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fuffent jointes à une grande prudence pour le gouvernement, & une grande piété. Ce n'eft pas qu'il n'y ait toûjours eu des évêques & des prêtres trèsinftruits des fciences profanes : mais c'étoit pour l'ordinaire ceux qui s'y étoient appliquez avant leur converfion, coimme S. Bafile & S. Auguftin. Hift. v, 11. Ils fçavoient bien enfuite les employer pour la défenfe de la vérité, & répondre à ceux qui en vouloient blâmer l'ufage, comme S. Auguftin au grammairien Crefconius.

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XIV.

Méthode d'en

Quant à la maniere d'enfeigner, ils fe conduifoient différemment avec les infidéles, les enfans de l'églife, & les hérétiques. Les premieres inftructions pour les infidéles, tendoient à corriger leurs mœurs. Car les peres feigner. croyoient inutile de parler de religion à des hommes encore pleins de leurs paffions & de leurs faux préjugez. Ils fe contentoient de prier pour eux, leur donner bon exemple, les attirer par la patience, la douceur, les bienfaits temporels, jufques à ce qu'ils viffent en eux un défir fincere de

connoître la vérité & d'embraffer la vertu. Quand ils trouvoient des ef Hift. liv., 2, 47. prits curieux & élevez, ils employoient les fcienees humaines, pour les pré- ".43. parer à la vraie philofophie. Voyez comment Origene inftruifit S. Grégoire Thaumaturge.

A l'égard des fidéles, on les entretenoit dans la doctrine de l'églife, les précautionnant & les fortifiant contre les héréfies, & leur donnant des regles pour la conduite & la correction des mœurs. C'eft la matiere de tous les fermons des peres, la morale & les héréfies du tems. Sans cette clef, fouvent on ne les entend pas, ou du moins on ne les peut goûter. Et c'est encore une utilité confidérable de l'hiftoire eccléfiaftique. Car quand on fçait les héréfies qui régnoient en chaque tems & en chaque pays, on voit pourquoi les peres revenoient toûjours à certains points de doctrine. C'eft ce qui les obligeoit fouvent à quitter le fens littéral de l'écriture, pour fuivre le fens figuré, moral ou allégorique. Car ils ne choififfoient pas les lectures, l'ordre en étoit établi felon le cours de l'année, tel à peu près qu'il l'eft encore. Mais ils fçavoient y rapporter tout ce qu'ils jugeoient le plus utile pour l'inftruction de leur troupeau.

En difputant avec les hérétiques, ils fe tenoient au fens littéral; ou s'ils fuivoient un fens figuré, c'étoit celui dont les adverfaires convenoient. C'est ce qui rend ces livres de controverfe fi utiles, pour voir le vrai fens de l'écriture, & le dogme précis de l'églife. Car quiconque portoit le nom de chrétien, faifoit profeffion de ne fe fonder que fur l'écriture; les hérétiques en tiroient leurs objections, & les catholiques leurs réponses. Vous l'avez pû voir dans toute cette hiftoire; & dans les extraits de doctrine que j'y ai inférez, je me fuis principalement attaché à rapporter les paffages alléguez de part & d'autre. Au refte, les peres étoient fort retenus fur les queftions de religion. Ils fe contentoient de réfoudre celles qui leur étoient propofées, fans en propofer de nouvelles : ils réprimoient avec foin la curiofité des efprits légers & remuans, & ne permettoient pas à tout le monde de difputer fur cette matiere. Voyez ce qu'en dit S. Grégoire de Nazianze, & les difpofitions qu'il demande en ceux qui doivent parler de théologic.

Hift. liv. XT11..

52-Or, 33.

XV.

Quiconque aura lû avec quelque attention, je ne dis pas les ouvrages Science des peres. mêmes des peres, mais le peu que j'en ai rapporté dans cette hiftoire, ne pourra douter, à mon avis, ni de leur fcience, ni de leur éloquence, Quand on prendroit le nom de fcience improprement, comme fait le vulgaire, en nommant fçavans, ceux qui par une grande lecture, ont acquis la connoiffance d'un grand nombre de faits : les anciens ne manquoient pas de cette efpece de fcience, ou plutôt d'érudition. Combien en voyonsnous dans S. Clément Alexandrin, dans Origene, Eusebe de Cefarée, Jérôme ? Combien de faits hiftoriques, combien de poëtes, d'historiens, de philofophes nous feroient inconnus fans eux? Ils étoient nourris dès l'enfance dans l'étude de tous ces auteurs, & la teinture en eft répandue dans tous leurs écrits; en forte que pour les bien entendre, il faut êtte verfé dans l'antiquité profane,

48.

