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inférieurs, dont vous avez déja vû l'ufage pendant fix cens ans, & vous le verrez encore long-tems.

Chacun demeuroit en fon ordre, autant que l'Evêque jugeoit à propos, & plufieurs y paffoient leur vie. On ne trouvoit pas étrange de voir dans l'églife, un homme toûjours portier ou lecteur : comme on ne s'étonne point aujourd'hui de voir dans les tribunaux féculiers, un huiffier ou un greffier, qui ne devient jamais juge. Les talens naturels font différens, & les graces diversement diftribuées. Tel eft propre à l'action, qui n'eft pas propre à l'étude : tel a du zele & de la prudence, qui n'a pas le don de la parole. La fidélité, l'affiduité & la force du corps, fuffit pour un portier ou un facriftain; la charité & la difcrétion fuffit pour un diacre, & ne fuffit pas pour un prêtre, fans la science. Au contraire, un prêtre fçavant, pieux, éloquent, peut n'avoir pas la force & l'induftrie néceffaire dans les affaires. Les évêques ne faifoient pas les ordinations pour gratifier les particuliers, mais afin que l'église fût fervie: ainfi il ne faut pas s'étonner s'ils laiffoient chacun à la place qui lui convenoit le mieux. S'ils les avançoient à un ordre,fupérieur, c'étoit à mesure qu'ils en devenoient capables. Un jeune homme n'étoit que lecteur: mais après avoir fait progrès dans la fcience & la piété, il devenoit prêtre. Un diacre avoit commencé être acolyte ou portier.

par

:

دار

n.

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Hift. liv. XIX. 38. n. 48, n. 57°

Ce n'étoit pas le particulier qui fe préfentoit pour demander l'ordination, comme il eût demandé le baptême ou la pénitence. C'étoit le peuple qui demandoit l'ordination de celui dont il connoiffoit le mérite, ou l'évêque qui le choififfoit du confentement du peuple. Le particulier étoit fouvent ordonné malgré lui: vous en avez vu plufieurs exemples. Saint Auguftin, Paulinien frere de faint Jerôme, faint Paulin de Nole, & tant d'autres. Il en étoit comme des évêques. On choififfoit les Chrétiens les plus parfaits par conféquent les plus humbles & les plus définteressez, qui ne fongeoient qu'à fe cacher, à fe préferver des tentations, à goûter en filence la beauté des véritez éternelles, à s'unir à Dieu par la prière. Il falloit leur faire violence, pour les tirer de ce repos, & les obliger à rentrer dans l'action extérieure & le commerce des hommes, en remédiant à leurs miferes. L'amour de la vérité, dit faint Auguftin, ne cherche qu'un XIX. civit.e. 19. faint loifir: mais la néceffité de la charité fe charge d'affaires juftes. L'utilité de ce grand nombre d'officiers, & de leurs ordres différens, paroiffoit dans les affemblées de religion, & principalement au faint facrifice. Car on le célébroit pour l'ordinaire, avec toute la folemnité poffible. Vous avez vû quelques occafions, où on faifoit l'oblation en particulier, & avec moins de cérémonies. Saint Cyprien parle de celles qui fe ". 35. faifoient dans les prifons des martyrs, & veut qu'il n'y ait qu'un prêtre & n. 19. liv. XVI. un diacre: montrant combien le miniftere du diacre étoit jugé néceffaire, n. 16. Vous avez vû faint Ambroife célébrer à Rome, dans une maifon particuHére, & faint Grégoire de Nazianze le pere, même dans fa chambre. Voilà des meffes particulieres bien anciennes: mais il faut convenir, que ces occafions n'étoient pas fréquentes, & que la mefle ordinaire étoit folemnelle; c'est-à-dire, que tous les prêtres ou les évêques, qui fe trouvoient

cij

VII. Solemnité des

offices.

n.

V. Hift. liv. VI

Hist. liv. XV111.

Maurs Chr. H. 39. 40. &c. hift. liv. xxxvI. . 15

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1.45.54. XII, 10.

au même lieu, s'affembloient en une églife avec tout le reste du clergé & du peuple, & concouroient tous à une même action, de la maniére que j'ai décrite.

