Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Apr. J. C.

Moham

med.

le regarder comme fon fils. Le Sulthan Mohammed n'étoit L'an 1218. point accoutumé à entendre de pareils discours; mais la crainte qu'il avoit de la puiffance de Genghizkhan, l'obligea de diffimuler ; & voulant être inftruit plus à fond des forces de ce Tartare, il prit à cet effet l'Ambaffadeur en particulier, & pour l'engager à ne lui point déguiser la vérité, il lui fit préfent d'une magnifique écharpe toute garnie de diamans, & lui demanda enfuite s'il étoit vrai que Genghizkhan eût fait la conquête du Khatai ou de la Chine feptentrionale. L'Ambassadeur lui répondit que Genghizkhan avoit foumis tous ces pays, & qu'il l'apprendroit par lui-même, s'il fe brouilloit avec ce Prince. Le Sulthan Mohammed irrité de cette réponse, dit qu'il ne voyoit point quelles pouvoient être les intentions de Genghizkhan, de lui faire annoncer fes grandes victoires, & de lui propofer de le regarder comme fon pere; qu'il devoit fçavoir quelle étoit l'étendue & la grandeur de l'Empire des Kharizmiens, & Le nombre de fes foldats. L'Ambaffadeur qui comprit par ce difcours que le Sulthan étoit en colere, prit le parti de le flatter; il lui dit qu'il n'ignoroit pas qu'il étoit plus puissant que fon maître, mais qu'il devoit exécuter les ordres qui lui avoient été donnés ; que cependant il l'affuroit que les intentions de Genghizkhan ne tendoient qu'à la paix. Par cette flatterie l'Ambaffadeur obtint tout ce qu'il avoit demandé, & le récit qu'il fit à Genghizkhan de fon ambasfade, détermina ce Prince à ménager le Sulthan de Kharizme, & à ne point lui déclarer la guerre fans fujet, quoique le Khalif Nafer le follicitât de le faire. Par ce moyen la paix fut établie entre les deux Empires, & elle ne fut rompue dans le fuite que par les ordres mêmes du Sulthan Mohammed.

Aboulfa- Les Mogols fujets de Genghizkhan, accoutumés à vivre radge. fous des tentes, ont toujours négligé le commerce, ils le Hifl.géné. des Tatars. laiffoient exercer parmi eux aux marchands des pays voifins qui faifoient un gain confidérable, fur-tout depuis que Genghizkhan étoit devenu le maître de la Tartarie, & que l'on pouvoit voyager dans ce pays en sûreté. Ces marchands se rendoient en foule dans fes Etats. L'an 1212, trois mar

chands

Mcham

chands de Bokhara, fujets du Sulthan de Kharizme, por- Apr. J. C. terent à la Cour de Genghizkhan toutes fortes de marchan- L'an 1:18. difes; mais ils les mirent à un fi haut prix, que ce Prince irri- med. té, fit faifir tout ce qu'ils avoient. Il fit venir enfuite du même pays d'autres marchands. Ceux-ci moins intéreffés lui offrirent ce qu'ils avoient apporté, Genghizkhan leur fit payer le double de ce que leurs marchandifes pouvoient valoir, & leur permit de vendre dans fon camp ce qui leur reftoit. Comme fes fujets n'en tirerent pas moins de profit que les Kharizmiens, il réfolut d'envoyer dans les Etats du Sulthan, cent cinquante (a) marchands Mufulmans, Chrétiens & Turcs de fes fujets, qu'il fit accompagner par trois Of fieiers de fa Cour, qui étoient munis d'un pouvoir de faire un traité de commerce avec le Sulthan. Le premier étoit appellé Mohammed de Kharizme, le fecond Aly khodgia de Bokhara, & le troifieme Youfouph d'Otrar; ils étoient charchés d'une lettre pour le Sulthan, par laquelle Genghizkhan prioit ce Prince de bien traiter les marchands qu'il envoyoit dans le Kharizme, promettant d'en ufer de même envers les Kharizmiens qui pafferoient en Tartarie.

