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ignorés, tranquilles & à couvert de la perfécution des faux dévots & des défenfeurs trop zélés de la Religion Catholique. Il est certain néanmoins que cet enfant, destiné à paroître avec éclat dans le monde littéraire, fut perdu pour lui, ou qu'il déroba tellement fon nom à la curiofité du vulgaire, que personne n'a plus parlé de fon existence ni même de fa mort.

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Après avoir défendu Dolet fur deux points auffi importans que l'Athéisme & le Luthéranisme, plaignons-le de s'être attiré la haine des Théologiens, par fon caractere orgueilleux, vindicatif & mordant; car c'est à cette feule caufe que j'attribue fon fupplice. Du Chastel promettoit pour lui qu'il feroit plus fage à l'avenir; & fur ces promeffes, il avoit obtenu fa grace & fa liberté. Pendant ce temps Dolet s'occupoit de fa vengeance; il compofoit dans fa prison un premier Enfer, où il développoit la conduite de fes ennemis. A peine étoit-il délivré de ses fers, qu'il voulut effectivement le publier. Peut-être ne fut-il pas affez difcret pour taire ce moyen, qu'il s'étoit réfervé pour montrer fon innocence; fans doute on le fut; fans doute on voulut y mettre obstacle, en s'emparant de nouveau de fa perfonne; & l'on fuppofa les deux ballots pour en avoir un prétexte.

même

vengea

prétexte. Il échappa encore aux pourfuites de fes ennemis, & fit imprimer un second Enfer où il rappelloit le premier: il donna en fa Traduction des deux Dialotemps de Platon, où il ne préfumoit pas que gues l'on dût trouver à redire. Trompé dans fon attente, il revint à Lyon fans avoir de certitude de fa fûreté: il y fut repris, & il ne trouva plus de moyen pour fe fauver. On fe cette fois de toutes les injures qu'il avoit pu dire de vive voix, & de celles qu'il avoit écrites; on fe vengea de ce qu'il avoit employé le crédit de personnes élevées, pour fe tirer d'affaire une premiere fois; on se vengea de ce qu'il avoit voulu parler fur des matieres qu'il n'entendoit pas affez, & faire le Théologien n'étant que Laïque; on décida qu'il falloit fe défaire d'un homme qui s'étoit rendu fufpect par fon mérite & fa caufticité; on oublia tout ce qu'il avoit dit en faveur de la Religion Catholique, contre les Hérétiques & les Athées; on ne voulut pas confidérer qu'il avoit chanté les louanges de la Mere de Jésus-Chrift (63), que fes Ouvrages étoient destinés en partie à l'instruction de la

(63) Dans deux Odes, voyez Doleti Carmina.

jeuneffe, & que quelques-uns méritent l'eftime des Savans, loin d'être fufpects d'héréfie: mais le bien que l'on a dit de Dieu peut-il feul garantir de la haine des hommes dont on a médit?

Il fut donc la victime de fon caractere &

de fes inconféquences. En fe conduifant autrement, il auroit évité la plupart des chagrins qui le tourmenterent fucceffivement. Il falloit qu'il pratiquât lui-même quelques-uns des préceptes qu'il avoit fu donner à fon fils. Il auroit pu vivre heureux s'il s'étoit borné à l'étude des Langues, de l'Éloquence & de la Poéfie; fi, content d'imprimer des livres univerfellement utiles, comme il l'avoit promis, il n'en avoit point imprimé d'autres qui pouvoient donner prife fur lui, & faire douter de fa Catholicité dans des circonftances auffi délicates; fi, en louant fes protecteurs & fes amis, il n'avoit point déchiré des Savans dont il ne pouvoit fe plaindre; fi, mettant dans fes difputes littéraires autant de douceur qu'il y a mis d'âpreté, il ne s'étoit pas fait un plus grand nombre d'ennemis puiffans que de protecteurs zélés; enfin, s'il avoit rendu juftice à tout le monde fans fe louer exclufivement.

Il prévoyoit depuis long-temps l'événement funefte qui termina fa vie (64); mais cette idée qui devoit mettre un frein à fa pétulance, ne frappa pas affez fortement fon imagination, & jamais il ne fut affecté des frayeurs de la mort. Il foutint fa derniere prifon avec le même courage qu'il avoit montré précédemment. Les Mufes l'accompagnoient au milieu des fers, & charmoient fon ennui par leur commerce confolant & agréable. Il nous reste de lui un Cantique qu'il compofa à la Conciergerie, peu de temps avant de fubir fon Jugement. Nous le ferons réimprimer à la fuite de la Notice de fes Ouvrages; car je ne puis donner de preuve plus abfolue des fentimens philofophiques & chrétiens qu'il conferva jufqu'au dernier foupir.

Les Poëtes s'exercerent fur la mort de Dolet; & M. le Laboureur nous a confervé deux Épitaphes (65) en fon honneur : l'une

(64) Voyez les vers de Dolet que du Verdier rapporte à fon article, Biblioth. Franç. p. 278.; ce qu'il écrivoit à Budé en tête du fecond volume de fes Commentaires fur la Langue Latine.

(65) Additions aux Mém. de Caftelnau. Paris, 1659. in-fol. tom. I. p. 356.

en François, (on en ignore l'Auteur,) l'autre en Latin par Théodore de Beze; mais celleci n'eft qu'une Profopopée & non pas une Epitaphe. Quoi qu'il en foit, je la copie, parce qu'elle est assez bien écrite ; & que l'Auteur, qui l'avoit fait imprimer à Paris en 1548, parmi fes Poéfies latines, s'avifa de la retrancher des éditions de 1567 & 1569, in-8°., pour complaire, dit-on, aux Réformés, dont il étoit un des Chefs: ce qui démontre la foibleffe de ces hommes qui veulent fronder les préjugés d'autrui. Voici cette Profopopée :

Ardentem medio rogo Doletum

Cernens Aonidum Chorus Sororum,
Carus ille diù Chorus Doleto,
Totus ingemuit; nec ulla prorfùs
E Sororibus eft reperta cunctis,
Naïas nulla, Dryasve, Nereisve,
Quæ non lacrymis fuis, vel hauftâ
Fontis Pegafei ftuderet undâ,
Crudeles adeò domare flammas.
Et jam totus erat fepultus ignis,
Jam largo madidus Doletus imbre,
Exemptus poterat neci videri;
Quum Cœlo intonuit feverus alto
Divorum Pater, & velut perægrè
Hoc tantum ftudium ferens Sororum :
At ceffate, ait, & novum Colonum

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