On croyoit ne pouvoir jamais affez honorer le fervice divin, l'adminif tration des Sacremens, & particuliérement l'euchariftie, où Jesus-Christ fe rend lui-même préfent. De-là venoit la magnificence des églises, dont ft. liv. 1. n. 3. je vous ai donné quelques descriptions : la multitude des vafes d'or & d'argent: l'abondance du luminaire & des parfums: le grand nombre d'offciers, portiers, manfionaires, facriftains, tréforiers, pour garder les vafes facrez, & les églifes mêmes, les orner & les tenir propres. Tout cela n'étoit point difficile, même dans les villes médiocres, quand il n'y avoit qu'un feul fervice, & que tout fe raffembloit en un même lieu. Rien n'étoit plus propre à donner au peuple & aux hommes les plus groffiers, une haute idée de nos myfteres. Les payens mêmes convenoient, que ce facrifice, qu'on leur cachoit avec tant de foin, étoit quelque chofe de grand, puifqu'on le préparoit avec un fi grand appareil. D'ailleurs l'unité de prieres & de facrifice, marquoit mieux l'unité de Dieu, & la communion des Saints. Que fi l'on eft en peine comment tout le peuple pouvoit affifter à un feul office, il faut s'en rapporter à une expérience de plufieurs fiécles; car on ne dira pas, que le nombre des Chrétiens ne fût grand, au Epift. 11. ad Diofc. moins dès le quatriéme. Il eft vrai que l'on célébroit plufieurs meffes de fuite dans la même églife, quand il étoit befoin, comme le témoigne

al. 81.

VIII. Pénitence.

n.

faint Léon.

Après l'euchariftie, rien n'étoit plus folemnel que l'administration du baptême, réservé à deux jours de l'année, précedé de longues préparations, accompagné de tant de prieres & de cérémonies, dont nous gardons encore la formule, conferé dans un baptiftere magnifique, avec des vafes précieux. Tout cela ne contribuoit pas peu à faire concevoir l'importance de cette action, & à rendre le facrement vénérable à ceux qui le recevoient, aux fidéles qui en étoient fpectateurs, & aux infidéles qui en entendoient parler.

Il en étoit de même à proportion de la pénitence. Je vous ai rapporté non-feulement les canons pénitentiaux, mais plufieurs exemples de la maMœurs Chr.n. 25. niere dont ils étoient mis en pratique. Vous en avez été fans doute étonHift. Liv. v.n. 46. nez, particuliérement de ce que les plus anciens canons font toûjours les Liv. 1x. 12. 14. 21. plus rigoureux, & que du tems même des perfécutions, ce n'étoit point 15. 16. liv, xIx. par l'indulgence, mais par la févérité des peines, que l'on prétendoit retenir les foibles. Cependant, dès-là que les canons les plus anciens font les plus féveres, il faut conclure que cette févérité venoit de la tradition des apôtres, c'est-à-dire, de Jefus-Chrift, & par conféquent, que c'eft notre faute fi elle nous paroît exceffive.

liv, xvII. n. 14.

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Mais, dites-vous, tenir des gens en pénitence pour un feul péché, des quinze & vingt ans, & quelquefois toute leur vie : les tenir des années entieres hors la porte de l'églife, expofez au mépris de tout le monde : puis d'autres années dans l'églife, mais profternez les obliger à porter des cilices, des cendres fur la tête, à se saiffer croître la barbe & les cheveux,

:

à jeûner au pain & à l'eau, à demeurer enfermez, & renoncer au commerce de la vie : n'étoit-ce pas de quoi défefperer les pécheurs, & rendre la religion odieufe ? J'en dirois autant, à ne confulter que les idées ordinaires. Mais je fuis retenu, premiérement par les faits que je vous ai rapportez. Je ne les ai pas inventez : ils ne me feroient pas même tombez dans l'efprit; ils font conftans; vous pouvez les vérifier vous-mêmes. Sur quoi je raisonne ainfi : Nous n'avons pas fait notre religion; nous l'avons reçue de nos peres, telle qu'ils l'avoient reçue des leurs, jufques à remonter aux apôtres. Donc il faut plier notre raison, pour nous foumettre à l'autorité des premiers tems, non-feulement pour les dogmes, mais pour les pratiques.

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Enfuite examinant les raifons que les anciens nous ont données de cette conduite fur la pénitence, je les trouve très-folides. Le péché, disent-ils, est la maladie de l'ame or les maladies ne fe guériffent pas en un moment. Il faut du tems, pour éloigner les occafions, & diffiper les images criminelles, pour appaifer les paffions, faire concevoir l'énormité du péché, fonder à fond tous les replis d'une confcience, déraciner les mau vaises habitudes, en acquérir de contraires, former des réfolutions folides, & s'affurer foi-même de la fincérité de fa converfion. Car fouvent un homme se trompe, fans le vouloir, par une ferveur fenfible, mais paffagere. D'ailleurs la longueur de la pénitence étoit propre à imprimer fortement l'horreur du péché, & la crainte de la rechûte. Celui qui pour un feul adultere fe voyoit exclus des facremens pendant quinze ans, avoit le loifir de connoître le crime qu'il avoit commis, & de penfer combien il feroit plus horrible d'être à jamais privé de la vue de Dieu. Celui qui étoit tenté de commettre un pareil péché, y penfoit à deux fois, pour peu qu'il eût de religion, quand il prévoyoit qu'un plaifir d'un moment, auroit infailliblement, dès cette vie, de fi terribles fuites, ou de faire pendant quinze ans une rude pénitence, ou d'apoftafier, & retourner au paganifme. Car un an de fouffrances préfentes frappe plus l'imagination, qu'une éternité après la mort. L'éclat des pénitences faifoit fon effet, nonfeulement fur les pénitens, mais fur les fpectateurs : l'exemple d'un feul empêchoit plufieurs péchez, & le refpect humain venoit au fecours de la foi. On recouvre peu à peu, dit faint Auguftin, ce que l'on a perdu tout à la fois. Car fi l'homme revenoit promtement à fon premier bonheur, il regarderoit comme un jeu la chute mortelle du péché.