Ces marchands portoient avec eux des richeffes immenfes, qui ne manquerent pas d'exciter la cupidité de quelques Gouverneurs de Mohammed. Lorsqu'ils furent arrivés à Otrar, ils allerent faluer le Gouverneur de cette ville qui étoit coufin germain de la mere du Sulthan; il étoit Turkoman d'origine, appellé Inallgik (b), & portoit le titre de Ghair-khan. Dans une audience qu'il leur donna, un des marchands qui avoit été anciennement fon ami, le nomma Inallgik. Cette familiarité offenfa tellement le Gouverneur, qu'il fit arrêter les Ambaffadeurs & les marchands, & dépêcha un courier au Sulthan Mohammed qui étoit alors dans l'Eraque Perfique, pour l'informer qu'il venoit d'arriver dans fes Etats une troupe d'Etrangers, dont les uns fe difoient Ambaffadeurs, les autres marchands; mais qu'ayant de fortes raifons de les foupçonner de quelque mauvais deffein, il avoit cru d'abord devoir les faire arrêter

(a) D'autres difent. 450.

Tom. II. Part. II.

(b) D'Herbelot le nomme Anial hak.
Mm

L'an 1218.
Moham-

med.

en attendant fes ordres. C'eft ainfi qu'il déguifa au Sulthan Apr. J. C. la vérité des chofes. Celui-ci négligea de s'inftruire davantage, & fur le fimple récit du Gouverneur d'Otrar il ordonna que l'on fit mourir tous ces Etrangers. Ghaïr-khan fe hâta d'exécuter des ordres qui étoient conformes à fes deffeins, & confifqua les effets de tous ces marchands, au profit du Sulthan. Tel fut l'évenement qui devint dans la fuite la caufe de tous les malheurs que les Kharizmiens éprou→ verent, & de la ruine entiere de la famille de ces Sulthans.

Un marchand qui avoit eu le bonheur d'échapper aux recherches de Ghaïr-khan retourna en Tartarie, & inftruifit Genghizkhan du fort de fes fujets. Le Prince Tartare n'apprit qu'avec indignation le procédé du Sulthan, mais voulant donner une preuve de fa modération, il envoya un Exprès vers Mohammed pour lui demander fatisfaction. Mohammed qui avoit fait une premiere faute, voulut la foutenir, & en fit une feconde. Il refufa de donner audience à l'Envoyé de Genghizkhan. Alors ce Prince ne crut plus devoir garder de ménagemens avec Mohammed. Il donna des ordres pour faire affembler toutes fes troupes, fit fçavoir à Mohammed qu'il le regardoit comme fon ennemi, & qu'il alloit porter la guerre dans fes Etats.

Mohammed fe prépara de fon côté à repouffer les armées nombreuses que le Khan alloit envoyer contre lui. Il raffemEla fes troupes à tête defquelles il marcha vers Samarcande & Khojende; mais ayant connu dans un premier choc qu'il eut avec Toufchi khan fils de Genghizkhan, à quels ennemis il avoit affaire, il ne crut plus devoir hazarder de bataille avec les Mogols; il diftribua fes troupes dans les places qui étoient fur les frontieres, & marcha avec le refte du côté de Samarcande. Il trouva les habitans de cette ville qui étoient occupés à creufer des foffés pour se garantir de l'infulte des Mogols dont ils prévoyoient l'arrivée. Mohammed fut affez imprudent pour leur dire en plaifantant que les Mogols combleroient en un moment ces foffés, s'ils y jettoient feulement leurs fouets. A ce difcours les habitans perdirent courage, & en même tems toute espérance de falut, lorfqu'ils virent que le Sulthan prenoit la route du Khorafan.

Apr, J. C.

Ce Prince fe rendit dans cette province agité de mille pensées diverses, & incertain fur le parti qu'il avoit à pren- L'an 1218. dre pour éviter les malheurs dont il fe voyoit menacé. Il Mohamréfolut d'abord de fe retirer dans les Indes où il étoit très. med. puiffant depuis qu'il avoit détruit les Ghourides. Il fe rendit d'Herbelot. dans ce deffein à Balkh, d'où il dépêcha un courier à Kharizme chargé de l'ordre de faire paffer sa mere, fes femmes, ses enfans & tous fes tréfors dans le Mazanderan, province remplie de montagnes & de châteaux très-forts, &, à ce qu'il croyoit, inacceffibles aux Mogols. Mais réfléchiffant enfuite qu'en paffant dans les Indes, il laiffoit la Perfe expofée aux courses de ces Barbares, il changea de réfolution, & s'en alla à Nifabour dans le Khorafan. Pendant plufieurs jours il s'y livra à la bonne chere & aux plaisirs qui furent les derniers de fa vie. Depuis ce tems elle ne fut plus qu'un tiffu d'évenemens déplorables fous lefquels il fuccomba.

radge.

