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quittées, & préféroieur des métiers fimples & fédentaires, pour vivre au jour la journée. Quelquefois auffi ils recevoient des aumônes, pour fuppléer à leur travail : mais je ne vois point qu'ils en demandaflent. Ils étoient fidéles à deux obfervances, comme effentielles, la ftabilité & le travail des mains. Chaque moine demeuroit attaché à fa communauté, & chaque anachorete à la cellule, s'il n'y avoit des raifons fort puiffantes d'en fortir, parce que rien n'eft plus contraire à l'oraifon parfaite & à la pureté de cœur qu'ils fe propofoient, que la légéreté & la curiofité. Ils Caf. coll. 24. bift. avoient un tel foin d'écarter la multitude des penfées, & de rendre leur ame tranquille & folide, qu'ils évitoient les beaux païfages & les demeures agréables, & paffoient la plupart du tems enfermez dans leurs cellules. Ils eftimoient le travail néceffaire, non-feulement pour n'être à charge à perfonne, mais encore pour conferver l'humilité, & pour évi ter l'ennui.

XX. 11. 6,

S. Bafil.reg. fuf.

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Les communautez étoient nombreuses, & l'on tenoit pour maxime de ne les point multiplier en un même lieu, par la difficulté de trouver des fupérieurs, & pour éviter la jaloufie & les divifions. Chacune étoit gouvernée par fon abbé; & quelquefois il y avoit un fupérieur général, qui avoit l'intendance fur plufieurs monafteres, fous le nom d'exarque, d'ar chimandrite, ou quelque autre femblable: mais ils étoient tous fous la ju rifdiction des évêques, & on ne parloit point encore d'exemptions. Les moines ne faifoient point un corps à part, diftingué, non-feulement des féculiers, mais du clergé, fans paffage de l'un à l'autre. Il étoit ordinaire de prendre les plus faints d'entre les moines, pour en faire des prêtres & des clercs; c'étoit un fonds où les évêques étoient affurez de trouver d'excellens fujers; & les abbez préféroient volontiers l'utilité générale Hift. liv.x1x. n. de l'églife, à l'avantage particulier de leur communauté. Tels étoient les moines, tant louez par faint Chryfoftome, par faint Auguftin, & par tous les peres; & leur inftitut a continué plufieurs fiécles dans fa pureté, comme on verra dans la fuite. C'eft principalement chez eux que fe conferva la pratique de la plus fublime piété, que j'ai montrée dans les au teurs les plus anciens après les apôtres : dans le livre du Pafteur, dans faint Clément d'Alexandrie, particuliérement lorsqu'il décrit le véritable contemplatif, qu'il nomme Gnoftique. Cette piété intérieure plus commune d'abord entre les Chrétiens, fe renferma enfuite presque toute dans les monafteres.

8. 12. 17.

Hift. liv. 11. n. 44. liv. IV. n. 41.

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Un autre genre de Chrétiens encore plus parfaits, étoient les évêques les prêtres & le refte du clergé, qui à l'exemple des apôtres, pratiquoient la vie intérieure, expofez au milieu du monde, fans être foutenus comme les moines par la retraite, le filence & l'éloignement des occafions. Auffi étoient-ils bien perfuadez, qu'il n'y avoit aucun avantage pour eux dans ces fonctions publiques. Nous fommes Chrétiens pour nous-mêmes, difoit faint Auguftin, & évêques pour vous. Ils fçavoient, que tout pafteur comme pafteur, ne regarde que le bien du troupeau, & non pas le fien: autrement il devient mercenaire, ou voleur. En général tour gouvernement a pour but le bien de celui qui eft gouverné, & non pas de

telui qui gouverne: le médecin fe propofe, non de fe guérir, mais de guérir le malade: le docteur veut inftruire, & non pas apprendre. S'ils demandent une récompenfe, elle eft étrangere à leur art, & celui qui la prend, ne la prend ni comme pafteur, ni comme médecin, ni comme docreur, mais comme mercenaire.

