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L'an 1097.

arflan I.

foif infupportable. Ils fe précipiterent fans précaution dans le Apr. J. C. premier fleuve qu'ils rencontrerent, & l'eau qu'ils bûrent sans Kilidge- modération en fit périr une grande quantité. D'Antioche capitale de la Pifidie, ils entrerent dans la Lycaonie, & s'approcherent d'Iconium, où ils espéroient trouver des vivres. Mais les Turcs, inftruits de leur marche, avoient abandonné cette ville, & s'étoient retirés avec leurs femmes, leurs enfans & toutes leurs richesses dans les montagnes voisines. Par-là les Chrétiens eurent beaucoup à fouffrir de la difette; ils gagnèrent Héraclée, & enfuite Marafch. Là, Tancrede avec fa troupe quitta le gros de l'armée, & après avoir battu quelques partis Turcs, s'approcha de Tarfe en Cilicie, dans le deffein de se rendre maître de cette ville. Il alloit la prendre lorfque Baudouin vint la lui arracher; il tourna alors vers Adana & enfuite Mamiftra, où il fit un grand butin, fans que Kilidge Arflan pût s'y oppofer. Il parcourut ainfi toute la Cilicie, battit les Turcs partout où il les rencontra, & s'empara d'Alexandrie après un grand combat. Les Turcs & les Arméniens qui s'étoient retirés dans les montagnes, lui envoyerent des préfens, dans la crainte qu'il ne vînt les y'attaquer. Les Chrétiens qui marchoient toujours du côté de l'Orient, quitterent enfin les Etats de Kilidge Arflan, qu'ils avoient ravagés en les traverfant d'une extrémité à l'autre & ils entrerent dans la Syrie, où ils étoient appellés fécretAboulma- tement par le Khalif d'Égypte, ennemi des autres Mahométans attachés au Khalif de Bagdad.

hafen.

Le Sulthan n'avoit pas encore eu le tems de réparer les défordres que le paffage des Croifés avoit faits dans ses Etats, lorfqu'il y vit arriver quinze mille Danois qui étoient conduits par Suénon, fils du Roi de Dannemarc. Ils étoient déja campés entre les villes de Phiniminis & de Terma (a). Il vola à leur rencontre & les battit. Les Danois fe défendirent avec courage & périrent tous. Tel fut le fort de ces nouveaux Croisés. Quoique l'Hiftoire ne s'étende pas beaucoup fur le regne de Kilidge Arflan, on juge par ces détails qu'il devoit être un grand Prince, plein de courage, d'activité &

(a) Cette derniere eft dans la Cappadoce.

L'an 1097.
Kilidge-

L'an 1098.

nène.

fort expérimenté dans l'art de la guerre. Mais la perte de fa capitale, & la ruine d'un grand nombre de villes diminua beau- Apr, J. C. coup fes forces, & ranima l'ambition de fes Emirs. Ćes Chefs de la Nation n'étoient pas entiérement fous la arian I dépendance du Sulthan, & confervoient une certaine autorité fur un nombre de fujets. Ils profiterent de la foiblesse de Kilidge Arflan, & du tems qu'il étoit occupé à repouffer les Chrétiens,pour fe révolter. L'Emir Tangri-permes s'empara d'Ephèfe; d'autres fe faifirent des Ifles de Chio & de Rho- Anne Com des qui leur fervoient de retraite. Alexis Comnène, obligé d'armer pour réprimer leur infolence, envoya contre eux Jean Ducas avec une flotte, & lui confia la Sulthane fille de Tzachas, afin qu'en la voyant, ils appriffent par-là que Nicée leur capitale étoit prife. Jean Ducas fe rendit par terre à Smyrne, pendant que le Préfet de la flotte s'y tranfportoit par mer. Les Turcs qui étoient un refte du parti de Tzachas lui remirent cette ville, à condition qu'il leur feroit permis de fe retirer chez eux, ce qu'ils obtinrent. De-là, les Grecs allerent à Ephèfe contre les Emirs Tangri-permes & Maraces (a). Dans une action qui fe donna, les deux Emirs furent vaincus, & perdirent environ deux mille hommes qui furent faits prifonniers; l'Empereur les difperfa dans les Ifles: le refte fe fauva par le Méandre à Polybot. Jean Ducas entra dans Ephèfe, & reprit enfuite Sardes, Philadelphie, Laodicée & Lampes. Il fe préfenta devant Polybot où les Turcs s'étoient réfugiés; il les y furprit & fit un grand nombre de prifonniers.

