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voie pour nous rendre femblables à Jefus-Chrift; & au contraire la jouïffance des plaifirs eft ce qui nous rend diffemblables, & qui nous éloigne de lui.

Pour juger fainement de l'avenir, fervons-nous des jugemens que nous portons du paffé puifqu'infailliblement cet avenir coulera dans le paffé. Or qui eft l'homme qui ne voudroit à l'égard de fa vie paffée, avoir mis à profit pour fon falut & pour l'éternité toutes les occafions qu'il a euës de fe priver des satisfaЄtions humaines, & avoir ainfi amaffé un tréfor certain pour l'autre vie, au-lieu d'avoir laiffé perdre des occafions fi precieufes de s'enrichir, & de travailler à fon bonheur éternel, en jouïffant des fatisfactions dont il ne refte qu'un fouvenir frivole, inutile, & même très-fouvent dangereux ? Pourquoi ne jugeonsnous donc pas ainfi du prefent & du futur ; & pourquoi n'en faifons-nous pas l'ufage que nous voudrons indubitablement en avoir fait quelque jour ?

Qui écoute fa fenfualité, écoute une importune & une infatiable, qui ne fera jamais fatisfaite; plus on lui accorde de chofes, plus elle en demande, & elle les demande même plus imperieusement, à mefure qu'on lui eft plus indulgent. Mais fi on lui refufe ce qu'elle demande, elle fe laffe de demander, & elle laiffe l'ame en repos, même dès cette

vie.

Le bien que l'on cherche dans la jouïffance des plaifirs du corps, n'eft pas feu

lement méprifable, mais il eft abfolu ment faux; on n'y trouve nullement ce qu'on s'y étoit promis. Le mal au contraire qu'on fe reprefente dans la privation des plaisirs, eft infiniment moindre, qu'on ne fe l'étoit figuré ; il s'adoucit tous les jours, & le bien que renferme cette privation augmente même dès cette vie, par la liberté que l'ame en reffent.

Une ame qui fe mortifie, trouve à gagner par-tout, & à s'enrichir par-tout, parce qu'elle trouve par-tout à pratiquer la mortification; c'eft une moiffon toujours prête. On n'a pas toujours l'occafion ni le moien de faire l'aumône, ni de vifiter des prifonniers, ni de confoler des affligez; mais il y a par-tout à fouffrir, à refilter à fes paffions, à contraindre la nature & à retenir fes fens : une ame fenfuelle au-contraire, fait des pertes partout, &fe bleffe par-tout, parce que fa fenfualité trouve par-tout à fe fatisfaire par mille recherches fecrettes qui fe mê lent dans fes actions.

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Si ceux qui ne fe mortifient point s'exemptent de quelques maux volontaires, ils deviennent auffi plus tendres & plus fenfibles aux maux neceffaires; & ainfi à l'égard même des plaifirs de cette vie, ils perdent bien autant qu'ils y gagnent: au contraire, files perfonnes qui fe mortifient, fouffrent plus de maux volontaires, ils deviennent auffi moins fenfibles aux maux neceffaires, & ainfi ils y gagnent bien autant qu'ils y perdent; de

forte qu'en ne perdant rien pour cette vie, ils ont en pur gain, pour ainfi dire, les recompenfes de l'autre. Mais une ame vraîment chrétienne, n'a pas besoin de ces confiderations, qui peuvent paroître intereffées. Il lui fuffit, pour prendre le parti de la mortification & de la privation du plaifir dans les rencontres qui fe prefentent, de reconnoître qu'elle eft coupable de plufieurs pechez, & qu'en cette qualité elle eft indigne de la jouïffance des creatures: qu'étant beaucoup redevable à la Justice de Dieu, elle doit eftimer que c'est un très-grand bonheur pour elle qu'il veuille bien fe fatisfaire de fi peu de chofe. Il lui fuffit de penfer que Dieu l'aiant appellée à être membre de l'homme de douleurs, dont toute la vie n'a été qu'une privation continuelle de toute fatisfaction humaine, il eft bien jufte qu'elle le fuive dans cette voie qu'il lui a marquée, & dont il lui a donné l'exemple Quid pour l'y engager. Enfin, il lui fuffit de retribuam penfer qu'aiant tout reçu de Dieu, & aiant Domino tant de fujet de lui dire avec David: Que nibus quæ rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il retribuit m'a faits? elle ne peut moins faire pour mihi? Ca- lui témoigner fa reconnoiffance, que lutaris ac- d'ajoûter avec le même David: Je prencipiam, & drai le calice du Salut; c'est-à-dire , je nomen participerai au calice des fouffrances Domini de Jefus-Chrift, par lefquelles j'ai été

pro om

licem fa

invocabo.

Pf. 115. fauvé.

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§. II.

Remedes contre la feconde espece de concupifcence, qui eft la curiofité, ou l'amour de la fcience.

D. Quelle eft la feconde pente generale de la concupifcence?

R. C'eft celle qui porte à rechercher la connoiffance des chofes ou dangereufes ou inutiles, pour le feul plaifir de les connoître, & fans que Dieu foit la fin de cette recherche.

D. Pourquoi eft-il vicieux de defirer de favoir pour favoir?

R. Parce que Dieu doit occuper toute l'ame de l'homme chrétien; c'est-à-dire, tout fon entendement & toute la volonté, étant feul capable de les remplir. L'ame doit toûjours tendre à cette plenitude, qui eft la fin de fa nature: or elle n'y tend pas, lorfqu'elle s'en écarte pour connoître quelque chofe fans rapport à Dieu.

D. D'où vient donc la curiofité, ou l'amour de la fcience, qui femble fi naturelle à l'homme?

R. Elle vient de ce que l'ame étant vuide de Dieu, fent bien en general qu'il lui manque quelque chofe, mais ne fent pas que c'eft Dieu qui lui manque; ainfi elle cherche fans difcernement à remplir ce vuide: & comme elle fent une extrême avidité de connoître, elle tâche à la fatisfaire par la connoiffance des creatures, au lieu de tâcher de fe remplir de la Decalogue. R

connoiffance & de l'amour de Dieu. Mais les autres paffions contribuent & fervent beaucoup à augmenter cette curiofité & cette pente à connoître les creatures pour elles-mêmes, & par rapport à elles-mêmes, parce que les paffions trouvent leur nourriture dans cette connoiffance. On eft bien-aife, par exemple, de favoir les maux du prochain, par malignité & par envie; il y a mille chofes dont on ne recherche la connoiffance que par vanité ou par interêt, pour fe fignaler & pour en parler; il ya des connoiffances qui entretiennent nos defirs & nos efperances; enfin, chaque paffion excite une certaine curiofité pour fon objet.

D. Quels maux peut caufer par ellemême la curiofité ou l'amour de la fcience?

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R. 1. Elle diffipe l'ame & la vuide de Dieu de plus en plus; car il eft certain que ceux qui s'abandonnent à la curiofité, & qui dans leurs recherches n'ont pour but & pour fin que l'amour de la fcience ne fauroient trouver Dieu par cette voie, ni se tenir attachez à lui par cette étude; en forte que ce mélange confus d'idées dont la curiofité les remplit, bien loin de fatisfaire leur ame, & de la remplir pleinement, lui caufe au contraire une inquietude qui la fait fortir hors d'elle-même, pour chercher à fe fatisfaire par la connoiffan ce des creatures, & ainfi elle entretient & elle augmente l'oubli de fes propres

maux.

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