Les faints avoient renoncé à tout intérêt temporel, en fe faifant Chrétiens : ils n'étoient ni avares, ni ambitieux, & ne voyoient aucun avantage pour eux à gouverner les autres. Au contraire, ils y voyoient de grands périls : la vanité de la premiere place, le plaifir de commander & de faire fa volonté, les louanges & les applaudiffemens. D'un autre côté la réfiftance & la haine de ceux que l'on veut corriger, ou à qui l'on refufe ce qu'ils demandent injustement: la peine de dire des chofes facheufes, de menacer, de punir: enfin dans ces premiers tems la perfécution & le martyre: car les évêques & les prêtres y étoient les plus expofez. Il n'y avoit donc que le motif d'une ardente charité, ou la foumiffion à l'ordre de Dieu, quipût les engager à préferer la peine de fervir les autres, à la commodité d'en être fervis. L'humilité les empêchoit de s'en croire capables: il falloit que la volonté de Dieu leur fût fignifiée bien clairement. C'eft pourquoi ils ne feignoient point de fuir & de fe cacher tant qu'ils pouvoient: perfuadez que fi Dieu vouloit qu'ils gouvernassent, il fçauroit bien les forcer, malgré toute leur réfiftance. Platon avoit dit, que dans une république de gens de bien, il y avoit autant d'empreffement à s'éloigner des charges, qu'il y en a communément à s'en approcher. Vous avez vû cette idée souvent réduite en pratique dans l'histoire de l'églife.

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y

1.Rep.

V. Hift. liv.x11,

Auffi pour avoir de tels évêques, prenoit-on toutes les précautions poffibles. C'étoit d'ordinaire aux vieillards les plus éprouvez, comme dit Apolog. c. 39. Tertullien, que l'on confioit le gouvernement. On prenoit un ancien prêtre, ou un ancien diacre de la même églife, qui y eût reçu le baptême, & n'en fût point forti depuis: en forte que fa vie & fa capacité fuffent connues de tout le monde. Il connoiffoit de fon côté le troupeau 1. qu'il devoit gouverner: ayant fervi fous plufieurs évêques de fuite, qui . 15. l'avoient promû par dégrez, aux différens ordres, de lecteur, d'acolyte, de diacre: il avoit appris fous eux & la doctrine qu'il devoit enfeigner & les canons felon lefquels il devoit gouverner; en forte qu'il n'y avoit rien à apprendre de nouveau. Il ne faifoit que monter à la premiére place, & continuer ce qu'il avoit fait & vû faire toute fa vie. On ne croyoit pas que le peuple ou le clergé d'une églife pût prendre confiance en un inconnu, ni qu'un étranger pût bien gouverner un troupeau qu'il ne connoifloit pas.

Par la même raison le choix fe faifoit par les évêques les plus voifins, de l'avis du clergé & du peuple de l'églife vacante, c'eft-à-dire, par tous ceux qui pouvoient mieux connoître le befoin de cette églife. Le métropolitain s'y rendoit avec tous fes comprovinciaux. On confultoit le clergé, non de la cathédrale feulement, mais de tout le diocéfe. On confultoit les moines, les magiftrats, le peuple: mais les évêques décidoient

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Hift. liv.xx.n.25. Epiph. har 80. 1. 4. c.

& leur choix s'appelloit le jugement de Dieu, comme parle S. Cyprien,
Aufli-tôt on facroit le nouvel évêque, & on le mettoit en fonction:
mais on avoit tellement égard au confentement du peuple, que s'il re-
fufoit de recevoir un évêque après qu'il étoit ordonné, on ne l'y con
traignoit pas, & on lui e donnoit un autre qui lui fût agréable. La
puillance temporelle ne prenoit point de part aux élections, fi ce n'eft
depuis la converfion des empereurs, pour les évêques des plus grands
fiéges, & des lieux où le prince réfidoit. Auffi ces grands fiéges, comme
Antioche & Conftantinople, furent-ils dès-lors les plus expofez à l'am-
bition. Voilà la promotion des Evêques, telle que vous l'avez vûe pen-
dant les fix premiers fiécles, & vous la verrez encore à peu-près fembla
ble dans les quatre fuivans. Jugez par les effets fi elle étoit bonne, &
confidérez le grand nombre de faints évêques que cette histoire vous
préfente en tous les
en tous les pays du monde.
to

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Ces évêques ainfi choifis vivoient pauvrement, ou du moins frugalement : quelques-uns travailloient de leurs mains: plufieurs étant tirez de la vie monaftique, en confervoient les pratiques. Le titre de ferviteur des ferviteurs de Dieu, & les autres femblables n'ont paffé en formule, que parce qu'ils ont été pris d'abord très-férieufement. Je ne fache aur cun prince temporel, ni aucun magiftrat qui ait pris de tels titres. Les premiers qui les ont employez, avoient fans doute en vûe ces paroles de Matth. xx. 27.28. l'évangile : Que celui qui voudra être le premier entre vous, foit le fervi