:

faint

Il eft vrai qu'ils etudioient peu les langues étrangeres : les Grecs fe bornoient à leur langue naturelle, les Latins au Grec ; & l'on a remarqué comme des prodiges, les travaux d'Origene & de S. Jerôme, pour apprendre la langue Hébraïque. Mais il faut confidérer quels étoient les docteurs de l'églife, des pasteurs très occupez à inftruire, à corriger, à juger des difféHift. liv. xx11. n. rends, à affifter des pauvres. Voyez comme S. Auguftin gémit fous le poids de fes occupations. En cet accablement, s'il avoit quelque peu de relâche, il l'employoit plutôt à la priere ou à la méditation de l'écriture, qu'à étudier des langues, ou conférer des exemplaires pour reftituer un paffage obscur. Ces travaux convenoient mieux à un folitaire comme S. Jerôme. Outre que les Saints n'étudioient, ni pour fatisfaire leur curiofité naturelle, ni pour s'attirer l'admiration qu'excite dans les ignorans la connoiffance des chofes rares. Ils étoient bien au-deffus de ces puérilitez. Voyez entre autres la lettre de S. Auguftin à Diofcore.

Que fi nous cherchons ce qui mérite proprement le nom de fcience, où en trouverons-nous plus que chez les peres? Je dis de cette vraie philofophie, qui fe fervant d'une exacte dialectique, remonte par la métaphyfique, jufques aux premiers principes, & à la connoiffance du vrai bon & du vrai beau; pour en tirer par des conféquences fûres, les regles des mœurs, & rendre les hommes fermes dans la vertu, & heureux, autant qu'ils en font capables. Qu'y a-t-il en ce genre de comparable à S. Auguftin? Quel efprit plus élevé, plus pénétrant, plus fuivi, plus modéré ? Quelqu'un at-il pofé des principes plus clairs, ou tiré plus de conféquences, & mieux fuivies ? Quelqu'un a-t-il des penfées plus fublimes, ou des réflexions plus fubtiles? Qui ne l'admire pas, ne lui ôte rien; mais il fe fait tort à lui-même, en montrant qu'il n'a pas l'idée de la véritable fcience. Entre les Grecs, vous verrez cette même philofophie fubtile, fublime & folide dans les livres de faint Bafile contre Eunomius, dans quelques lettres, où il réfute les fophifmes d'Aëtius : dans les difcours de S. Grégoire de Nazianze sur la théologie dans les traitez de S. Athanafe, contre les payens & les Ariens. Ceux qui ont un peu confidéré la différence des climats, ne s'étonneront pas qu'il fe trouvât de fi grands efprits en Afrique, en Grece, en Egypte & en Syrie.

que

Pour la méthode, les anciens ne la découvroient point fans befoin, & la diverfifioient fuivant les fujets. Car ils n'écrivoient dans l'occafion, pour répondre à quelqu'un qui demandoit inftruction, ou réfuter quelque hérétique. Ainfi ils ne fuivoient pas d'ordinaire la méthode géomé trique, qui ne s'attache qu'à l'ordre des véritez en elles-mêmes: mais la méthode dialectique, qui s'accommode aux difpofitions de celui à qui on parle, & qui eft le fonds de la véritable éloquence. Car elle travaille à ôter les obftacles que les paffions ou les préjugez ont mis dans l'efprit de l'auditeur puis ayant nettoyé la place, elle y place la vérité, profitant de ce qu'il connoît, & dont il convient, pour l'amener à ce qu'on veut lui perfuader. C'est cette méthode, dont Platon nous a donné de fi parfaits modéles.

Après cela, il ne faut pas s'imaginer que les peres en foient moins éloquens, pour ne pas parler le Grec & le Latin auffi purement que les anciens orateurs. S. Paul parlant un Grec demi barbare, ne laisse pas de prouver, de convaincre, d'émouvoir, d'être terrible, aimable, tendre, véhément. Il faut bien diftinguer l'éloquent de l'élocution, qui n'en eft que l'écorceQuelque langue que l'on parle, & quelque mal qu'on la parle, on fera éloquent, fi l'on fçait choifir les meilleures raifons, & les bien arranger; fi fon employe des images vives & des figures convenables. Le difcours ne fera pas moins perfuafif, mais feulement moins agréable. Il ne faut pas comparer les peres, fi l'on veut leur faire juftice, à Demofthene & à Ciceron, qui ont vêcu tant de fiécles auparavant. Il faut les comparer à ceux qui ont excellé de leur tems: S. Ambroise à Symmaque, S. Bafile à Libanius. Quelle différence vous y trouverez ! que S. Bafile eft folide & naturel! que Libanius eft vain, affecté, puéril!