Que fi nous en jugeons par les effets, nous verrons encore combien cette rigueur étoit falutaire. Jamais les péchez n'ont été plus rares parmi les Chrétiens; & à proportion que la difcipline s'eft relâchée, les mœurs fe font corrompues. Jamais il ne s'eft converti plus d'infideles, que quand l'examen des catéchumenes étoit le plus rigoureux, & les pénitences des baptifez les plus féveres. Les œuvres de Dieu ne fe menént pas par une politique humaine. Nous le voyons en petit dans les communautez religieufes. Celles qui ont relâché leur obfervance, diminuent de jour en jour: quoique le prétexte du relâchement foit d'attirer plus de fujets, en s'accommodant à la foibleffe humaine. Les maifons les plus régulieres &

Aug. ferm. 178. n. 13. al. 34. de diverf. c. 3.

24. 25.

les plus aufteres, font celles où on s'empreffe le plus de trouver place. Auffi faudroit-il être bien téméraire pour accufer de dureté ou d'indifcrétion, je ne dis pas les apôtres infpirez de Dieu, mais faint Cyprien, faint Grégoire Thaumaturge, faint Bafile & les autres qui nous ont daiffé. ces regles de pénitence. A ne regarder que les difpofitions naturelles nous ne connoiffons point d'hommes plus fages, plas doux, plus polis: la grace venant par-deffus, ne les avoit pas gâtez. Ils fe propofoient toûjours modele, celui qui eft venu fauver les ames, & non pas les perdre ; qui eft doux & humble de coeur. Les peuples qu'ils avoient à gouverner, n'étoient pas non plus des nations dures & fauvages: c'étoient des Grecs & des Romains, dont les mœurs, dans la décadence de l'empire, n'étoient que trop amollies par le luxe & la fauffe politefle.

pour

D'où venoit donc cette rigueur des pénitences? de l'ardente charité de ces faints pafteurs, accompagnée de prudence & de fermeté. Ils vouloient férieusement la converfion des pécheurs, & n'épargnoient rien pour y »arvenir. Un médecin flateur, intéreffé, ou pareffeux fe contente de donner des remédes palliatifs, qui appaifent la douleur dans le moment, fans fatiguer le malade. Il ne fe met pas en peine s'il retombe fréquemment, & s'il mene une vie languiffante & méprisable, pourvû qu'il foit bien payé, fans fe donner beaucoup de peine, & qu'il contente les malades dans le moment qu'il les voit. Un vrai médecin aime mieux n'en traiter qu'un petit nombre & les guérir. Il examine tous les accidens de la maladie, en approfondit les caufes & les effets ; & ne craint point de prefcrire au malade le régime le plus exact & les remedes les plus douloureux, quand il les juge propres pour tarir la fource du mal. Il abandonne le malade indocile, qui ne veut pas le foumettre à ce qui eft néceffaire pour guérir.

Ainfi nos faints évêques n'accordoient la pénitence, qu'à ceux qui la Maurs Chr. n. demandoient, & qui témoignoient vouloir fincérement fe convertir. On n'y forçoit perfonne: mais ceux qui ne s'y foumettoient pas, étant convaincus de quelque péché fcandaleux, étoient exclus de la communion des fidéles. Quant à ceux qui embraffoient la pénitence, les pafteurs les conduifoient suivant les régles qu'ils avoient reçues de leurs peres, & qu'ils appliquoient avec un grand foin & une grande difcrétion, felon les befoins de chacun : excitant la tiédeur des uns, retenant le zele indifcret des autres: les faifant avancer, ou reculer, felon leur progrès effectif; enfin prenant toutes les précautions poffibles pour s'affurer de leur converfion, & les préferver des rechûtes. Que tout homme véritablement chrétien juge en fa confcience, fi cette conduite étoit cruelle, ou charitable. Auffi ne s'en plaignoit-on point, & vous n'avez vû jusques ici aucune plainte dans les conciles, finon qu'en quelques églifes, la pénitence commençoit à fe relâcher: ce que l'on regarde toûjours comme un abus. Vous verrez dans la fuite qu'il s'eft toûjours augmenté, d'un côté par la dureté & l'indocilité des peuples barbares, & de l'autre par l'ignorance & la foibleffe des pasteurs.