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teur des autres comme le Fils de l'Homme eft venu pour fervir & non pour être fervi. Ils ne croyoient donc pas que le clergé & les évêques mêmes duffent être diftinguez du peuple par leurs commoditez tempo, relles, mais par leur, application à l'inftruire, le corriger, le foulager dans tous fes befoins fpirituels & temporels. Il ne s'agit pas, difoit Pla de faire dans notre république une certaine efpece de gens heureux, mais de faire la république toute entiére la plus heureuse qu'il eft poffible, aux dépens même de quelques particuliers. A plus forte raison dans une république fpirituelle comme l'églife, il eft jufte que ceux qui gouvernent & qui fervent le public, oublient leurs intérêts temporels pour procurer le falut des autres, par leurs travaux & leurs fouffrances.

ton,

Mais dira-t-on, S. Paul n'a-t-il pas dit que les prêtres qui gouvernent bien, font dignes d'un double honneur: & ne convient-on pas que cet honneur eft la rétribution temporelle ? Il eft vrai: mais il a dit auffi: Ayant le vivre & le vêtement, foyons-en contens. Les faints évêques des premiers fiécles ne refufoient pas fans doute aux bons ouvriers les commoditez néceffaires, mais ils favoient que la nature fe flatte toûjours, & ne garde pas aifément la médiocrité. Ils craignoient de mettre les évêques tellement à leur aife, qu'ils ne futfent plus évêques. Un laboureur eft trèsutile dans l'état, & fa profeffion mériteroit d'être en honneur. Sous ce prétexte, donnez-lui, difoit Platon, une charue d'yvoire, un habit de pourpre, de la vaiffelle d'or, une table abondante & délicate; il ne voudra plus s'expofer au foleil & à la pluye, marcher dans la boue, piquer des boeufs; en un mot, il ne voudra plus labourer, finon quel

quefois

quefois en beau
en beau tems pour fe divertir. Il en fera de même d'un berger,
fi vous l'habillez comme dans les paftorales de théatre. En quelque pro-
feffion que ce foit, l'artifan trop riche & trop à fon aife ne veut plus
faire fon métier : il s'abandonne au plaifir & à la pareffe & ruine fon
art, par les moyens qui lui avoient été donnez pour l'exercer plus com-

modément.

Les évêques que vous avez vûs dans cette hiftoire ne prenoient pas le change, & ne préféroient pas l'acceffoire au principal. Entiérement occupez de leurs fonctions, ils ne fongeoient pas comment ils étoient vêtus ou logez. Ils ne donnoient pas même grande application au temporel de leur Eglife: ils en laiffoient le foin à des diacres & des économes; mais ils ne fe déchargeoient fur perfonne du fpirituel. Leur occupation étoit la priere, l'inftruction, la correction. Ils entroient dans tout le détail poffible, & c'eft par cette raifon que les dioceses étoient fi petits, afin qu'un feul homme y pût fuffire & connoître par lui-même tout fon troupeau. Pour faire tout par autrui & de loin, il n'auroit fallu qu'un évêque dans toute l'églife. Il eft vrai qu'ils avoient des prêtres pour les foulager, même dans le fpirituel, pour préfider aux prieres & célébrer le faint facrifice, en cas d'abfence ou de maladie de l'évêque ; pour baptifer ou donner la pénitence, en cas de néceflité. Quelquefois même l'évêque leur confioit le miniftere de la parole: car régulièrement il n'y avoir que l'évêque qui prêchoit. Les prètres étoient fon confeil & le fénat de l'églife, élevez à ce rang pour leur science eccléfiaftique, leur fageffe, leur expérience.

y

V. Gouvernement de l'Eglifes

Tout le faifoit dans l'église par confeil, parce qu'on ne cherchoit qu'à faire régner la raison, la regle, la volonté de Dieu. Les évêques avoient toûjours devant les yeux le précepte de S. Pierre & de Jesus-Christ même, de ne pas imiter la domination des rois de la terre, qui tend toûjours au defpotique. N'étant point préfomptueux, ils ne croyoient pas connoître '' feuls la vérité; ils fe défioient de leurs lumiéres, & n'étoient pas jaloux de celles des autres. Ils cédoient volontiers à celui qui donnoit un meilleur avis. Les affemblées ont cet avantage qu'il y a d'ordinaire quelqu'un qui montre le bon parti, & y ramene les autres; on fe refpecte mutuellement, & on a honte de paroître injufte en public: ceux dont la vertu eft plus foible, font foutenus par les autres. Il n'eft pas aifé de corrompre toute une compagnie; mais il eft facile de gagner un feul homme, ou celui qui le gouverne, & s'il fe détermine feul, il fuit la pente de fes paffions, qui n'a point de contrepoids. D'ailleurs les réfolutions communes font toûjours mieux exécutées : chacun croit en être l'auteur & ne faire que fa volonté. Il eft vrai qu'il eft bien plus court de commander & de contraindre, & que pour perfuader il faut de l'induftrie & de la patience: mais les hommes fages, humbles & charitables vont toûjours au plus fûr & au plus doux, & ne plaignent point leur peine, pour le bien de la chofe dont il s'agit. Its n'en viennent à la force qu'à la derniére extrémité.