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Il est vrai que S. Chryfoftome n'eft pas fi ferré que Demofthene, & il montre plus fon art: mais dans le fonds, fa conduite n'eft pas moindre. Il fçait juger quand il faut parler, ou fe taire; de quoi il faut parler, & quels mouvemens il faut appaifer ou exciter : voyez comme il agit dans l'affaire des ftatues. Il demeure d'abord fept jours en filence, pendant le Hift. liv. xix. 1. 2. premier mouvement de la fédition, & interrompt la fuite de fes homélies à l'arrivée des commiffaires de l'empereur. Quand il commence à parler, il ne fait que compatir à la douleur de ce peuple affligé, & attend quelques jours pour reprendre l'explication ordinaire de l'écriture. Voilà en quoi confifte le grand art de l'orateur, & non pas à faire une transition délicate, ou une profopopée. Ainfi, quand S. Auguftin voulut abolir les agapes, dont on abufoit, il fit pendant deux jours de fuite plufieurs fer- 11. ep. 29. mons, & crut n'avoir rien fait, tant qu'il n'eut que des applaudiffemens : il commença à bien espérer, quand il vit couler des larmes, & ne ceffa

Hift. liv.

xx, n.

point qu'il n'eût obtenu ce qu'il défiroit. Ainfi S. Ambroife perfécuté par Hift. liv. xx111. n. Juftine, confole fon peuple, l'encourage, le retient dans le devoir. Il fçait 43 44. &c. proportionner fon difcours au fujet, au tems, à la difpofition de l'auditeur. Les anciens ont défini l'orateur, un homme de bien qui fçait parler. En effet, la confiance fait la moitié de la perfuafion : celui qui paffe pour méchant & artificieux, n'eft pas écouté ; on fe défie de celui qu'on ne connoît

XVII.

Qu'il faut étudier l'antiquité,

pas: pour écouter volontiers, il faut croire celui qui parle également inftruit & bien intentionné. Après cela, que ne devoient point perfuader des évêques d'une vertu fi éprouvée, d'une capacité fi connue, d'une telle autorité ? Ils n'avoient qu'à ouvrir la bouche, qu'à fe montrer. Et qui pouvoit leur réfifter, quand à cette autorité ils joignoient une application continuelle aux befoins de leur troupeau, & une induftrie finguliére pour gagner les cœurs?

Nous devons donc à Dieu des actions de graces infinies, de nous avoir confervé ce précieux tréfor; ces écrits des peres, où nous trouvons le fonds de la doctrine, la maniere de l'enfeigner, les regles & les exemples de la difcipline & des mœurs. N'eft-ce pas un miracle de la Providence, que tant d'écrits foient venus jufques à nous, au travers de treize ou quatorze fiécles, après tant d'inondations de peuples barbares, tant de pillages & d'incendies; malgré la fureur des infidéles, la malice des hérétiques, l'ignorance & la corruption des cinq ou fix derniers fiécles ? N'eftce pas cette Providence, qui depuis près de trois cens ans, a excité tant de perfonnages pieux ou curieux à rechercher tous les reftes de cette fainte antiquité, & à étudier les langues mortes? qui a fait trouver aux Grecs opprimez par les Turcs, des afyles favorables en Italie & en France? & qui en même-tems a fait inventer l'Imprimerie, pour conferver à jamais tant de livres fauvez du naufrage?