D'un autre côté, l'Empereur Alexis Comnène entra fur les terres du Sulthan, il s'étoit rendu à Philomèle où il avoit défait les Turcs, & avoit pris enfuite plufieurs places. Anne Com Son deffein étoit de porter des fecours aux Francs & aux nène. autres Croifés qui étoient occupés à faire le fiége d'Antioche fur l'Oronte. Guillaume de Grand-menil & d'autres Seigneurs Francs étoient arrivés en cet endroit pour l'engager à accélérer fa marché. La nouvelle qui fe répandit alors que

(a) Les noms de ces Emirs font corrompus par les Ecrivains Grecs, mais comme les Auteurs Arabes ne parlent

point de ces événemens, il m'a été im-
poffible de rétablir ces noms.

L'an 1097.

arflan I.

le Général Kerboga, envoyé avec toutes les forces de l'OApr. J. C. rient par le Sulthan de Perfe, s'approchoit d'Antioche, le déKilidge- termina à ne pas aller plus loin; il abandonna les Chrétiens, & reprit le chemin de Conftantinople. Il fut inquiété par un Emir Turc nommé Ismail; mais il se tint fi bien fur fes gardes, que l'Emir au défefpoir d'avoir manqué fon coup. fur l'armée Impériale, alla affiéger la fortereffe de Paipert dont Gabras Theodore venoit de s'emparer.

L'an 1100.

Les parties Orientales de l'Empire de Kilidge Arflan deAboulfedha venoient également la proye de quelques autres Emirs. Un Turkoman nommé Kamfchteghin fils de Thilou, plus connu fous le nom de fils de Danifchmend (a), parce que fon pere s'étoit adonné aux Sciences, après avoir raffemblé quelques fujets, étoit parvenu à fe former un petit Etat affez confidérable aux environs de la ville de Malathie. Un Arménien nommé Gabriel, commandoit alors dans cette ville: celui-ci ne pouvant s'opposer aux fréquentes incurfions que les Turcs faifoient fur fon territoire, eut recours à Boëmond qui veGuillaume noit de s'établir dans la grande ville d'Antioche, & offrit de lui remettre Malathie. Auffi-tôt Boëmond paffa l'Euphrate, & entra dans la Mefopotamie; mais il y trouva de la résistance (6). Le fils de Danifchmend vint à fa rencontre, & les Francs furpris furent mis en déroute; Boëmond fut fait prifonnier, & le fils de Danischmend alla faire le fiége de Malathie. Les Francs s'étoient fauvés à Édeffe où ils avoient informé Baudouin, Comte de cette ville, du malheur de Boëmond; Baudouin accourut promptement vers Malathie, diftante de trois journées d'Edeffe, obligea le fils de Danischmend de décamper à la hâte, & prit poffeffion de cette

de Tyr.

Foulques de
Chartres.
Albertus
Aquenfis.

L'an rroz.

ville.

Pendant que tous ces Emirs faifoient ainfi leurs efforts pour Albertus s'établir à l'orient & à l'occident de l'Afie mineure, le Aquenf. Sulthan étoit errant, cherchant partout des fecours chez les Princes Afiatiques. Son étoit défolé pays les divifions qui · régnoient entre lui & fes Emirs trop puiffans, par les incur

&les autres.

(a) Ce mot en Turkoman fignifie, qui enfeigne. Cinnamus l'écrit Tanif man; Guillaume de Tyr, Danifman ;

par

& Albert d'Aix, Doniman.
(b) L'an 493 de l'Hegire.

pour

L'an 1102.