Ce font les raifons que j'ai pû comprendre du gouvernement eccléfiaftique. En chaque église l'évêque ne faifoit rien d'important fans le confeil Tome VIII,

с

12. 5o. Pont. Rom. Hift. v.

Hift.liv.v1.n.42. des prêtres, des diacres & des principaux de fon clergé. Souvent même il confultoit tout le peuple, quand il avoit intérêt à l'affaire, comme aux ordinations. Vous en avez vû des exemples dans S. Cyprien, & la formule de l'ordination le marque encore. Vous avez vû avec quelle fimplicité & quelle confiance paternelle S. Auguftin rendoit compte à fon peuple de fa conduite & de celle de fon clergé.

11. 40.

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Pour les affaires plus générales, les évêques de la province s'affembloient, & tenoient des conciles. C'étoit le tribunal ordinaire, où réguliérement toutes les affaires devoient être terminées : c'eft pourquoi il fe tenoit deux fois l'an. Les évêques des grands fiéges & les papes mêmes en afoient ainfi ; & quoique les anciennes décrétales ne portent que leur nom, c'étoient des résultats de leurs conciles. Ces fréquentes affemblées faifoient deux grands biens: elles confervoient l'union & l'amitié entre les évêques, & l'uniformité de la difcipline. Les évêques agiffoient entre eux en freres avec peu de cérémonies & beaucoup de charité. Et fi vous voyez qu'ils fe donnoient le titre de très-faints, très-vénérables, ou d'autres femblables, attribuez-les à l'ufage qui s'étoit introduit dans la chûre de l'empire Romain, de donner à toutes fortes de perfonnes, des titres proportionnez à leur condition. Mais ces formules de paroles, n'empêchent pas de reconnoître dans leurs lettres, une fincérité & une cordialité charmante, pour peu qu'on ait de goût pour la fentir. Ce que j'ai rapporté des lettres de faint Cyprien, de faint Bafile, de faint Auguftin, a bien pû vous en convaincre. Ce commerce de lettres fupléoit au défaut des conciles, dans les interV. Hift. liv. IV. valles, ou à l'égard des évêques d'une autre province. Les intervalles étoient quelquefois longs du tems des perfécutions; parce que les évêques & les prêtres, comme les plus recherchez, étoient obligez à fe difperfer & fe cacher. Et cette interruption des conciles, étoit un des effets de la perfécution, le plus fenfible aux évêques; parce qu'ils étoient perfuadez, Euf. vit. Conft, que la difcipline ne pouvoit fe maintenir fans conciles. Voyez les plaintes d'Eufebe fur la perfécution de Licinius.

#. 44.45.

Hift. liv. x. n. 21:

6. 25.

VI.

AR. VI. 2,

Revenons au gouvernement d'une églife particuliere. Au-deffous de Clercs inférieurs. l'évêque & des prêtres, il y avoit un grand nombre d'officiers effectifs, occupez des fonctions de leurs ordres: diacres, acolytes, lecteurs & portiers. Il femble que du commencement, les diacres étoient jugez du moins auffi néceffaires que les prêtres. Quand les apôtres établirent les fept premiers diacres à Jerufalem, il ne paroît point qu'ils euffent or donné des prêtres au contraire, ils fe rélerverent à eux feuls les fonctions depuis communiquées aux prêtres : la priere & le miniftere de la parole. Saint Paul donnant fes ordres à Tite & à Timothée, pour le réglement des nouvelles églifes, ne parle que d'évêques & de diacres. En effet, avant que les églifes fuffent nombreuses, un homme d'un grand zele & d'un grand travail, pouvoit fuffire pour le fpirituel : mais il avoit befoin d'être foulagé dans les œuvres extérieures, pour recevoir les aumônes des fidelles, & les diftribuer aux pauvres, pour maintenir l'ordre & la bienséance des affemblées, pour faire divers meffages. Dans la fuite les diacres mêmes curent befoin d'être foulagez, & de-là vinrent les ordres

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