Ne doutons pas que Dieu ne nous demande un compte exact de ce talent, particuliérement à nous autres eccléfiaftiques. L'étude de cette fainte antiquité doit être l'occupation de notre loifir, ou des intervalles de notre travail. Je fçai ce qui en détourne ordinairement : on la croit infinie, & on n'eft pas affez perfuadé qu'elle foit utile. On croit donc gagner du tems, en lifant quelque aureur moderne, qui ait recueilli en abregé fur la lecture des anciens, ce qui eft le plus d'ufage felon nos mœurs. Mais ne vous y trompez pas, aucun de ces modernes ne vous fera connoître l'antiquité comme elle est; chacun, même fans y penfer, y ajoute du fien, & y mêle les préjugez de fon pays & de fon tems, fans compter que plufieurs des modernes les plus eftimez, n'ont pas eux-mêmes affez connu l'antiquité. De plus, leurs ouvrages font remplis de grand nombre de divifions & de queftions fcholaftiques, qui ne nous apprennent point le fonds des chofes. Et quant à ce que l'on dit, qu'il fe faut conformer à l'ufage préfent : cela eft vrai, pour les pratiques expofées aux yeux du public, comme les cérémonies du fervice divin, & les formalitez judiciaires : mais chaque particulier peut & doit s'efforcer de mieux vivre que le commun; autrement il faudroit marcher dans le torrent de la corruption générale. Il en eft de même des études; & fans réformer le public, chacun peut fuivre la méthode qui lui paroît la meilleure.

Mais fi nous voulons fonder le fonds de notre cœur, nous craignons l'antiquité, parce qu'elle nous propofe une perfection que nous ne voulons pas imiter. Nous difons qu'elle n'eft pas pratiquable, parce que fi elle l'étoit, nous aurions tort d'en être fi éloignez; nous détournons les yeux des maximes & des exemples des faints, parce que c'eft un reproche con

tinuel à notre lâcheté. Mais qu'y gagnerons-nous ? ces véritez & ces exemples ne feront pas moins, foit que nous y penfions ou non; & il ne nous fervira de rien de les ignorer, puifqu'étant fi bien avertis, notre ignorance ne peut être qu'affectée. Au contraire, fi nous avons le courage de regarder cette fainte antiquité, & de la préfenter aux autres de tous les côtez, & de toutes les manieres poffibles: il faut efpérer qu'à la fin nous aurons honte d'en demeurer fi éloignez; & qu'avec le fecours de la grace nous ferons quelque effort, afin de nous en rapprocher. L'expérience du paffé doit nous encourager. Combi n la difcipline de l'églife s'eft-elle relevée depuis un fiécle, par les réglemens du concile de Trente, les travaux de S. Charles, l'inftitution des féminaires : tant de réformes dans les ordres religieux? D'où font venus tous ces biens, finon de l'étude de l'antiquité? Et que ne pouvons-nous point efpérer, fi nous fuivons ces grands exemples?

Mais afin que cette étude ne foit pas infinie, & par conféquent inutile, il faut du choix & de l'ordre. Il faut confulter ceux qui ont le mieux lû l'antiquité eccléfiaftique, pour en prendre ce qui nous convient, fuivant la portée de notre efprit & la néceffité de nos emplois. Il faut que cette étude foit férieufe & chrétienne. Gardons-nous de la curiofité & de la vanité de vouloir montrer que nous avons beaucoup lû, que nous avons découvert le fens d'un paffage, ou déterré quelque antiquité. Ne cherchons dans les peres ni les penfées brillantes, ni les paroles pompeufes, ni ces beaux paffages, dont il y a quelque tems, on ornoit les harangues & les plaidoyers. Cherchons-y le vrai fens de l'écriture, les preuves folides des dogmes, les regles sûres de la difcipline & des mœurs. Cherchons-y la méthode de convertir les infidéles & de combattre les hérétiques; l'art de conduire les ames, les voies intérieures, la vraie piété. Et tout cela non pour en difcourir, mais pour le réduire en pratique.

Etudions fur-tout leur prudence & leur difcrétion : pour nous accommoder à l'état préfent des chofes, & ne pas rendre odieufes leurs faintes maximes, en les pouffant trop loin, ou les appliquant mal-à-propos. Evitons l'impatience & l'empreffement. Pour bien rétablir l'antiquité, il faudroit la ramener toute entiére; une partie fans l'autre n'aura point de proportion avec le refte, & fera déplacée. Attachons-nous d'abord au plus effentiel; à nous réformer nous-mêmes, par une grande application à la priere, au réglement de notre intérieur & de nos moeurs. Enfuite faifons part aux autres des vérités que Dieu nous aura fait connoître, fans contention, fans aigreur, fans reproches. Pratiquons les premiers ce que nous croyons le meilleur, & qui dépend de nous. Revenons à la priere, & attendons avec patience qu'il plaife à Dieu d'avancer fon œuvre. Ce font les meilleurs moyens de rendre utile la connoiffance de l'Hiftoire Eccléfiaftique.

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