IX. Douceur de l'Eglife,

Au refte, l'efprit de l'églife étoit tellement l'efprit de douceur & de cha

rité, qu'elle empêchoit, autant qu'il étoit poffible, la mort des crimi

nels, & même de fes plus cruels ennemis. Vous avez vû comme on fauva Hift. liv. xx. n. 92. la vie aux meurtriefs des martyrs d'Anaune, & quels efforts fit faint Au Liv. xx11. n. 47. guftin, pour garantir de la rigueur des loix les Donatiftes, qui avoient Liv. XXIII. n. 29. exercé tant de cruautez contre les Catholiques. Vous avez vù combien 30. 59. l'églife détefta le zele indifcret de ces évêques, qui avoient pourfuivi la mort de l'héréfarque Prifcillien. En général l'église fauvoit la vie à tous les criminels, autant qu'il étoit poffible, pour procurer leur converfion, & les amener au baptême ou à la pénitence. Saint Auguftin rend raison

7

de cette conduite dans la lettre à Macedonius, où l'on voit que l'églife Liv. xx11. n. 52. défiroit qu'il n'y eût en cette vie, que des peines médecinales, pour dé- B153. al. 54. truire, non l'homme, mais le péché, & préferver le pécheur du fupplice éternel, qui eft fans reméde. Cette conduite rendoit l'églifeaimable

même aux payens.

21.

Hift. liv. xx. n. 46.

III. cont, Parm.
C. 14. 15.

Epift. 12. al. 64,

Les faints évêques qui ufoient envers les particuliers, de la févérité qui V.Inftitut, au droit a été marquée, n'employoient aucune peine contre la multitude, ou conecclef. p. 3. 6. 20. tre les particuliers affez puiffans pour former un parti. C'eft qu'ils ne vouloient employer les cenfures, que quand elles pouvoient avoir leur effet, pour la correction des pécheurs; non quand il étoit vrai-femblable qu'elles feroient méprifées, qu'elles aigriroient le mal, & porteroient les pécheurs à la révolte & au fchifme. Vous l'avez pû apprendre de faint Auguftin, particuliérement quand il combat les Donatiftes. Et à une autre occafion il dit qu'avec la multitude il faut ufer d'inftructions, plutôt que de commandemens; d'avertiffemens, plutôt que de menaces: & employer la févérité contre les péchez des particuliers. Nous avons vû que, ni Pempereur Conftantius, ni l'empereur Valens, quoique perfécuteurs Hift. liv. xvI. n. des catholiques, n'ont jamais été excommuniez, ni exclus de l'églife: au contraire, faint Bafile a reçu l'offrande de Valens. Il eft vrai que faint Ambroife a refufé l'entrée de l'église à Théodofe; mais connoiffant fa docihté & fa religion, il voyoit combien cette peine lui feroit falutaire, & for exemple utile à toute l'églife.

48. Liv.xx.n.21.

Liv.xv 1. n. 3. Hilar. cont. Aux.

Hift. liv. XIV. n.

Ces faints évêques évitoient d'irriter inutilement les princes & les magiftrats; mais ils ne les flatoient point, & ne croyoient pas que la religion cut befoin d'être appuyée par la puiffance temporelle. Je ne vous citerai pas là-deffus Lucifer de Caillari; vous diriez peut être, que c'etoit un 28. homme exceffif: mais je vous renvoyerai à ce que difoit faint Hilaire, contre la lâcheté des évêques de fon tems. C'étoit les hérériques & les fchif matiques, qui fentant leur foibleffe, & n'agiffant que par paffion, s'appuyoient du bras de la chair, & ufoient de toute forte d'indulgence, pour retenir leurs fectateurs, comme leur reproche Tertullien.

Ce peu que j'ai relevé de l'ancienne difcipline, eft pour vous ouvrir le chemin, & vous inviter à confidérer attentivement tout le refte. J'efpere que vous y verrez par tout l'efprit de Dieu, & que vous conviendrez, que dès-lors il ne manquoit rien au bon gouvernement de l'églife. Non fans doure, les apôtres en la fondant, n'ont pas omis de lui donner des regles de pratique, autant pour la conduite de tout le corps, que pour les mœurs

Prafcript. c. 41.

X.

Discipline en gé

néral

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