fions que les Grecs faifoient du côté de Nicée, & par le paffage fréquent des Chrétiens Occidentaux qui fe rendoient Apr. J. C. en foule dans fes Etats. Il s'en croyoit délivré, lorsqu'il en Kilidgevit paroître de nouveau deux cens foixante mille, tant Lom- arflan L bards que François & Allemands. Les premiers avoient Chefs l'Evêque de Milan, Albert Comte de Blandras, fon frere Wido, Hugues de Mont-béel, Othon reveu d'Albert, & Vigbert Comte de Parme. Ils arriverent à Nicomédie vers les Fêtes de Pâques. Conrad Connétable de l'Empereur Henri III. les joignit avec les Allemands, & ils furent fuivis d'Etienne Comte de Blois, d'Etienne Duc de Bourgogne, de Hugues le Grand, & de plufieurs autres Seigneurs François. L'Empereur Alexis Comnène leur avoit donné pour guides des Turcoples. Les Comtes Raimond & Etienne de Blois vouloient que l'on fuivît la route que Godefroy de Bouillon avoit prife. Les Lombards qui avoient trop de confiance dans leur nombre, perfifterent à prendre le chemin des montagnes; ils fe flattoient d'aller faire le fiége de Bagdad, & de pénétrer jufques dans le Khorafan. On fut obligé de les fuivre, & après trois semaines de marche, dans l'abondance & la débauche, on parvint aux montagnes & on s'empara d'une fortereffe où l'on tua deux cens Turcs; mais on ne put prendre celle de Gargara. Les Turcs commencerent à harceler les Chrétiens. Raimond & les troupes de l'Empereur Alexis Comnène, corrompus par les préfens du Sulthan, conduifirent l'armée Chrétienne à travers des déferts affreux où elle manquoit d'eau, & dans les endroits où les Turcs avoient dreffé des embuscades; trahison qui fit périr beaucoup de monde. Sept cens François furent placés à l'avant-garde, & autant de Lombards à l'arriere-garde, pour repouffer les Turcs qui ne ceffoient d'inquiéter l'armée. Les Lombards furent bientôt défaits par cinq cens de ces Turcs, qui attaquerent enfuite l'infanterie & tuerent environ mille hommes. Les Lombards furent accufés de lâcheté, mais perfonne n'ofa prendre leur pofte. Il n'y eut à la fin que le Duc de Bourgogne avec cinq cens Cuiraffiers qui voulut s'y expofer, & il le foutint avec tant de courage qu'on ne perdit pas un feul homme. Les autres Chefs de l'armée y

Tom. II. Part. II.

D

Apr. J. C.

L'an 1102. Kilidgearflan 1.

vinrent enfuite tour-à-tour, & marcherent ainfi pendant quinze jours au milieu des déferts & à travers les montagnes. La difette commençoit à fe faire fentir dans l'armée Chrétienne, fans qu'on pût efpérer de trouver des vivres, les Turcs enlevant tous les Soldats qui ofoient s'éloigner du gros de l'armée pour en chercher. Après que les Chrétiens eurent traverfé ces dangereux paffages, & dans le tems qu'ils établiffoient leur camp dans la plaine qui eft au pied des montagnes de la Paphlagonie, ils apperçurent le Sulthan Kilidge Arflan, fuivi du fils de Danifchmend, de (a) Redouan Roi d'Alep, & de plufieurs autres Princes Turcs avec vingt mille hommes. Ils furent tout-à-coup affaillis, les Turcs pénétrerent d'abord jufques dans le camp où ils firent un grand carnage, mais trouvant trop de résistance de la part des François & des Lombards, ils furent contraints de fe retirer.

Cependant la difette & les fatigues du voyage firent encore moins périr de monde, que l'imprudence, la mauvaise discipline & le peu d'union qu'il y avoit parmi ces Chrétiens dans un pays ennemi. Le lendemain de cette action, trois mille Croifés fous la conduite de Conrad & de Bruno fon neveu, voulurent s'avancer dans le pays vers Marafch, ils s'emparerent d'un château où ils pafferent au fil de l'épée toute la garnifon Turque; mais dans le tems que chargés du butin, ils continuoient leur route à travers les montagnes où ils s'étoient engagés imprudemment, les Turcs les inveftirent de toutes parts, en tuerent environ fept cens, & diffiperent le refte de cette troupe, qui regagna le camp général après avoir perdu tout le butin qu'elle avoit fait.

Les Croifés reprirent leur route; ils placerent à l'avantgarde les Lombards qui eurent continuellement fur les bras l'armée des Turcs. Ces Barbares accabloient les Chrétiens par la multitude des fleches qu'ils lançoient en prenant auflitôt la fuite. Albert Général des Lombards, qui ne put foutenir plus long-tems leurs attaques, prit la fuite avec fa troupe. Conrad Chef des Allemands, des Saxons, des Bavarois & des Lorrains vint prendre la place des Lombards, résista

(a) Albert d'Aix le nomme Brodoan, appellé Caragel, peut-être Caradgia. & il dit qu'il y avoit encore un Emir

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