plupart de fes chameaux qui portoient fes vivres, & ce n'eft qu'après une perte confidérable qu'il put gagner l'Egypte. Dans cet état il n'avoit point affez de forces pour réfifter à l'armée des Francs, & c'eft ce qui lui avoit fait prendre le parti de paffer de l'autre côté du Nil.

Schaour voyant l'ennemi fi près de fa capitale, voulut s'attacher plus étroitement les Francs, en renouvellant avec eux les anciens traités, & en augmentant le tribut qu'il leur payoit tous les ans. On envoya de part & d'autre des Plénipotentiaires. Ceux du Khalif vinrent trouver Amaury, lui payerent fur le champ deux cens mille piéces d'or, & prirent un tems limité pour en payer deux cens mille autres, à condition que le Roi de Jérufalem ne fortiroit point de l'Egypte, qu'il n'en eût chaffé auparavant le Général de Noureddin. Amaury envoya vers le Khalif Hugues de Céfarée, dont il connoiffoit la fageffe & la prudence. Les Francs avoient exigé que le Khalif ratifiât ce traité. Hu

(a) Aboulmahafen donne pour Chefs aux Francs Amaury & Nirzan.

Tom. II. Part. II.

Bb

Apr. J. C.

L'an 1167.

gues de Céfarée, accompagné de Geofroy Foulques, Chevalier du Temple, fut introduit dans le Cafr où palais du Noureddin Khalif, au Caire. Comme peu de gens avoient accès auprès de ces Princes, & que ces fortes d'audiences font fingulieres, les Hiftoriens ont cru devoir en donner un détail, nous les avons imités.

Cothbed

din.

Guillaume de Tyr.

Les Plénipotentiaires Francs, précédés d'un grand nombre d'huiffiers, ou portiers, armés de fabres, furent conduits par différens détours fort obfcurs, à l'entrée de chacun defquels il y avoit une troupe de Noirs armés, qui venoient faluer le Grand-Vizir Schaour. Après que Hugues de Céfarée eût paffé la premiere & la feconde garde, il fut introduit dans un endroit fpacieux, & expofé au foleil. Des colonnes de marbre foutenoient le plat-fond. Ce falon étoit orné de lambris dorés & de fculptures en relief. La magnificence, la richesse de la matiere, & l'art avec lequel elle étoit employée, étonnoient tous ceux qui y étoient. On voyoit d'un côté des baffins de marbre remplis d'eau ; de l'autre, une foule d'oifeaux de toute efpece, que l'on avoit fait venir des pays étrangers. Plus loin étoient des bâtimens encore plus magnifiques, où demeuroient les Chefs des Eunuques. Là on voyoit un nombre infini d'animaux très-rares. Enfin, après plufieurs détours, ils arriverent à l'appartement du Prince. Il y avoit une garde nombreuse & magnifiquement vêtue. Lorfqu'ils y furent introduits, le GrandVizir, felon fa coutume, fe profterna trois fois, & ôta le fabre qu'il portoit pendu à fon cou. Auffi-tôt un voile chargé de perles & de pierres précieuses fe leva, & l'on vit le Khalif affis fur fon trône, au milieu de quelques Eunuques. Le Grand-Vizir s'approcha de lui, lui baifa les pieds, & l'informa du fujet qui amenoit Hugues de Céfarée, & du traité qu'il avoit fait avec le Roi Amaury; il lui dit que ce Franc venoit pour en recevoir la confirmation de fa propre main. Les Officiers qui environnoient le Khalif, parurent mécontens de cette propofition; il étoit inoui que le Khalif eût donné fa main à un étranger. Après avoir délibéré pendant quelque tems, ce Prince l'étendit vers Hugues de Céfarée ; mais comme elle étoit voilée, Hugues

Apr. J. C.

Cothbed

de Céfarée, au grand étonnement de tous les Egyptiens, repréfenta à ce Prince que la bonne foi ne devoit avoir au- 'an 1167. cun détour, que tout devoit fe faire à découvert, & que Noureddin par conféquent afin que les Francs ne puffent foupçonner o qu'il vouloit les tromper, il devoit lui préfenter fa main nue. Le Khalif fourit, & confentit à ce que lui demandoit Hugues de Céfarée. Ce Prince, nommé El adhed, étoit jeune, d'une taille grande, & bel homme. Il portoit le titre de Khalif, & les Egyptiens l'appelloient Moula-na, c'est-àdire, notre Maître, notre Seigneur.