Hiftoire de

Genghizkhan s'étoit mis en campagne à la tête d'une L'an 12194 puiffante armée. Les villes d'Otrar (a), de Nadgiande ou AboulfaJunde, de Pharnacande ou Fenaket, de Khojende, de Hift.géné. Sarnouc, de Saganac, de Samarcande & de Bokhara, furent des Tatars. enlevées à Mohammed par les Mogols; celle de Khariz- Gengh, de me même, capitale de fon Royaume, fubit le même fort. Peris. La mere de Mohammed nommée Tarkhan khatoun étoit renfermée dans cette derniere ville. Cette Reine étoit fille d'un petit Khan Turc, nommé Hanquefchi, de la Horde des Kang-lis, qui étoit mort fans enfans mâles; & tous fes fujets s'étoient retirés auprès de Mohammed, qui s'en fervit utilement dans fes expéditions. En conféquence, la Reine Tarkhan khatoun jouiffoit d'une très-grande autorité dans l'Empire. On lui donnoit le titre de Codavendé-gehan, c'eft-à-dire, Dame du monde. Souvent fes ordres étoient plûtot exécutés que ceux du Sulthan. Dans fes expéditions elle prenoit la qualité de protectrice de la foi & du monde, & de Reine des femmes. Sur fon fceau étoient écrits ces mots : Je me mets en la protection de Dieu feul. Le grand crédit que le Sulthan

44) L'an 616 de l'Hegire

L'an 1219. Mohammed.

lui laiffoit n'étoit point une foibleffe de la part de ce Prince. Apr. J. C. Tarkhan khatoun le méritoit par fon efprit fupérieur, par fon attention à protéger les foibles, à rendre exactement la juftice & à bien traiter les pauvres qui la regardoient comme leur mere. Elle a quelquefois flétri ces belles qualités par un peu trop de penchant à répandre le fang, & quand elle fe vit menacée d'un fiége, elle eut la cruauté de faire mourir douze fils de Souverains qui étoient retenus prifonniers dans cette capitale du Royaume. Elle fe ligua même contre fon propre fils. Elle haiffoit Dgelaleddin fon petitfils, Prince d'un mérite fingulier, & qui devoit fuccéder à Mohammed; elle défiroit faire tomber la couronne fur la tête de Cothbeddin fon autre petit-fils. Lorfqu'elle apprit que le Sulthan avoit déclaré le premier pour être fon fucceffeur, elle prit un parti violent, & réfolut d'abandonner la ville de Kharizme, qui auroit pu faire fous fes ordres une vigoureuse réfiftance. Elle en fortit, fuivie des femmes & des concubines de fon fils, de fes petits-fils, & chargée de richeffes. Les habitans fondoient en larmes à fon départ, & un grand nombre la fuivic; un petit Khan nommé Omar la conduifit jufqu'à quelques lieues du Mazanderan où elle devoit fe retirer dans la citadelle d'Ilan, qui étoit la plus forte de tout le pays. Avant que d'y arriver elle fit mourir Omar, dans la crainte, à ce que l'on prétend, qu'il ne la trahît.

Aboulfedha
Nifawi.

Pendant que ces chofes fe paffoient dans la capitale du Royaume, le Sulthan Mohammed étoit fugitif, Genghiz khan avoit détaché un corps de troupes commandé par Tchepé novian, Soudai bahadur & Togazar kantaret, avec ordre de fuivre ce Prince; ils le joignirent à Nifabour dont il fortit promptement pour fe fauver dans l'Eraque Perfique. Ce Sulthan avoit envoyé la Sulthane fon époufe, & fon fils Ghaiatheddin à Carender. A fon départ de Nifabour il laiffa le gouvernement de la ville & de la province à quatre principaux Seigneurs de fa. Cour nommés Tafcher el moulk, Nedhameddin, Aboulnraali catib, & Schah el moulk. Il fe rendit enfuite à Cafvin, où fon fils Rokneddin avoit un corps de trente mille hommes. Il s'étoit arrêté à Boftam, & avoit fait mettre dans le fort château d'Ardhan

« AnteriorContinuar »