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» jeune homme, c'est qu'en lui la nature fur» paffe l'art, & que dans un âge encore ten» dre, il eft pour ainfi dire porté fur un char au » milieu des louanges. Attaché dès l'enfance à la lecture de Cicéron il compofoit alors des » Commentaires fur la Langue Latine ; & par » l'admiration qu'ils m'ont caufée, je délibé»rois en moi-même d'abandonner mes re»cueils ». Or je demande fi Séb. Gryphe, vivant avec Dolet, auroit chargé Suffanæus de la correction des Ouvrages de Cicéroń, pendant qu'il avoit à fa table un ami très-versé dans la lecture de cet Auteur, de l'aveu même de Suffanæus? Il n'eft donc pas vrai que Dolet ait été Correcteur de l'Imprimerie de Gryphe ; & il est encore plus faux qu'il fe foit acquitté négligemment d'un emploi honorable, dont il fut remplir avec gloire toutes les obligations, quand il fe fut fait Imprimeur lui-même car c'eft la louange que Naudé femble lui donner, en le mettant au-deffus de Joffe Bade, dans fon Mafcurat (41). Il corrigea, j'en conviens, en 1538, chez Gryphe, les Œuvres de Clément Marot: mais ce fut un fervice qu'il devoit rendre à ce Poëte fameux,

(41) Seconde Edition, page 8.

qui l'en prioit par toute l'amitié dont ils étoient unis; & il a été autant Éditeur que Correcteur de cette édition eftimable. La malignité & la jaloufie de quelques Littérarateurs, répandent fouvent de fauffes anecdotes fur la vie des Gens de Lettres, & il devient néceffaire de les réfuter; car les Biographes trompés, par la qualité ou l'importance des perfonnes qui les débitent, les répétant à leur tour, leur donnent autant de poids qu'elles en méritent peu. On remarquera peutêtre combien je me suis tenu fur la défensive à cet égard; mais puis-je espérer d'avoir anéanti les préjugés que l'on a toujours eus contre un homme dont les moindres actions ont été empoisonnées par la haine & le fanatifine de fes Contemporains?

Sans protefter contre les bonnes intentions qui déterminerent Dolet à fe faire Imprimeur, on peut croire néanmoins que des raisons preffantes le porterent à adopter un état fixe, plus lucratif que celui d'Homme de Lettres. Ne nous abusons point: il n'avoit pas eu de bien de fes peres; & par fon filence à cet égard, on diroit prefque qu'il en avoit été délaiffé à un certain âge. Il fit fes études aux dépens de quelques Protecteurs. Jean du

Bellai-Langei n'ayant plus befoin de fes fervices, lui fit naître l'envie d'étudier la Jurifprudence. Il le foutint à Toulouse par d'amples fecours pécuniaires (42); mais ces fecours durerent-ils après qu'il eut quitté cette étude? Si nous ajoutons à cela qu'il prit femme vers 1538, on fera convaincu qu'il devoit fonger alors plus que jamais, à fe munir contre des besoins qui pouvoient s'accroître. Je présume donc qu'il ne lui fallut pas réfléchir beaucoup pour embraffer un état honorable qui, en lui apportant de quoi vivre, lui laiffoit encore la liberté de fe livrer à fon goût pour la littérature.

On le blâma de fon mariage, parce qu'il pouvoit détruire ou reculer des efpérances de fortune que fes talens auroient réalifées. Mais il lui auroit été bien facile de fe consoler, dans les bras d'une époufe vertueufe, de ces fpécu lations idéales, s'il avoit voulu vivre tranquillement au milieu de fa famille, & fans fe mêler des trop funeftes difputes de Religion, qui ont troublé fon fiecle, & caufé le malheur d'une foule de Savans fes contemporains.

(42) La preuve en eft dans les Lettres & les Poéfies qui fuivent les Orationes in Tholofam, p. 136 à 139. & 204.

Il devint pere d'un fils que l'on nomma CLAUDE, du nom de fon parrain Claude Cottereau ; & cet événement fit faire de la morale à Dolet, qui jufqu'alors n'avoit compofé que des Harangues fans complimens, des Vers des Lettres, des Commentaires, &c. Nous rendrons compte dans la lifte des Ouvrages de Dolet, N°. VIII, de celui qu'il compofa à cette occasion: mais il est effentiel d'en extraire ici certains paffages, qui feront connoître que toutes les erreurs qu'on lui a imputées n'avoient aucun fondement, du moins jufqu'à cette époque ; & ils nous aideront à prouver qu'il a confervé les mêmes sentimens jufqu'à fa mort. Au refte, nous les abrégerons plus que ne l'a fait Maittaire, qui les a foigneusement recueillis dans fes Annales tome 3, p. 104 & fuivantes.

Vive Deo fidens: ftabilis fiducia divûm

Triftitiâ vitæ immunem te reddet ab omni.
Relligionis amor vera fert commoda tanta.

Præcepta, puer, ne neglige noftra: Et patris in morem pofthac ridebis alacris, Quotquot fermones de te fpargentur iniqui.

Invidiam folâ fupera virtute: crepabunt
Hoftes difrupti, tantis fi viribus obftes.

De reliquo cùm mors pallens, ætate peracta
Inftabit, non agro animo communia perfer
Fata: nihil damni nobis mors invehit atrox,
Sed mala cuncta aufert miferis, & Sydera pandit.
Tu ne crede animos unà cum corpore lucis
Privari ufurâ. In nobis cæleftis origo

Eft quædam, poft caffa manens, poft caffa fuperftes
Corpora, & æterno fe commotura vigore.

Sunt nobis reditus ad Regna paterna,

Regna Dei: genus undè animi duxêre perennes.

« Dans ces préceptes, dit Maittaire, non» feulement rien ne favorife, mais tout com» bat l'opinion que Calvin lui a attribuée fur » l'immortalité de l'ame (43): il ne fe trouve » point ici de blafphêmes. Cependant je ne puis » diffimuler que dans tout le Poëme latin, il » n'eft fait aucune mention de Jésus-Chrift & » de ses mérites, ce que l'Interprête n'a point

(43) In libro De fcandalo. Geneva, in officina Jo. Crifpini, 1551, in-8°. page 78, où l'on trouve : « Agrip» pam, Villanovanum (id eft Servetum), DOLETUM & >> fimiles vulgò notum eft tanquam Cyclopas quofpiam » Evangelium femper faftuofe fpreviffe. Tandem eò pro» lapfi amentiæ & furoris, ut non modò in Filium Dei » execrabiles blafphemias evomerent, fed quantùm ad >> animæ vitam attinet, nihil à canibus & porcis putarunt >> fe differre.

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