Benelathir,

Pendant que les Francs concluoient ce traité avec le Guillaume Khalif, Schirkouh vint camper pendant la nuit fur la rive de Tyr. occidentale du Nil, dans un lieu appellé Dgizé, vis-à-vis la ville de Mefr. Auffi-tôt le Roi Amaury fit raffembler un grand nombre de vaiffeaux, fur lefquels on jetta des poutres de palmiers, dont on fit un pont; mais il ne s'étendoit que jufqu'au milieu du fleuve, l'ennemi qui étoit vis-à-vis, empêchant qu'on ne portât plus loin ce travail. Les deux armées refterent ainfi en préfence pendant cinquante jours, pendant lefquels Schirkouh envoya des troupes, qui s'emparerent de tout le pays qui étoit de ce côté-là. Il fe rendit auffi maître de l'ifle de Mahallé, qui eft proche le Caire. C'est dans cet endroit que commence le Delta, & que le Nil fe fépare en plufieurs branches. La premiere, qui eft du côté de la Syrie, va fe jetter dans la mer entre les villes de Taphnis & de Pharamia. La feconde, à Damiette. La troifieme, à Sturion ; & la quatrieme, à Reschid ou Rofette. Ce font-là toutes les bouches du Nil qui fubfiftoient alors. Schirkouh fut chaffé de cette ifle par Milon de Planci, & par Kamel, fils de Schaour. Cette victoire facilita aux Francs le paffage du fleuve. Ils fe propofoient d'aller attaquer Schirkouh, mais il étoit décampé à la faveur de la nuit. Pendant qu'on le pourfuivoit, Amaury envoya des troupes au Caire, pour garantir cette ville de toute infulte; les Francs prirent poffeffion de toutes les fortifications de cette ville, même du Sérail du Khalif. Le fils de Schaour garda le bord du Nil, & Amaury pourfuivit Schirkouh pendant trois jours, & le joignit le quatrieme; Schirkouh s'étoit

L'an 1167.

Cothbed

din.

retiré dans le Said, ou la Thébaïde, dans un lieu appellé Apr. J. C. Babaïn. Ses efpions lui apprirent que les Francs & les EgyNoureddin ptiens s'approchoient dans le deffein de le combattre. Babaïn, que Guillaume de Tyr appelle Beben, eft éloignée de Lamonia d'environ dix milles. Lorfqu'il vit l'ennemi (a), il réfolut d'aller l'attaquer; mais comme il fe défioit de fes gens, il tint confeil avec fes principaux Emirs. La plûpart étoient d'avis qu'on repaffat le Nil pour retourner en Syrie; ils alléguoient pour raifon, que vû le petit nombre de troupes dont fon armée étoit compofée, il n'y avoit aucun lieu d'efpérer de remporter la victoire, & que fes foldats, s'ils étoient battus, feroient affommés par les payfans. Scheifeddin bargousch, Mameluk de Noureddin, & un des plus braves Emirs de cette troupe, voyant qu'on alloit prendre le parti de fe retirer, fe leva brufquement, & dit : Celui d'entre vous qui craint de s'expofer dans les combats, d'y recevoir des bleffures, ou d'être fait prifonnier doit quitter le fervice des Rois pour aller labourer la terre, » ou pour se renfermer dans un Harem avec fes femmes. Si » nous retournons en Syrie, qu'aurons-nous à répondre à Noureddin, comment oferons-nous aller jouir de tous les » biens dont il nous a comblés? Ne fera-t-il pas en droit de nous reprocher que nous les poffédons injustement, & » que nous les enlevons aux Mufulmans, nous qui fommes affez lâches pour laiffer les Infideles s'emparer de l'Egy»pte». Ce difcours, prononcé d'un ton ferme, ranima le courage abbatu des Emirs, & tous réfolurent d'une voix unanime qu'il falloit livrer bataille.

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L'Armée de Schirkouh n'étoit compofée, felon Ben el Athyr, Auteur contemporain, que de mille cavaliers; Guillaume de Tyr, au contraire, qui étoit également contemporain, dit qu'elle étoit de douze mille Turcs, parmi lefquels il y en avoit neuf mille armés de cuiraffes & de cafques, & qu'il y avoit de plus dix à onze mille Arabes avec des lances. Celle des Francs, felon le même Hiftorien, n'étoit que de trois cens foixante-quatorze hommes, avec une

(a) Le 25 de Dgioumadi elaoual de l'an 562.

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