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Novembre 1544, la Faculté de Théologie de Paris étant affemblée (55), on lut devant elle une Propofition françoise tirée, dit d'Argentré, d'un certain Ouvrage de Platon que Dolet avoit traduit de Latin en François, & qui eft telle: Après la mort, tu ne feras plus rien du tout. Elle fut jugée hérétique & conforme à l'opinion des Saducéens & des Épicuriens (56). C'est pourquoi on donna à des Députés la commiffion de cenfurer ce livre.

Voici le résultat de leur cenfure: « Quant » à ce Dialogue mis en François, intitulé » Acochius (Axiochus), ce lieu & paffage,

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C'eft à fçavoir, attendu que tu ne feras plus rien » du tout, eft mal traduit & contre l'intention » de Platon, auquel n'y a en Grec ni en Latin » ces mots, RIEN DU TOUT ».

On n'en vouloit pas apparemment trouver davantage pour convaincre cette fois (car je ne crois pas que cela eût été poffible auparavant) d'Atheisme, un homme contre qui on avoit un Arrêt qui lui défendoit,

(55) Collectio Judicior. tom. 1. pag. 14. colonne z. de l'Index qui eft à la fin ; & tom. 2. part. 1. p. 140. col. 2. (56) Voilà de plaifans Hérétiques.

fur peine d'être puni comme Hérétique & fauteur d'iceux, d'imprimer aucun Livre suspect des nouvelles opinions. La corde & le bûcher étoient fans doute une punition dévolue aux Athées comme aux Hérétiques, car on procéda fur le champ à la faire fubir à Dolet. Ne trouvant plus d'ami qui voulût intercéder pour lui, il fut condamné à être pendu & brûlé, atteint & convaincu, tant bien que mal, d'être Athée relaps (57). La Sentence fut exécutée à la lettre le 3 Août 1546, jour de l'Invention de S. Étienne fon Patron; & il fut pendu & brûlé au milieu de la place Maubert, étant âgé d'environ 37 ans. Quand il fut fur l'échafaud, il prononça, dit-on, cette priere: Mi Deus, quem toties offendi,

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propitius efto; teque Virginem Matrem » precor, divumque Stephanum, ut apud » Dominum pro me peccatore intercedatis ». Il avertit les Affiftans de lire fes Livres avec beaucoup de circonfpection, & protesta plus de trois fois qu'ils contenoient bien des chofes qu'il n'avoit jamais entendues.

(57) Ceci eft un problême qui mérite la peine d'être difcuté. Nous tâcherons plus bas de faire voir combien ce Jugement a été fauffement prononcé & injuftement répété par des Auteurs de confidération.

Ꭰ Ꮞ

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Que ce Jugement fut cruel! S'il protesta fur le point de mourir & devant le bûcher qui le réduifit en cendres, n'avoir pas compris tout ce qu'il avoit dit dans fes Ouvrages, il n'en dut pas avouer davantage à fes Juges. Or je demande fi c'est un crime punissable par la corde & le feu? Sans doute il falloit l'empêcher de fe livrer à la fatale manie d'écrire fur des matieres qui excédoient la portée de fon intelligence; mais devoit-on employer. un moyen auffi violent? Sa folie méritoit plutôt la compaffion de fes Juges que leur févérité il auroit fuffi de le priver de fa liberté , pour arrêter le mal qu'il pouvoit caufer. Et s'il falloit brûler en ce fiecle tous les Auteurs qui veulent écrire fur des matieres délicates qu'ils n'entendent pas, le Parnaffe verroit périr à fes pieds fes Habitans les plus illuftres. Remarquons encore combien peu il étoit équitable de faire ufage, pour convaincre Dolet d'Athéifme, de la Traduction qu'il avoit faite, pour se diftraire dans des temps de trouble & de malheur, d'un petit Ouvrage d'un Auteur payen. Trois mots fuffifent donc pour faire condamner comme Athée, un homme qui dans fes autres Écrits avoit foudroyé l'Athéifme, en en démontrant

P'horreur? Qu'auroit-on ajouté à fon fupplice, fi l'on avoit attendu la Traduction entiere des Ouvrages de Platon, qu'il avoit promise à François Ier en lui envoyant celle de l'Axiochus ? En effet, fi dans ce petit Ouvrage l'on n'a apperçu qu'une opinion erronée, dans celui qu'il promettoit on en auroit trouvé fans doute plufieurs autres, & leur importance juftifieroit la rigueur d'un fupplice plus mérité. Tout femble prouver néanmoins que les trois mots qui fervirent à le condamner, échapperent innocemment à fa plume; car en confidérant de fang-froid le paffage, on conviendra que Platon n'apprenoit rien de nouveau en difant, Après la mort, tu ne feras plus ; & l'on fait bien que lorfqu'on eft mort on ceffe d'exifter. Ce fut donc pour donner un fens plus parfait à cette phrase que Dolet y ajouta ces mots RIEN DU TOUT, dont on lui fit un crime : & l'on a peut-être eu tort de dire qu'il avoit prêté à Platon une intention qu'il n'avoit pas eue; car ce Philofophe a été auffi accufé d'Athéisme par deux illuftres Modernes, Bayle & Gundlinge. Ce n'eft pas que l'on doive croire ces Savans fur leur parole. Par la même raifon, je me crois permis de révoquer en doute l'équité d'un

Jugement rendu par un Tribunal célébre, contre un homme que la haine & l'envie poursuivoient fans relâche ; & fi Platon a été lavé de l'accufation d'Athéisme (58), pourquoi en laifferois-je fubfifter une femblable contre Dolet, quand le temps qui s'est écoulé depuis fon fupplice, la raifon & des recherches exactes me fourniffent des armes victorieufes pour la détruire? Il ne fuffit pas d'imputer à un homme que l'on veut perdre, des fentimens auffi dangereux; il faut prouver cette accufation d'une maniere incontestable: & comment y parvenir légitimement, quand l'Accufé confeffe en différens endroits de fes Ouvrages qu'il reconnoît un DIEU (59); lorfqu'il n'en parle que dans des termes pieux & remplis de refpect; lorfqu'il proteste que fa vie a été & fera vraiment chrétienne, & non fouillée de l'opinion qu'on lui, prête fur la

(58) Voyez la Differtation de Jacques Zimmermann De Atheisma Platonis, dans le tome Ix des Amanitates Litteraria de Schelhorn, page 827.

(59) Voy. le Liber de Imitatione Ciceroniana adverfus Sabinum, le Genethliacum Cl. Deleti; finon, Maittaire, ut fuprà, p. 91. col. 1. 101. 105. 106 note (m). 187. 110. note (a), où il eft parlé de l'Athéifme de Dolet, qui felon lui n'a pas été affez prouvé.

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